Meeting à Saint Girons (en Ariège, terre de gauche)

jeudi 12 décembre 2013.
 

Il y a déjà un bon moment que cela me démangeait d’aller en Ariège. C’est un quartier du pays que je connais mieux que ne le croient quelques-uns qui me regardent comme un nomade perpétuel sans attache. Ils ne comprennent pas qu’il y a bien des étapes et bien des paysages dans une vie, et qu’on peut les aimer sans en faire une religion régionaliste. Mon père a été receveur de la poste de Sainte-Croix Volvestre pendant trois ans, ma grand-mère paternelle a été en maison de retraite dans le secteur jusqu’à son décès. L’une de mes sœurs a dirigé un petit centre équestre vers Lavelanet. Je ne mentionne tout ceci que pour signaler une ancienne imprégnation des lieux dans ma mémoire et mes sentiments. Un été, j’ai fait le tour des châteaux cathares, qui ne le sont pas toujours vraiment. Et un autre, l’actuel président du Sénat m’a hébergé chez lui pour une quinzaine de juillet qui ressemblait à un mois de novembre tant il faisait froid. Un de mes collègues d’alors, sénateur socialiste de la Haute-Garonne, raconta un soir devant une tablée ariégeoise dont j’étais, la dispute à propos de l’ours et la difficulté pour le notable d’arriver à être d’accord avec tout le monde, en dépit des passions, comme il se doit pour quelqu’un qui n’a pas de conviction sur le sujet mais veut garder les suffrages de tous. On rit aux larmes. Cependant mes parcours politiques m’avaient tenu jusque-là entre Foix et Pamiers. Il paraît que c’est le cas général. Mes amis ariégeois du Parti de gauche ont donc décidé d’innover et de convoquer un meeting à Saint-Girons. On vint donc peu de Foix jusqu’à Saint-Girons car ce n’est pas dans les habitudes. Ce n’est pas d’aujourd’hui.

Moi qui aime l’Histoire, je sais que dans le temps profond chacune des extrémités de l’actuel département avait commencé à se tourner vers la région voisine. Le département tel qu’il est doit son existence à un personnage haut en couleur : Marc Guillaume Vadier. Originaire de Pamiers, député aux États généraux pour le Tiers État en 1789, à l’Assemblée constituante et à la Convention, Vadier est surtout connu de moi pour avoir été le président du Comité de Sûreté générale à partir de septembre 1793. Ce qui ne le met pas en bonne posture devant les Robespierristes. Ils lui reprochaient ses excès et ses tentatives permanentes d’étendre ses pouvoirs face au Comité de Salut public. Peu connu mais décisif, Vadier sent le soufre de bien des façons. Je n’en dis pas plus à son sujet, sinon pour préciser que ses restes furent rapatriés à Foix l’année du bicentenaire de la Révolution célébré par la musique militaire, les élus se relayant pour porter l’urne de ses cendres… Les cinq élus du département pendant la grande Révolution, dont trois prêtres, ayant voté la mort du roi et celle-ci ayant été acquise à une voix de différence, maints ariégeois de mes amis, narquois, se vantent d’être ceux qui mirent un terme à la monarchie en France.

Pour ce qui me concerne j’ai commencé le séjour par une halte à l’usine qui produit le papier à cigarettes Job. Je n’ai pu entrer dans les ateliers. On imagine combien je l’ai regretté tant j’aime observer les machines et ceux qui les font tourner, surtout quand il s’agit de produire des objets du quotidien. J’ai été fumeur autrefois et j’ai aussi roulé mes cigarettes. Les petites feuilles de Job font partie de ces choses qui sont entrées dans la culture commune de presque tous les Français. On devine qu’il s’agissait ici, une fois de plus de crainte pour l’emploi et la pérennité de l’outil de travail. En invitant et en faisant avec moi le tour des murs et des dépôts de paille, de lin ou de pâte à papier pré-conditionnée, les travailleurs, qui attendent pour le mois de juillet prochain le démarrage de nouvelles installations, adressent un message à qui de droit : ils sont déterminés jusqu’au point d’accueillir le diable rouge en personne ! Je me réjouis d’être utile de cette façon aussi pour ceux qui ne lâchent rien.

Les gens d’ici parlent avec un bel accent et des « r » qui roulent un peu quoi que l’on parle à un rythme assez soutenu. Il y a donc un charme particulier à la conversation pour un parisien à l’accent pointu comme moi. On me reçut au local du comité d’entreprise, à une petite trentaine, pour parler de choses et d’autres. D’abord des différentes variétés de papier à cigarette. Je rêvais d’en avoir une feuille pleine. Mais, pas de regrets : on me dit qu’aucune variété ne tiendrait l’encre. C’est du 12 grammes, il est vrai. Ensuite, bien sûr, ce furent ces histoires dorénavant traditionnelles. Celles des fonds d’investissement venus s’approprier et ruiner des entreprises pour encaisser le prix des actifs. Comme par exemple, dans cette papeterie-là, fermée et vendue à la découpe. Quelle aubaine pour les actionnaires cette vente des deux centrales électriques qui allaient avec l’usine ! Ce sont des machines à cash puisqu’EDF doit en racheter obligatoirement la production ! On a parlé accidents du travail aussi. Comme vous le savez, au plan national 565 personnes chaque année en décèdent. Et les accidents de toutes sortes sont innombrables. On note en ce moment une tendance lourde à la dissimulation de ces accidents. Ici, devant l’usine papier, il y a un compteur avec des chiffres lumineux qui alertent l’attention de tous. Ce jour-là c’était le 141éme jour de suite sans accident du travail.

On a aussi parlé de la forêt. Elle couvre 40 % du territoire du département mais, comme partout ailleurs dans notre pays, cette ressource n’est pas exploitée. Notre pays importe donc du bois d’œuvre d’Allemagne, d’Autriche et des pays de l’Est, des meubles d’Italie et de Chine, de l’aggloméré de Finlande, et ainsi de suite. C’est une absurdité écologique autant qu’économique. Exploiter le bois donne du travail, oblige à entretenir la forêt, à couper et à replanter pour protéger la ressource. Il faudrait avoir à propos de la forêt une approche volontariste comme celle que j’ai pu développer à propos de l’économie de la mer. Aujourd’hui, déjà 500 000 personnes travaillent dans l’économie du bois. Il en faudrait bien davantage si l’on se décidait à avoir un programme général de construction en bois dont la technique est aujourd’hui absolument maîtrisée. Il faut avoir vu arriver un camion portant une maison entière prête à être assemblée ! Le camion produit pour le faire l’énergie et le pneumatique ! Il faut se faire une idée du degré de maîtrise où nous sommes parvenus dans cette technique ! Mais pourtant, encore une fois il faut serrer les poings et enrager. Rien ne sera fait, rien n’est programmé ni organisé. Le marché ouvert et désarmé fait son œuvre, et on peut en constater l’absurde résultat.

Le soir venu, je préparai méthodiquement la trame de mon discours dans une magnifique auberge réhabilitée avec un goût exquis. La vérité est que, dans cette circonstance, je passe davantage de temps à bailler aux corneilles et à m’ébahir de mille détails de la décoration plutôt qu’à tenir mon stylo. Cependant, cette fois-ci j’ai suffisamment bien préparé mon discours pour qu’à la fin il n’ait pas duré plus d’une heure. Ou peu s’en faut. La salle était bien comble et si l’éclairage d’un gymnase n’est jamais très gratifiant, on se fit mutuellement beaucoup de bien à se voir si nombreux et à tant sentir les choses de la même façon. Les camarades, qui avaient tout organisé en moins d’un mois, étaient aux anges ! On banqueta ensuite d’autant plus joyeusement. Où avais-je la tête ? J’avais oublié à l’auberge les deux couteaux que les camarades de la papeterie m’avaient offerts ! À la fin du repas, les camarades m’ont offert un dictionnaire de l’Ariège qui me tint ensuite éveillé bien plus tard qu’il n’était raisonnable. Car l’Ariège est terre de Préhistoire d’une façon qu’on ne connaît pas assez. Et c’est un sujet qui me passionne, autant que les dinosaures enchantent les enfants, sans que je sache pourquoi !

En Ariège, le Front de gauche présente des listes autonomes dans les principales villes. S’il y a des disputes ici, c’est pour savoir qui intégrera le plus dans des coordinations et des associations les partis qui constituent le Front. Je n’ai pas voulu entrer dans le détail des sujets en discussion mais je me suis amusé de savoir qu’ici c’est la direction communiste locale qui se bat pour l’idée de comités locaux avec des cartes d’adhésion… Le mieux en effet est que je ne m’en mêle pas.


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