Retraites. Prise en compte de la pénibilité : attention à la désillusion

jeudi 17 octobre 2013.
 

L’Assemblée nationale a voté jeudi soir la création d’un compte personnel de prévention de la pénibilité, dans le cadre de la réforme des retraites, soit les articles 5, 6 et 7. Pour les députés Front de gauche, "le compte n’y est pas".

Article 5 : la fiche de prévention des expositions

Modifiant le point du Code du travail relatif à la fiche de prévention des expositions aux différentes formes de pénibilité, cet article prévoit la définition par décret des seuils d’exposition aux facteurs de risque.

Notre avis :

Ce décret s’annonce crucial : il déterminera en bonne partie la portée réelle des nouvelles modalités de prise en compte de la pénibilité (voir article 6). Il s’agira par exemple de savoir à partir de combien de nuits travaillées dans l’année un travailleur pourra être considéré comme victime de cette forme de pénibilité. La méthode du décret laisse craindre une grande désillusion quant à l’ampleur des droits accordés (voir article 6).

Article 6 : le compte personnel de prévention de la pénibilité

Est institué, à compter du 1er janvier 2015, « un compte personnel de prévention de la pénibilité dont l’objet est de comptabiliser les périodes d’exposition à un ou plusieurs facteurs de pénibilité et les droits acquis à ce titre. Les périodes d’exposition conduisent à l’accumulation de points sur le compte, le cas échéant majorés en cas d’exposition multiple. (…)

Une partie de ce total de points ne pourra être mobilisée que pour certaines des utilisations possibles, en particulier la formation professionnelle afin de favoriser une reconversion professionnelle permettant la sortie de la pénibilité  ».

Les points ouvrent droit, soit « au financement d’une action de formation professionnelle permettant une reconversion », soit à « un complément de rémunération lors d’un passage à temps partiel en fin de carrière », soit à « l’acquisition de trimestres supplémentaires majorant la durée d’assurance vieillesse » et permettant donc un départ anticipé.

«  Le barème de transformation des points en droits ouverts sera fixé par décret et pourra être bonifié pour les assurés proches de l’âge de la retraite  ». Il reviendra à la Caisse nationale d’assurance vieillesse d’enregistrer au fur et à mesure les points du salarié sur la base des informations communiquées par l’employeur.

Les expositions des salariés pourront être contrôlées par les caisses régionales d’assurance vieillesse et de la santé au travail (Carsat). En cas de désaccord du salarié sur le recensement de ses expositions à la pénibilité, les Carsat saisissent une commission ad hoc pour avis et rendent leur décision.

Notre avis :

Pour la première fois, une loi a pour objectif de prendre en compte les conséquences de la pénibilité sur la retraite en termes d’espérance de vie et, davantage encore, d’espérance de vie en bonne santé. Rien à voir donc, dans le principe, avec la loi hyper-restrictive de 2010 qui ne prenait en compte que l’incapacité constatée sur le salarié avant la retraite pour lui permettre un départ anticipé, ignorant les effets à long terme de la pénibilité. Mais le système arrêté, très complexe, laisse craindre beaucoup de déboires.

Cela tient en particulier au fait qu’au lieu d’aller droit au but, en donnant simplement un droit au départ anticipé, le gouvernement a mis en place trois types de réponses à la pénibilité. Une partie des points accumulés devra même obligatoirement être utilisée pour une formation visant à sortir de la pénibilité.

Pourtant, la formation des salariés fait déjà partie des obligations permanentes de l’employeur. Celui-ci risque ainsi d’être déresponsabilisé en la matière.

De surcroît, cette disposition n’incitera pas à prévenir la pénibilité : il suffira de remplacer le salarié quittant un poste pénible pour une formation par un autre salarié. Deuxième réponse prévue : le passage à temps partiel, rémunéré à temps complet, pour finir sa carrière. Cette possibilité est rendue aléatoire du fait que l’employeur, selon le projet de loi, pourra la refuser «  en cas d’impossibilité due à l’activité économique de l’entreprise  ». Autant dire que ce sera selon son bon vouloir.

Quant à l’anticipation du départ en retraite, il faut attendre le décret qui fixera le barème de transformation des points en trimestres de bonification, mais le gouvernement envisage d’ores et déjà un droit très restrictif : deux ans maximum d’anticipation pour 25 ans d’exposition ! Soit, au mieux, un départ à… 60 ans. Alors que la différence d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre s’élève à 7 ans.

La CGT propose, elle, un système accordant un trimestre d’anticipation pour un an d’exposition à des travaux pénibles.

Quid des salariés arrivant en fin de carrière et n’ayant donc pas pu bénéficier auparavant du compte personnel ?

Le gouvernement prévoit seulement d’accorder aux assurés âgés de plus de 59 ans et 6 mois des bonifications qui leur donneraient, au mieux, un à deux trimestres d’anticipation, eussent-ils subi la pénibilité durant toute leur vie active…

Autre point d’inquiétude : les modalités du contrôle de la réalité des expositions, qui pourra être confié par la Sécu à des «  organismes compétents  » extérieurs «  définis par décret  ». Les syndicats et les institutions représentatives du personnel sont tenus à l’écart.

De même, en cas de désaccord du salarié sur ses périodes d’exposition recensées, le projet prévoit que des «  commissions ad hoc  », sans plus de précision, traitent les contentieux.

Or, ceux-ci, vue la complexité du système, risquent d’être nombreux. Le phénomène récurrent de la sous-déclaration, par les entreprises, des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui leur permet de se décharger du coût, reporté sur l’assurance maladie, invite à la vigilance.Au final, ce dispositif risque de décevoir doublement : peu de salariés victimes de la pénibilité bénéficieraient d’une réelle compensation en termes de retraite anticipée, tandis que les employeurs seraient peu incités à réduire cette pénibilité.

La réaction des députés Front de gauche : "cette mesure augure de nombreux déboires"

Non prise en compte du travail du dimanche,

Plafonnement du nombre de points,

Règles rigides d’utilisation, liées au bon vouloir de l’employeur et des modalités de contrôle renvoyées à un futur décret,

Les points réservés pour des actions de formation ne permettront pas aux salariés concernés d’entreprendre une formation suffisante pour sortir réellement de la pénibilité et de la précarité,

Inégalité et injustice entre les salariés très exposés et ceux qui le sont moins, et qui bénéficieront du même nombre de points pour une période équivalente,

Délais de prescription inacceptables pour les contestations des salariés,

Procédure de contestation inéquitable via des « commissions ad hoc », les syndicats et les institutions représentatives du personnel étant tenus à l’écart,

Départ anticipé de 2 ans au mieux annulé de fait par l’allongement de la durée de cotisation,

Aucune prise en considération des facteurs nouveaux de pénibilité comme le stress au travail.

Cette mesure très complexe et insuffisante risque de provoquer beaucoup de frustrations auprès des salariés victimes de la pénibilité

Article 7 : financement du compte personnel de prévention de la pénibilité

Il est institué un fonds en charge du financement des droits liés au compte. « La première source de financement est une cotisation générale des employeurs. La deuxième est une cotisation additionnelle appliquée uniquement aux employeurs exposant au moins un de leurs salariés à la pénibilité. » Elle est égale à un pourcentage des salaires des travailleurs exposés.

Notre avis :

Ce schéma de financement en deux étages principalement, l’un mettant toutes les entreprises à contribution, créant donc une mutualisation, l’autre demandant davantage à celles qui imposent plus de pénibilité à leurs propres salariés, paraît appréciable. Mais cette cotisation additionnelle souligne l’importance de la question du contrôle des expositions, des droits et des garanties à apporter aux salariés pour obtenir la reconnaissance de ces périodes, et donc la juste contribution de l’employeur.

Yves Housson et Marie-Noëlle Bertrand


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