Baisse des droits de succession : d’une actualité brûlante... (par Vincent Drezet, secrétaire national du SNUI)

dimanche 20 mai 2007.
 

Nicolas Sarkozy l’a promis durant sa campagne électorale, les droits de succession devraient être fortement abaissés, mais pas supprimés comme il l’avait annoncé dans un premier temps. Disons-le d’emblée, en dépit de son caractère injuste, cette proposition plaît à une grande partie de l’opinion. Car si dans leur grande majorité, les impôts sont peu appréciés et souvent considérés comme un « mal nécessaire », les droits de succession, eux, sont particulièrement impopulaires.

Nous nous attacherons ici à dresser un bref état des lieux : des droits de successions, des mesures qui pourraient être prises par le nouveau pouvoir et du débat fiscal en cours.

Un contexte défavorable

Un rapide regard sur le contexte fiscal général ne prête guère à l’optimisme : le nouveau Président peut effectivement invoquer un mouvement de repli général de l’imposition du patrimoine à l’œuvre dans la plupart des pays de l’OCDE sur lequel il pourra appuyer ses projets en matière de droits de succession, de bouclier fiscal ou d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). On constatera du reste sans surprise que les mesures les plus brutales ont été prises par les gouvernants les plus radicaux : les droits de succession et de donation ont été tout bonnement supprimés en Italie par Berlusconi, et Georges Bush a plaidé pour leur suppression pure et simple aux États-Unis. Le nouveau président s’inspirera-t-il de ces précédents ? Les mesures qui seront prises, et les discours qui les accompagneront, seront très intéressants à analyser de ce point de vue.

Aux États-Unis par exemple, Georges Bush a réussi le tour de force de rendre cette mesure populaire, alors qu’elle ne concernait que 2 % des successions, en martelant sans relâche un discours moral dépourvu de toute pertinence économique et sociale, dans lequel chaque contribuable s’est projeté et s’est retrouvé. Les démocrates se sont opposés à cette mesure. Et certains grands patrons l’ont condamné au nom du libéralisme. Selon eux, chacun doit réussir grâce à son propre mérite et non grâce à la fortune accumulée par les générations antérieures.

Rapide état des lieux

Les droits de succession et de donation rapportent environ 8 milliards d’euros au budget de l’État. Mais tous les décès ne donnent pas lieu à imposition, loin s’en faut. En 2005, on dénombrait ainsi en France 144 000 déclarations de succession imposables sur un total de 537 000 décès. De nombreuses mesures ont déjà été prises (notamment par Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie) pour accroître la transmission du patrimoine en franchise d’impôt, comme le relèvement des abattements, la création d’un abattement à la base ou encore l’instauration de mesures temporaires en matière de donation. Par construction, ces mesures ont bénéficié aux ménages dont le patrimoine était suffisamment important pour, précisément, donner lieu à imposition.

La réalité de la fiscalité du patrimoine montre un tout autre visage que celui d’une prétendue confiscation du fruit du travail : selon un rapport du Sénat , près de 90% des transmissions entre époux et 80% en ligne directe (parents à enfants) n’avaient donné lieu à aucune perception de droits de succession en 2000. En clair, les fameuses classes moyennes ne seraient pas concernées par cette mesure qui, comme les autres, visent une minorité de contribuables parmi lesquels se trouvent les grands bénéficiaires des récents choix fiscaux en matière d’impôt sur le revenu (abaissement des taux du barème, augmentation du nombre de niches fiscales). Enfin, en 2000, selon le même rapport, le patrimoine moyen transmis avoisinait les 100 000 euros tandis que le patrimoine médian ne s’élevait, quant à lui, qu’à 55 000 euros et que seules 10 % des successions portaient sur un patrimoine supérieur à 222 000 euros.

Les mesures possibles

L’objectif affiché est donc d’exonérer la transmission du « fruit d’une vie de travail ». On peut avancer que cela est déjà le cas au vu des statistiques disponibles mais manifestement, le prochain gouvernement passera outre cette réalité. 90 à 95 % des successions devraient ainsi être exonérées, ce qui revient à instaurer un dispositif qui exonère plus de la moitié des successions actuellement imposables. On peut formuler plusieurs hypothèses à partir des règles d’imposition actuelles. On précisera que les pistes qui suivent peuvent bien entendu être combinées les unes aux autres.

Un relèvement des abattements est possible : relèvement de l’abattement à la base et/ou relèvement des abattements applicables en fonction du lien de parenté. Une refonte du barème l’est tout autant (en fait, des barèmes, car les droits de succession en comporte plusieurs) : revalorisation des seuils, baisse des taux, refonte globale... De telles mesures n’auraient cependant peut-être pas la même force symbolique qu’un geste sur l’habitation principale (abattement, exonération totale ou plafonnée...). En effet, si 55 % des Français seulement sont propriétaires de leur résidence principale, c’est bien autour de cette dernière que le débat pourrait tourner. Aux yeux de l’opinion, c’est la résidence principale qui constitue le « fruit d’une vie de travail ». Une mesure d’exonération en faveur de la résidence principale serait probablement très populaire, donc difficile à critiquer, et techniquement aisée à mettre en place. Pour éviter les effets d’aubaine et les restructurations patrimoniales dans le seul but d’échapper à l’impôt, elle pourrait même être plafonnée. Une telle mesure, objectivement la moins mauvaise des solutions proposées ici, pourrait limiter l’allègement fiscal des gros patrimoines, essentiellement financiers (en moyenne, la résidence principale représente environ de 43 % du patrimoine transmis, mais cette proportion est de plus de 50 % pour les patrimoines situés entre 55 000 et 100 000 euros).

Quel débat fiscal ?

L’imposition du patrimoine peut prendre plusieurs formes : imposition du stock (par l’ISF), de la transmission (droits de successions et de donation notamment) et des revenus (revenus de capitaux mobiliers, revenus fonciers...). En 2005, le patrimoine net total des ménages s’élevait à 8 000 milliards d’euros ; il était très inégalitairement réparti puisque selon l’Insee 10 % des ménages en détenaient 46 %. Et 70 % de ce patrimoine total est constitué de biens immobiliers. Or, en 1996, le patrimoine net des ménages s’élevait à 3 675 milliards d’euros. L’évolution est spectaculaire. Elle résulte bien entendu de la progression du marché immobilier, mais également, ces dernières années, de celle des valeurs mobilières.

Des voix s’élèvent pour réclamer que l’on tienne compte de cette progression qui risquerait d’imposer fortement les successions qui s’annoncent nombreuses dans les années à venir. D’autres estiment que la collectivité est en droit de bénéficier de cette plus-value. Fondamentalement, la question est de savoir si la fiscalité doit avoir ou pas pour objectif de réduire les inégalités procédant d’une distribution primaire très inégalitaire des revenus et du patrimoine. Si oui, alors il ne faut envisager aucune réduction des droits de succession. Les libéraux historiques eux-mêmes préconisaient une forte imposition du patrimoine, notamment par le biais des droits de succession, pour taxer une rente économiquement inefficace et pour valoriser, précisément, le travail ! C’est d’ailleurs l’un des paradoxes de ce débat : vrais libéraux et défenseurs de l’impôt redistributif se retrouvent pour condamner un recul des droits de succession.

Plus largement, il faut que l’imposition des revenus empêche une accumulation progressive des richesses, ce que la structure de l’impôt sur le revenu actuel ne permet pas de faire. Et si l’ISF, de son côté, constitue de fait une surtaxation des plus riches payé par les revenus du patrimoine, il ne permet pas de rééquilibrer véritablement le système fiscal. À la limite, un impôt sur le revenu revalorisé (plus progressif et sans niche fiscale) rendrait l’ISF presque inutile puisqu’il contribuerait véritablement à réduire les inégalités dès le stade de la perception des revenus...

Le maintien des droits de succession est nécessaire. Mais on le voit, au-delà de leur allègement programmé, qui ne constitue en rien une incitation au travail, se profile une approche de la fiscalité qui lui dénie tout objectif de réduction des inégalités ce qui, a contrario, fait le lit d’un nouvel accroissement des injustices sociales. C’est bien le sens du débat fiscal qui doit être poursuivi.

article publié le 15/05/2007


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