Quand l’État renonce à sa tutelle sur l’enseignement confessionnel

samedi 30 novembre 2013.
 

- A) Tribune de Christine Fourage, Secrétaire Nationale du syndicat national de l’enseignement initial privé CGT
- B) Ecoles privées et laïcité
- C) Ecoles privées et laïcité (suite)

A) Tribune de Christine Fourage, Secrétaire Nationale du syndicat national de l’enseignement initial privé CGT

La loi dite Debré de 1959 a placé l’enseignement confessionnel sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale. Depuis, l’enseignement privé sous contrat avec l’État reçoit très largement ses moyens de subsistance de subventions publiques.

En 2005, les établissements privés sous contrat d’association ont été «  allégés  » des tracasseries de gestion de leurs enseignants qui sont devenus «  agents publics contractuels  ». L’État est leur employeur, le recteur leur supérieur hiérarchique et ils sont mis à la disposition des chefs d’établissement du privé. Un peu comme les travailleurs d’une entreprise prestataire de services. On pourrait s’attendre qu’à travers ce transfert de charges l’administration se préoccupe des conditions de travail et du déroulé de carrière de ses agents.

À noter que, pour l’enseignement catholique, représentant 95 % de l’enseignement privé sous contrat dans notre pays, les directeurs d’établissement sont nommés par le directeur diocésain, lui-même choisi par l’évêque dont la nomination est entre les mains du pape. Les agents publics sont entre de bonnes mains  !

Est-ce au nom du «  caractère propre  » si souvent brandi par l’enseignement catholique que, de fait, les rectorats ont choisi de détourner pudiquement les yeux quant à la gestion de ses agents  ? La question est d’importance  : de la qualité apostolique des enseignants du privé dépend la qualité du catholique  !

Cela pourrait prêter à sourire si les droits des travailleurs, leur liberté d’opinion n’étaient en jeu, si la connivence entre un état laïque (et le proclamant haut et fort à l’encontre de certaines communautés religieuses) et l’enseignement catholique, dans un contexte de crispation d’une identité religieuse en récession, ne conduisait à livrer des agents publics à l’autorité non contestable des chefs d’établissement du privé et des directions diocésaines de l’enseignement catholique.

Il en est ainsi dès la préparation au métier laissée entre les mains des organismes de formation catholiques. Pour devenir agent public de l’État, travaillant dans un établissement catholique, il faut obtenir un «  préaccord  », suivre un module spécifique «  enseignement catholique  » et bien sûr préparer son master au sein d’un institut supérieur catholique.

Concours en poche, notre agent public n’aura plus qu’à obtenir un accord collégial délivré par une commission composée de chefs d’établissement du privé et du directeur diocésain  ! S’il veut être muté, changé d’académie, il devra passer devant une commission académique ou départementale de l’emploi. Véritable gare de triage des candidats, cette commission indigène et non statutaire «  présente  » au rectorat une liste de priorités selon les critères qu’elle a retenus.

À ce stade, on imagine que le rectorat via sa propre commission consultative mixte va exercer un contrôle. Hélas  ! Considérant sans doute que tout ceci est l’affaire des «  cathos  », bon nombre de rectorats entérinent sans sourciller les propositions des commissions de l’enseignement privé.

Il en va de même pour les sanctions disciplinaires infligées aux enseignants (et aux militants syndicaux, plus souvent qu’à leur tour)  : sur la foi de signalements des chefs d’établissement du privé, qu’on interroge si peu, les maîtres du privé sont remis au pas, sans autre de forme de procès, en l’absence d’un examen contradictoire de leur situation.

S’il est un domaine où les responsabilités sont partagées et où chacun des coemployeurs se doit d’agir, c’est bien celui de la santé au travail. Le droit français, tout comme la directive européenne de 1989 sur la santé des travailleurs sont unanimes  : il appartient à l’État employeur et aux établissements privés de protéger la santé des enseignants. Ici, la collusion entre institutions est sans faille  : chacun considère que c’est à l’autre d’agir.

Le ministère de l’Éducation nationale, en dehors de toute base légale, refuse aux enseignants du privé, agents contractuels, le bénéfice des CHSCT sous sa juridiction et les établissements privés se déclarent non concernés par les charges inhérentes à l’amélioration de leurs conditions de travail  !

C’est une chose que d’afficher la charte de la laïcité – l’est-elle d’ailleurs dans les établissements privés confessionnels  ? La réponse est non dans 99 % des cas –, une autre que de la faire vivre.

Ainsi, le sort des enseignants, agents publics exerçant dans des établissements privés sous contrat, n’est pas tranché par la séparation de l’Église et de l’État  ! Cette situation pourrait même servir de petite pierre, s’ajoutant à d’autres, pour remettre en cause la loi de 1905.

Christine Fourage

B) Ecoles privées et laïcité

Par Mireille POPELIN, Association des Libres penseurs de France

Le journal l’Humanité a publié jeudi 7 novembre l’intervention d’une enseignante de l’enseignement du privé confessionnel catholique.

Tout d’abord, il faut saluer le courage de cette syndicaliste . Quand on sait qu’une répression violente s’exerce contre tous ceux qui se battent contre les licenciements ( et ils tombent en ce moment comme pluies d’automne ) , on peut saluer ce courage parce que, comme les ouvriers , employés dans les entreprises du privé ( mais dans le public aussi ) elle risque le licenciement !

Nous voyons bien avec ce réquisitoire les méfaits de la loi Debré : l’enseignement confessionnel se sert des subventions publiques, paie les enseignants : comme le dit l’auteur du texte, ces enseignants formés avec l’argent public, passent des concours et sont choisis, suivis, par des chefs établissements privés en majorité confessionnels et catholiques . Et après ? Eh bien, au nom du fameux "caractère propre " la carrière de ces enseignants est sous la tutelle de l’évêque lui-même nommé par...le pape. Ces agents publics sous contrat, le rectorat de l’enseignement public...ne s’en occupe plus !

Et la charte de la laïcité dans ces établissements ? Quésako ? Vous dites laïcité ? Connais pas. Nous on prend l’oseille, et on fait ...comme on veut ! Le caractère propre, c’est ça !

Ce que dit cette syndicaliste, la séparation de l’église et de l’état, n’est pas à œuvre dans ces établissements privés confessionnels. Sa conclusion , que cette situation pourrait remettre en cause la loi 1905, nous, laïques, savons qu’il y a longtemps que la loi 1905 est remise en cause ! Par la religion catholique et par d’autres religions, dans notre République qui est de moins en moins laïque.

On pourrait poser la question de la charte de la laïcité dans ces établissements confessionnels au ministre de l’ Éducation nationale ?

Mireille Popelin

C) Ecoles privées (de rien) et laïcité

(pour faire suite à l’article de Mireille Popelin)

Je suis entièrement d’accord avec Mireille Popelin. L’enseignante du privé auteur de l’article de l’Humanité fait, en effet, preuve de courage. Cependant, alors qu’elle regrette que l’État renonce à sa tutelle sur l’enseignement confessionnel, ce que nous regrettons, nous laïques et libres penseurs, c’est, depuis la loi Debré de 1959, que du personnel privé soit pris en charge par l’État (formation, salaire, retraite) alors que cet enseignement est exempté des obligations qui sont celles du service public (gratuité, laïcité, neutralité, carte scolaire, devoir de réserve…). La séparation des Églises et de l’État c’est que les Églises s’abstiennent d’intervenir dans les affaires publiques, mais aussi que l’autorité civile ne prenne pas en charge les affaires confessionnelles. Nos revendications traditionnelles sont toujours d’actualité : abrogation de la loi Debré et de toutes les lois scolaires antilaïques, fonds publics aux seules écoles publiques, suppression du dualisme scolaire par une vraie nationalisation laïque non imposée, ce qui suppose l’abandon du « caractère propre » pour les établissements qui accepteraient d’être nationalisés, tandis que les autres fonctionneraient comme les actuels établissements hors contrat.

J’abonde dans le sens de l’auteur de l’article de l’Huma. Je peux témoigner du fonctionnement des commissions consultatives où sont entérinées sans barguigner toutes les propositions du privé. En 1985, à Chartres, représentant l’administration de l’Éducation Nationale départementale au sein de l’une de ces commissions, nous avions, mes collègues inspecteurs et moi, décidé de voter contre les propositions concernant le mouvement des personnels de l’enseignement privé du 1er degré d’Eure et Loir, car aucun barème objectif n’était utilisé pour choisir entre plusieurs demandes de changement d’affectation. Nous nous sommes heurtés à la coalition direction diocésaine + chefs d’établissements privés + syndicat de l’enseignement privé (exclusivement CFTC) + Inspecteur d’Académie… et toutes les propositions de la hiérarchie catho ont été acceptées à la majorité…

Denis PELLETIER.


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