Robespierre : son visage a été reconstitué en Jack l’éventreur

vendredi 27 décembre 2013.
 

A) Sur le prétendu masque de Robespierre

Jean-Luc Mélenchon

Ce jour-là, c’était la distraction. D’aucuns prétendaient avoir reconstitué le vrai visage de Robespierre. « Avec le logiciel du FBI » ! Tu te rends compte Dugenou, « comme on a vu aux ’’Experts’’, à la télé » ! Résultat, loin de tous les portraits de l’époque qui nous montrent un visage étroit et un menton pointu, nous voici avec une face à la Danton ou Mirabeau. Une tête bien peu engageante, si j’en juge par la photo publiée. Vieille ruse de l’iconographie, dont je fais les frais plus souvent qu’à mon tour : la laideur du visage est censée révéler la laideur de l’âme ! C’est le but que se proposait Madame Le Pen quand elle a dit de moi, de façon surprenante, que j’avais un « physique repoussant ». Sans doute la pauvrette m’aura-t-elle étudié dans les photos de presse. En voyant le prétendu masque de Robespierre, comme beaucoup, j’ai vite compris que c’était un épisode de plus de la lutte idéologique sur le sens du contenu de la Grande Révolution. Les auteurs de cette farce n’ont pas lésiné sur les moyens de gruger le tout-venant. Tout est dans l’émotion ! « Quand j’ai vu cet homme apparaître sur mon écran, j’ai su qu’il faisait peur » dit le manipulateur, responsable de l’opération de dénigrement. Et ces journalistes, ignorant comme des peignes, de commenter les traces de « petite vérole » sur le visage de l’Incorruptible. « Petite vérole », ça fait maladie vénérienne, vie déréglée. En réalité, il s’agit de la variole, maladie endémique des siècles durant. Ce détail situe le niveau de la bassesse auquel est située cette opération de communication débile. Alexis Corbière a bien démonté le procédé dans son blog. J’en donne de nouveau le lien.

Ce qui est nouveau, c’est qu’ici où là des commentateurs ont réagi pour dire un peu de bien du grand Maximilien. Il y a peu, on n’aurait rien entendu. Je ne nomme personne dans aucun média, mais il y en a eu assez pour que des amis m’en parlent. Il y a peu, personne n’aurait bougé, sur l’air bien connu : « à quoi bon, c’est perdu d’avance ! ». Je pense qu’à force d’y revenir nous avons desserré l’étau qui tient notre histoire bâillonnée. Tout ceci est fait d’enjeux très concrets. Disqualifier Robespierre, c’est depuis toujours disqualifier la Révolution et, à travers celle-ci, son œuvre libératrice, les principes d’action politique qui ont triomphé avec elle. Par exemple, l’unité et l’indivisibilité de la communauté légale, et donc du peuple français. C’est un combat pour l’hégémonie culturelle d’autant plus nécessaire aujourd’hui que les solfériniens sont en train de faire franchir un seuil crucial au démembrement du cadre républicain de la Nation. Non parce qu’ils seraient monarchistes, cela va de soi. Mais parce qu’ils sont libéraux.

B) Faux masque en 3D et authentiques calomnies antirobespierristes

Alexis Corbière

Décidément, même en 3D, la haine du plus illustre porte-parole du jacobinisme, leur fait encore perdre la tête. J’annonce immédiatement mon intention, ce billet de blog sera exclusivement rédigé en défense de Maximilien Robespierre, toujours attaqué, moqué, caricaturé, même plus de deux siècles après sa mort. Il sera aussi l’occasion de reparler de masques de cire, qui pour certains, brandis par le peuple de Paris, en juillet 1789, débutèrent en quelque sorte la grande Révolution.

Mais, n’allons pas trop vite.

Pour mener cette tâche qui me tient à cœur, je m’éloigne un instant des combats quotidiens du Front de Gauche et surtout de ma propre campagne municipale, d’ailleurs fort bien engagée dans le 12e arrondissement de Paris. Je la présenterai plus en détails prochainement. Et puis, le Conseil de Paris de décembre qui se tiendra lundi et mardi sera un moment privilégié pour revenir sur les dossiers municipaux. Le lecteur me pardonnera donc cette furtive escapade, hors des sentiers battus de l’action militante, ou bien il n’a pas compris à quoi sert l’espace virtuel, mais lieu de réelle liberté, qu’est mon blog. Ici, je parle de ce que je veux, d’accord ?

De quoi s’agit-il ? J’y viens. Depuis ce matin, il a été révélé à la presse une bien drôle de photographie représentant le prétendu « vrai visage » de Robespierre. Le journal « Le Parisien/Aujourd’hui » lui, est affirmatif : « Robespierre retrouve sa tête ». Rien que ça... Qu’on en juge. L’effet est saisissant, et disons-le tout net le résultat assez repoussant. C’est un visage hideux et contrefaits, dans une pose lugubre, regard glaçant, cocktail de Jack l’éventreur et Marc Dutroux sans la moustache… et pour en rajouter frappé profondément, et bien plus que les nombreux témoignages l’attestaient, de la variole (plus précis que "petite vérole", très connoté, comme je l’ai lu ici ou là), fréquente maladie de peau, mais qui laissait des lésions, qui devait toucher la plupart des hommes de cette époque, à commencer par Georges Danton. A la vue de cette photo, qui ne sent pas un frisson lui traverser le dos ? Rassurez-vous, c’est le but. Pour faire détester un homme, il est toujours commode de l’enlaidir. Cela simplifie la tâche.

Mais, revenons à cette photographie, plus vraie que nature. Comment ce prodige et quasi résurrection sont-ils possibles ? On le devrait à un français, de Mulhouse, M. Philippe Froesch, spécialiste de ce genre de reconstitution faciale. C’est déjà à lui que l’on doit, il y a quelques années, une reconstitution du visage d’Henri IV, nous offrant, concernant celui qui généralisa parait-il "la poule au pot", 27121-17un visage paisible et intelligent, fidèle à la légende du « bon roi Henri »… sauf que ce dernier portrait de l’homme de Navarre avait été reconstitué à partir d’un crane bien réel. Cette fois-ci, concernant Robespierre, il n’en est rien, et c’est bien là que se situe un des premiers problèmes à mes yeux. Cette fois-ci, ce n’est pas avec un crane authentique qu’il a travaillé, mais à partir de la copie d’un masque mortuaire post mortem. Curieux. Cette copie de masque se trouverait actuellement au Muséum d’Histoire naturelle d’Aix-en-Provence. Elle serait l’œuvre d’Anne-Marie Grosholtz en personne, qui deviendra Madame Tussauds, fondatrice du célèbre musée londonien qui porte son nom. Jusque-là, bien des choses sont crédibles. La future madame Tussauds fut bien présente dans le Paris révolutionnaire de 1789 à 1794, après avoir été une des principales sculptrices du « cabinet de cire » du Docteur Curtius qui avait alors un grand succès. Clin d’œil de l’Histoire, c’est en pénétrant dans son cabinet de cire que le 12 juillet 1789, le peuple de Paris s’empara des bustes de Necker, et du Duc d’Orléans, qui s’y trouvaient, pour défiler ensuite en les brandissant afin de réclamer le retour de Necker, que le roi Louis XVI avait congédié pour « condescendance extrême » envers les Etats-Généraux. On connait la suite. Deux jours plus tard, la Bastille tombait car, suite à cette journée, le peuple était à la recherche d’armes pour éviter qu’une répression sauvage le frappe.

Anne-Marie Grosholtz (ou Marie Grosholtz) était effectivement la meilleure employée de Curtius, elle participa à la réalisation de nombreux bustes et masques de cire, c’est indiscutable. Toutefois, il existe de nombreux doutes d’historiens sur l’authenticité de ce masque post mortem (cf. image à droite ) de Maximilien Robespierre et des conditions dans lesquelles il fut réalisé, quand on sait que le député originaire d’Arras, fut exécuté de façon assez précipité, avec 22 de ses camarades, après avoir pris un coup de revolver dans le visage qui lui avait fracturé la mâchoire, et qui l’avait totalement défiguré. Quelques heures après son exécution, son corps sera jeté dans une fosse commune sans ménagement, afin qu’il n’ait pas de tombe, ni le moindre lieu de mémoire, où ses amis aurait pu venir se recueillir. Est-il bien sérieux donc d’imaginer qu’il fut possible, dans ce tumulte, de réaliser un masque pour fabriquer des statues de cires (et donc potentiellement maintenir sa mémoire), et que le prétendu masque mortuaire attribué à Robespierre soit bien le sien, quand on devine la grande fébrilité politique qui régnait alors ? Pour des raisons politiques, il fallait au plus vite faire disparaitre les corps. De plus, il semble établi qu’il se développa à cette époque un véritable « business » autour de ces masques mortuaires et il était fréquent que certains d’entre eux soient réalisé uniquement « de mémoire » par leurs auteurs. Enfin il est de notoriété publique que Madame Tussauds usait d’un talent réel pour mettre en scène, de façon particulièrement expressive et personnelle, les visages qu’elle fabriquait.

Bref, selon beaucoup d’historiens contemporains, il est fort possible que ce masque, fait de mémoire, en dise plus sur ce que Madame Tussauds pensait de Robespierre, que sur la réalité millimétrée du visage de « l’incorruptible ». Donc, il y a fort à penser que le masque, qui a servi de base à ce portrait 3D, ne soit pas très rigoureux. La plupart des historiens, spécialistes de la Révolution française, que j’ai interrogée aujourd’hui, je pense notamment à l’excellent Guillaume Mazeau (mais il en est d’autres) sont étonnés de la grande différence entre des portraits connus de Robespierre et réalisés de son vivant, comme celui de Gérard exposé au musée Carnavalet ou le célèbre buste de Charles-André Deseine (que l’on peut voir à Vizille) et cette pauvre image 3D assez lugubre et assez peu expressive. Là encore, la distance est telle, avec les portraits contemporains connus que ces historiens mettent en doute la valeur de tout cela.

Vous me direz : quel est l’enjeu de tout cela ? Il est vrai, qu’il importe peu de connaitre le vrai visage de Maximilien Robespierre. Peu importe qu’il soit laid ou beau, les joues dévorées par la vérole ou non, les yeux joyeux ou très cernés...Ses discours et ses actes ont une importance bien plus significative pour l’Histoire de notre pays. C’est là qu’intervient ce qui me chiffonne le plus dans cette affaire et ridiculise, selon moi, toute cette démarche. Dans le Parisien, Philippe Froesch , le créateur de cette 3D, déclare : « Lorsque j’ai ouvert les yeux de Robespierre, son regard était glaçant, inquiétant. Pas de doute, cet homme faisait peur ». Sur BFM TV, il ajoutera : "Il ne devait pas être sympa..", et tout en nuance, BFM TV dira également qu’il s’agit "du visage de la Terreur". Grotesque. On est là en plein délit de sale gueule. L’artiste accepterait-il que l’on parle de lui de la sorte ? Et évidemment, ce commentaire très personnel alimente la « légende noire » sur Robespierre qui le présente comme un dictateur. Avec une gueule pareille cela ne devait pas être un démocrate, se dit celui qui découvre cette photographie. C’est l’objectif sans doute. Faire peur avec Robespierre, cette fois ci avec son visage supposé, et après, dans le même mouvement, faire détester davantage l’homme pour que l’on oublie définitivement ses idées. On découvre, à la lecture des articles qui accompagnent cette image, que ce visage 3D va servir de support à une tournée de conférences d’un médecin légiste, M. Philippe Charlier qui, dans la lignée de beaucoup d’autres charlatans qui ont toujours pages ouvertes dans tous les magazines (Historia, Valeurs actuelles, L’Express, Nouvel Obs, etc..), va expliquer doctement qui était « le vrai » Robespierre à partir d’un simple masque 3D basé de surcroit sur un modèle original douteux. Ainsi, armé de cette méthode, ce monsieur parlera, sans honte, d’un homme politique exclusivement en fonction de sa « gueule » et de ses maladies de peau. Ne souriez pas, on pense immédiatement à la prostate de présidents de la République qui a intéressé quelques médias ces derniers jours… On pense aussi à cette nouvelle tendance et courant historique (si présent dans de grands médias) qui ramène les évènements de notre passé à l’action d’homme seul, dont la seule chose qui ferait sens serait la psychologie (que des experts nous éclairent deux siècles plus tard). Ainsi progressivement on glisse vers une anthropomorphie vulgaire comme méthode systématique. Le nouvel axiome de ces filous devient : je me moque de tes idées, mais montre nous ta gueule. Exemple : la monarchie était positive car les rois de France étaient bons. La Terreur, jamais expliqué dans sa réalité, serait le produit d’un homme à demi fou effrayant à regarder. Le nazisme ne serait dû qu’au "magnétisme" terrifiant d’Adolf Hitler qui hyphotisait les foules allemandes, etc... Surtout, ne cherchez pas de raisons économiques, culturelles et sociales pour comprendre les désordres du monde. C’est ringard. En fonction du visage, à présent, on plaque des sentiments, des capacités sur les êtres humains, et à terme c’est une vision digne des pires anthropologues racistes de la fin du 19e siècle qui s’impose sans bruits. Gare, donc. Ce type d’approche dangereuse marque la fin de la politique et de l’Histoire qui invitent à réfléchir, au profit du sensationnalisme le plus vulgaire. Je crains donc le pire pour l’avenir. Un homme devant son écran d’ordinateur et ses logiciels, en fabriquant un visage plusieurs siècles après la mort de celui auquel on l’attribut, prétendra mieux nous expliquer l’Histoire et l’engagement de femmes et d’hommes politiques, que les historiens qui s’emploient avec rigueur à exhumer les textes et les faits et à leur donner du sens. Cette mode des visages en 3D, c’est la fin de la pensée. Méfiance.

C’est donc là que se loge le plus scandaleux de cette petite histoire. Plutôt que d’inviter à lire et relire les œuvres et discours de Robespierre (y compris pour les critiquer sans concessions bien entendu), plutôt que d’évoquer par exemple la parution récente de l’excellent « Robespierre, la fabrication d’un mythe » (Editions Ellipses) de MM. Marc Belissa et Yannick Bosc, tous deux parmi les meilleurs spécialistes de la question, plutôt que d’inviter à lire les travaux d’historiens comme Guillaume Mazeau que j’évoquais tout à l’heure, mais aussi de Claude Mazauric, Michel Biard, Jean-Clément Martin et beaucoup d’autres (ne pas oublier l’immense Albert Mathiez ainsi qu’Albert Soboul), des médias font une large publicité à ce type de visage 3D. Pour résister intellectuellement, lisez les livres de tous ces savants. Sinon, à l’arrivée, le réflexe remplace la réflexion, et les nostalgiques de l’Ancien régime pullulent et passent leurs temps à salir de grands révolutionnaires et de grands patriotes sans lesquels notre pays ne serait pas le même.

L’amour de la France et de son Histoire tumultueuse nous impose donc de dénoncer les arnaques commerciales à la mode qui veulent en confisquer toute la complexité et la richesse. "Tout meurt, et les héros de l’humanité et les tyrans qui les oppriment ; mais à des conditions bien différentes" dira Robespierre le 27 brumaire an II (soit le 18 novembre 1793). De nos jours, avec la 3D, les héros sont raillés et et les rois tyrans magnifiés... Triste époque.

Post scriptum :

Les nombreux messages, par des biais divers, que je reçois depuis la publication de ce billet de blog m’invitent à faire quelques précisions. D’abord, merci pour l’intérêt que vous portez à cette controverse. Une fois de plus, ce bon vieux Maximilien réveille les passions. Ce destin incroyable continue de me marquer. Mais surtout, afin d’éviter toutes confusions, je voudrais énumérer ce qui me semble le plus important dans cette affaire :

1) Je ne défends pas la beauté physique de Maximilien Robespierre, par une idolâtrie déplacée et aveugle. Je m’en moque totalement. C’est une affaire secondaire. Si d’aventure, il était possible qu’il ressemblât à ce portrait, cela ne change absolument rien sur le plan historique.

2) Par contre, je crois toujours nécessaire de signaler que la plupart des historiens ont toujours émis le plus grand doute sur ce prétendu masque mortuaire de Robespierre (il en existe même plusieurs à travers l’Europe, tous faux, car il apparaît qu’il y eut un petit commerce juteux qui justifia cette multiplication des petits masques). L’historien Hector Fleishmann a publié en 1911 un ouvrage sur ce masque mortuaire et considère, au terme d’un travers de recherche, qu’il est faux. Jusqu’à présent aucun autre historien n’a travaillé sur le sujet.

3) Je conteste essentiellement l’utilisation politique de ce visage 3D qui en 2013, une nouvelle fois, vient nourrir les pires légendes noires antirobespierristes. Le plus choquant dans cette affaire est les commentaires qui l’accompagnent, le présentant comme un tyran potentiel uniquement en raison de son visage et de son regard polaire.

4) Le visage d’Henri IV que je publie ici, mort en 1610, reconstitué en 3D par la même personne et le même laboratoire, atteste du parti pris négatif dans la fabrication de celui de Robespierre. Henri IV est présenté comme souriant, avec un regard apaisant et des moustaches superbes. Concernant Robespierre, tout le monde peut constater que le portrait et la lueur de vie que l’on trouvera sur le visage, n’ont pas été choisis avec la même bienveillance.


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