Comme dans les années 1930, des courants "de gauche" risquent-ils de glisser vers l’extrême droite

mercredi 6 novembre 2013.
 

La gauche des années 30, agitée par de violents soubresauts, avait accouché de diverses mutations odieuses.

Les esprits fragiles, particulièrement ceux pour qui l’engagement était une forme de thérapie lourde, furent entraînés, au cœur de la crise, dans des dérives inimaginables. On songe à Marcel Déat, le néo socialiste converti en collaborateur furibard. A Jacques Doriot, le bolchevik anti impérialiste transformé après son départ du PCF en nazi assumé. A Gaston Bergery, élu radical s’épanouissant à Vichy. A Adrien Marquet, le Maire socialiste de Bordeaux devenu un fervent fasciste. Mais on doit aussi évoquer tous ces parlementaires SFIO qui votèrent les pleins pouvoirs à Pétain. On n’oublie pas non plus que c’est un ancien SFIO, Paul Rassinier, qui inaugura le révisionnisme.

La gauche vit aujourd’hui une crise sans précédent, menacée de disparaître, et bouillonnent les mêmes élixirs infects .

Rompre les digues de la civilisation

A force de lutter contre les « surmois » comme le dit Manuel Valls – alors que le surmoi, justement, le tabou, forcément, fondent la civilisation-, des dirigeants irresponsables tels que ce Ministre ont exhumé le vieux cercueil de Papi Marcel Déat. Et il nous revient en pleine forme.

Des idéologies mutantes, abominables, y mijotaient et leur fumet nauséeux contaminent la place publique.

Le poisson pourrit par la tête, et tout le corps suit.

La responsabilité est immense de dirigeants cyniques qui jouent avec les sentiments les plus vils, et d’ intellectuels qui par leurs abstractions déshumanisées attisent ces affects .

Car ils donnent le ton, ils donnent un cadre légitime à ce qui était honteux et corseté sévèrement. On se souvient de Heidegger cherchant à faire oublier sa soumission active au nazisme en disant « je ne suis qu’un intellectuel, je suis nul en politique ». Pitoyable défense des criminels de papiers.

Courants de gauche et droite mensongèrement « populaires »

Ainsi, au sein même du Parti socialiste, dont on pensait la culture antiraciste solidement établie, la pseudo droite populaire lepénisée a trouvé une cousine : la gauche dite « populaire ». Populaire signifie pour tous ces gens : xénophobe. C’est désolant, oui, mais c’est ainsi…

Et le premier paradoxe démentiel, c’est que ces gens qui s’affirment populaires ont pour acte fondateur de mépriser le peuple justement, de le rabaisser et de le caricaturer, le réduire, de taire toute dialectique en son sein, toutes contradiction et potentiel de libération des préjugés.

Gauche et droite dites populaires n’ont rien de populaire, comme le national socialisme (dont ils ne sont pas à ce jour, mais Déat et Doriot ont aussi connu de lentes évolutions vers le pire, et je ne parierai rien sur l’avenir) n’était ni national (il a tué des millions d’allemands et détruit le pays), ni socialiste évidemment.

Le peuple c’est tout, son contraire, et le contraire de son contraire : le hooliganisme et la décence ordinaire dépeinte par Georges Orwell, le racisme le plus stupide et le travail magnifique de milliers de bénévoles qui se fichent de savoir si les gamins s’appellent Farid ou Laurent. Des infirmières qui votent FN se tueraient à la tâche pour sauver un gamin algérien, et le meilleur pote de leur mari qui vote Marine peut s’appeler Farid.

Dans toutes les formations fascisantes, il y a eu une pseudo aile gauche. Les S.A liquidées lors de la nuit des longs couteaux. Ce phénomène est lié au caractère volontairement attrape tout du fascisme, à cette escroquerie d’une « troisième voie » qui réconcilierait tout le monde autour d’une nation unanime, épurée de ses parasites. Il se trouve que ces fractions sont parfois, par d’étranges convulsions de la vie politique et le chaos des trajectoires individuelles, disséminées dans le champ politique. On trouve des rouges bruns de tous temps, et désormais des roses bruns. Aberrations d’une démocratie malade.

Un mélange de cyniques, de bas du front, d’intellectuels gérant leur malaise social

Les profils de ces gens sont multiples. Une première source est un malentendu : pour certains, le fait d’être de gauche n’est pas lié à un sentiment profond de justice, mais à du ressentiment profond. On jalouse le riche, on voudrait sa place (on jalouse aussi le type cultivé, la femme qui a pris des responsabilités, et l’homosexuel qui est évidemment toujours riche). On ne veut pas au fond changer la société mais on souffre de sa propre place. On est perdant dans un jeu qui au fond est adulé. C’est une forme vulgaire de rouge rose brun. Elle est décelable dans ses passages brusques du vote communiste au vote FN qui étonnait tant dans les années 80. Nietzsche, avec tous ses défauts insensés, avait pointé cet homme du ressentiment, tenaillé par l’esprit revanchard, envieux, dangereux. Loin de toute prodigalité. Ces caractères ont besoin d’exutoire. Et quand la perspective de s’en prendre au riche s’effondre, comme aujourd’hui (car la gauche a abandonné son combat historique pour l’égalité), ils tournent leur vindicte vers le pauvre, vers l’étranger, qu’ils parent de tous les défauts : des canailles, des voleurs par essence, des pillards d’allocations (même quand ils n’y ont pas droit comme les roms). Un ennemi chasse l’autre, mais c’est toujours la même pulsion noire qui est là. Le voleur de poules a remplacé dans leur cœur moisi le voleur de plus value.

Il y a d’autres profils, comme l’intellectuel de gauche dévoyé. Prenons l’exemple de Laurent Bouvet, membre de cette pseudo gauche populaire. Semble t-il d’origine ouvrière, il a du comme tout ascendant social ou culturel traverser les barbelés du social, douloureusement sans doute. Il y a maintes manières d’y parvenir. Lui s’en sort peu ou prou en tissant un trait d’union tout particulier avec ses origines ouvrières manifestes : il recrée un monde ouvrier mythique, raciste, qu’il nous appelle à « comprendre ». Les classes populaires sont « insécurisées culturellement » (elles ont peur que leur fille entre dans une famille polygame et que l’on soit obligé de porter une djellaba en gros). Donc, la gauche doit s’aligner et leur donner ce qu’ils veulent. Il est bon d’aller se réchauffer auprès de ses origines pour ne pas avoir le sentiment de les trahir. Donc on invente une figure monolithique et surtout immobile, univoque, figée, du peuple. Et on prétend s’y conformer.

Pourtant, qui vit et travaille aves les immigrés, si ce ne sont justement les classes populaires ? Les petits blancs sont tout aussi proches de leurs frères migrants que racistes. Il n’y a nulle fatalité au racisme. C’est une idéologie. Elle se combat, elle n’est pas naturelle, elle est plein de failles, et elle n’est pas un système toujours cohérent loin s’en faut. Elle recule fortement en certaines périodes. Et ignorer l’immense potentiel de fraternité au sein du peuple, n’a rien de populaire. La France est championne des mariages mixtes par exemple. Et des millions de gens se fréquentent, vivent ensemble paisiblement. Les enfants, dans nos écoles, se foutent de l’immigration. Et quand on expulse un enfant, tout le monde signe la pétition pour qu’il reste.

La gauche populaire, une idéologie vulgaire de marketing qui finit par emmener Durkheim à l’apéro

Cette gauche là, qui usurpe le mot de gauche et l’adjectif populaire, est tout de même adhérente au parti socialiste, donc elle a aussi absorbé les pires défauts de la social démocratie contemporaine qu’elle pense critiquer : elle ne réfléchit plus qu’en terme de marketing politique. L’offre doit s’adapter à la demande. Donc Laurent Bouvet, politiste, étudie l’ »opinion », sans plus voir que celle-ci est construite de mille façons. Il en fait un intangible.

La gauche devrait ainsi renoncer à expliquer le monde, à mener la lutte pour l’hégémonie culturelle, cesser de proposer une voie solidaire, renoncer à dire la vérité sur les inéluctables migrations dans notre village mondial déchiré. Elle devrait s’aligner sur les pulsions égoïstes et se prosterner devant les phobies. Vous avez peur de 20 000 roms miséreux ? Vous avez donc raison, faites donc, nous nous soumettons. Il y a du mao prosterné devant l’ »ouvrier » dans cette gauche là. Les maos se croyaient eux aussi populaires, ils étaient au peuple ce que Guignol est au théâtre de Racine.

Le politiste Bouvet gagnerait à sortir de son bureau, à quitter ses pourcentages, et à pratiquer un peu d’ethnologie participative, peut-être cela réveillerait-il un peu de solidarité en lui (qui lui permettrait de ne pas la contingenter aux français de souche, qui d’ailleurs n’existent pas comme on le sait). Il gagnerait à ranimer en lui le souvenir de copains de classes qui sans doute s’appelaient Fouad ou Yasmina, et qui dans la pensée de cette prétendue gauche n’apparaissent que comme des ombres « inquiétantes », jamais comme des sujets ou des êtres de chair.

A Lampeduza, Bouvet et les siens auraient, si l’on se fie à ce qu’ils disent et écrivent, ricané devant les larmes des habitants de l’Ile, candides petits bourgeois éplorés. Et j’avoue pour ma part être circonspect et inquiet devant un tel appauvrissement émotionnel au sein des milieux militants de gauche,.

Mais le plus grave est que ces positions intellectuelles ne concernent pas que l’intellectuel essayant de retomber sur ses pattes de promu culturel et social. Ces analyses fournissent une légitimité à l’envahissement des pensées égoïstes et violentes chez des militants. Des propos inouïs sont désormais possibles, inimaginables il y a peu. Droite et gauche « populaires » sont toutes deux « décomplexées ». On peut désormais penser et dire des horreurs, car c’est non seulement labellisé de gauche, mais en plus auréolé de prestige intellectuel.

Donner une forme élégante et nimbée de concepts à ce qui finalement n’est que de la violence primitive, c’est la prouesse des intellectuels « populaires » à la Laurent Bouvet. Durkheim à l’apéro, murgé au Pastis, qui dérape gravement.

Ils ne sont ni nationaux, ni socialistes

La gauche dite populaire se croit nationale, se croit socialiste. Elle n’est ni l’une ni l’autre.

Quand elle cristallise, par son discours, cette idée de l’étranger ennemi du peuple, elle remplit la fonction d’idiote utile des marchés financiers. Les marchés sont tranquilles avec cette gauche là, ils resteront anonymes et incompréhensibles au peuple. Laurent Bouvet et les siens disent au peuple : tu as raison de te préoccuper d’un immigré qui franchit la frontière, plutôt que d’expliquer que le vrai franchissement des frontières qui nous opprime : c’est celui de l’argent libre et de la marchandise dérégulée. La gauche et la droite populaires n’ont donc rien de nationales. La nation c’est la souveraineté. Celle-ci est menacée par la finance, et certainement pas par des déboutés du droit d’asile et des roms.

Elles n’ont rien de populaires non plus. Pourquoi les dominants dominent ? Une des raisons est clairement qu’ils ont intégré la première leçon de l’ »art de la guerre » : semer la division chez l’adversaire. Pourquoi le socialisme n’a pas percé au Etats Unis ? Parce que le salariat a été divisé entre nuques blanches et bras noirs. Après que le peuple ait été divisé par l’esclavage, et avant même par opposition aux indiens (voir le très beau livre d’Howard Zinn sur l’histoire populaire des Etats Unis). Opposer l’ouvrier blanc à son voisin, opposer le travailleur à son poste à celui qui est dans l’armée de réserve des chômeurs, telle est la rengaine éternelle du pouvoir économique. Tel est aussi le discours de la gauche populaire représentée par Manuel Valls au gouvernement et soutenue par des courants tels que celui de Laurent Bouvet.

Et la glissade continue… Car si le peuple c’est le racisme et le racisme le populaire, alors tout antiracisme est bourgeois et anti ouvrier. L’antiracisme est donc l’ennemi de l’ouvrier. L’artiste antiraciste, l’homosexuel solidaire des autres discriminés, la féministe : voila les ennemis véritables de l’ouvrier mythique, unique, statue immobile et inamovible. Le vrai philosophe de la gauche populaire, c’est Charles Maurras, encore que celui-ci ne sortait pas son revolver quand il entendait le mot culture. Bouvet lui oui, qui raille sur Twitter les antiracistes se réunissant au Théâtre du Rond Point. Mais aussi ces salauds de jeunes lycéens qui sont solidaires des expulsés, bourgeois eux aussi sans doute.

Le fiel contre la culture et la jeunesse militante, la réification des immigrés et leur stigmatisation, la mythification du peuple…. Ca rappelle quoi ? Oui, c’est évocateur, et effrayant.

Gauche rien de moins que populaire. Gauche complice. Gauche indécente. Gauche de capitulation. Accoutrement de gauche pour une droite réelle. Perspectives de nationalisme rose à l’horizon. Si Ferdinand Lassalle avait raison en disant que le parti se renforce en s’épurant, alors on doit l’écouter aujourd’hui même.

Titre original : D’une robe rose brune, petite fille de Marcel Déat


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