Mélenchon à la recherche du « socialisme historique » perdu

lundi 3 décembre 2018.
 

Samedi 29 novembre, le sénateur de l’Essonne a convié le chef de file allemand de Die Linke, Oskar Lafontaine, au lancement de son Parti de gauche. Désireux de renouer avec « le vrai militantisme » et la « culture de front unitaire à gauche » face à un PS « en cours d’auto-destruction sociale-démocrate », il explicite sa démarche pour Mediapart, qu’il juge « complémentaire » de celle du NPA de Besancenot.

Stéphane Alliès, 29 novembre 2008

https://www.mediapart.fr/journal/fr...

« Vous savez, c’est un vrai pari qu’on est en train de faire. On cherche à déclencher une dynamique en actant une rupture. » Assis à la table d’un café proche de la gare du Nord à Paris, Jean-Luc Mélenchon ne fanfaronne pas. Le co-fondateur du Parti de gauche (avec le député du Nord, Marc Dolez) a « conscience de (s)es défauts » et de la difficulté de la tâche qui l’attend. Mais il a choisi de foncer.

« On ne peut pas dire qu’on a claqué la porte du PS, constate-t-il, mais on a raté le pari de faire de la gauche du parti l’orientation principale, après l’avoir pourtant unie derrière un bon leader comme Benoît Hamon. Résultat : on a perdu la moitié de notre score du congrès du Mans [en 2005]. » Mélenchon estime même que « le parti a éliminé sa gauche comme dans les autres pays européens, pour donner à choisir entre deux lignes, l’une démocrate "à la Royal" sur le modèle italien, l’autre sociale-démocrate "à la Aubry" qui revendique le réformisme européen. Ce qui ressort ignominieusement de ce tableau est une impasse politique. Alors, on sort… »

En deux semaines, "Méluche" n’a « plus une minute à perdre », comme le prouve son portable qui vibre quasiment en permanence. Depuis, un site internet a été créé, qui aurait reçu 5.000 messages de soutiens. Deux parlementaires socialistes (Jacques Desallangre, député de l’Aisne, et François Autain, sénateur de la Loire-Atlantique) ont franchi le Rubicon. Et le PG (« et non pas PdG », assène-t-il) peut s’appuyer sur « l’efficacité militante » de quelques réseaux.

Le sien, Pour une république sociale (PRS), ainsi que celui du Mars et de ceux qui suivent le porte-parole d’Utopia, Frank Pupunat. D’autres ont rejoint l’aventure à titre individuel, comme les économistes Jacques Généreux et Christophe Ramaux, l’altermondialiste Claude Debons ou l’ancien conseiller économiste de Lionel Jospin, l’un de nos blogueurs, Jacques Rigaudiat. D’après Mélenchon, « on couvre d’ores et déjà une très grande partie du territoire, avec des correspondants locaux dans une soixantaine de départements. Mais on a pas de permanents, alors c’est dénuement et dévouement ».

Die Linke est un « modèle intransposable » en France

N’est-il pas marri tout de même par la victoire de Martine Aubry, alors qu’on peut penser qu’il pariait sur un grand reflux de militants déçus par un succès de Ségolène Royal et de son intention de liquider "le vieux parti" ? « Au contraire, c’est plus facile comme ça ! D’abord, on a pas envie d’être le vide-grenier du PS et encore moins de voir débarquer chez nous le zoo socialiste obnubilé par la seule conquête de mandats électoraux. Ensuite, en termes de débat politique "thèse contre thèse", ce sera bien plus facile face à Aubry, qui est une figure emblématique de la "deuxième gauche CFDT" amie des patrons, plutôt que face à Royal, qui ne se laisse pas cornériser et change tout le temps d’avis et de priorité politique. »

Lui prône « le retour à un socialisme historique, basé sur le militantisme : on croit à la forme parti, on se lance à l’ancienne, avec des réunions politiques, de l’affichage, de la formation et des tractages dans la rue. On n’est pas là pour demander aux passants leur avis. Ça, c’est la dictature de l’opinion qui s’impose aux convictions. Nous, on remet le costard en velours, celui des VRP qui ne s’use pas, et on va parcourir la France ».

Reste l’ambition stratégique du Parti de gauche, qui s’est lancé samedi lors d’un meeting à l’Île-Saint-Denis (un apercu vidéo ici), réunissant entre 1.000 et 3.000 personnes, selon les sources (AFP ou Parti de gauche). Il a convié à ses côtés l’ancien ministre de l’économie allemand, Oskar Lafontaine, devenu leader d’une formation (Die Linke) gagnant du terrain électoral sur le parti social-démocrate (SPD), après avoir regroupé la gauche du parti et l’ancien parti communiste de l’Est (en savoir plus ici). Même s’il recherche le symbole, il serait hâtif de simplifier la démarche mélenchoniste en "Die Linke à la française".

Outre l’impertinence du parallèle, comme l’explique le chercheur Jérôme Fourquier dans une tribune au Monde, le sénateur lui-même déclare le modèle « intransposable » : « La seule chose que je vois dans l’expérience, c’est des gens qui ont le courage de rompre à temps avec la social-démocratie à la renverse et le but premier de créer un front électoral. On ne veut pas créer un grand parti, mais un parti complémentaire dans un front de gauche. »

Et d’expliquer par l’exemple : « L’idée, c’est de voir aux prochaines européennes un NPA autour de 10%, un front de gauche autour de 10% et un PS autour de 20%. Ça veut déjà dire que la gauche est à 40%, mais en plus cela obligera le PS à se déterminer par rapport à nous, et pas l’inverse. » Pour être convaincante, la démonstration devra éviter quelques écueils d’ici aux élections européennes.

« Nous avons pris nos responsabilités »

En bon tenant du « socialisme historique » qui se respecte, le parti de gauche s’est d’emblée tourné vers le PCF. Des discussions en vue d’un « front commun » aux élections, qui sont d’après Mélenchon le débouché logique du texte d’orientation voté en septembre dernier en vue de leur congrès du 13 décembre. Un texte qui déclarait alors vouloir « créer des fronts d’idées et de lutte le plus large possible ».

« C’est le PCF qui s’est rendu disponible en appelant à la discussion, par ce geste habile et discret. Nous, on a reçu le message 5 sur 5 et, une fois constaté que tout était bel et bien perdu au PS, nous avons pris nos responsabilités », explique celui qui avait en effet dessiné ce scénario lors de la Fête de l’Humanité, à la tribune d’une réunion organisée par l’Appel Politis.

Qu’en disent d’ailleurs les signataires de cet appel, qui réunissait les principales figures du "non de gauche" au référendum, moins la LCR en pleine mue partisane ? Elles sont sceptiques. Côté communistes rénovateurs, le maire de Sevran, Stéphane Gatignon, se fait sévère avec « cette réponse classique d’accord de partis, qui tend à sauver le soldat Marie-George Buffet, dans un schéma qui convient finalement tout à fait à la direction du PS : celui d’une force croupion qui viendra toujours le soutenir au second tour ».

Quant à l’écologiste Francine Bavay, si elle se « félicite qu’il quitte le PS », elle estime que « Mélenchon précipite les choses avec un nouveau parti finalement très pyramidal, et qui ressemble surtout à une petite officine devant lui permettre de discuter d’égal à égal avec le PCF et le NPA. Cette initiative est finalement très éloignée de l’esprit de l’appel Politis et rompt avec l’esprit des collectifs unitaires. En plus, je ne suis pas sûre qu’il y ait une communauté de points de vue sur l’immigration ou l’environnement ».

« Une nostalgie illusoire de la gauche d’il y a trente ans », pour le NPA

Du côté du NPA, futur ex-LCR, on n’est pas franchement enthousiaste non plus. Ainsi que le déclare Pierre-François Grond, dirigeant de la "Ligue" : « Il y a des perspectives d’action possibles, et c’est une bonne chose. Envisager davantage me paraît difficile. Il valide ce que nous disons et pensons du PS depuis longtemps, mais ce qui l’intéresse est visiblement le parti communiste. Et nous, on connaît le coût politique de tels accords, qui revient à aller sur leur ligne et pas l’inverse. »

Pour ce proche d’Olivier Besancenot, « cette construction est une nostalgie illusoire de la gauche d’il y a trente ans. Le PS est tellement à droite qu’il libère de l’espace politique pour plusieurs. Mais ça ressemble à un rassemblement de déçus qui n’arrivaient pas à se mettre d’accord auparavant. Le NPA cherche plutôt à s’adresser à la société ».

Etonnamment, Mélenchon ne dit pas forcément autre chose. « Je ne suis pas bête, je vois bien que Besancenot et moi avons des tempéraments différents. Je n’organiserais jamais les mêmes gens que lui et vice versa. Il s’adresse aux diplômés déclassés, au précariat, aux ouvriers. Moi, je parle plus aux cadres intermédiaires et aux retraités, mais qui sont tout autant en difficulté. C’est pour cela que je parle de "parti complémentaire". On verra plus tard si on peut faire la synthèse de nos engagements. Et puis, il ne faut pas oublier que la moitié des électeurs en 2012 auront 60 ans et plus… »

Mais le sénateur de l’Essonne, qui avoue son « plus grand respect pour le vrai militant qu’est Besancenot », dit toutefois « vouloir habituer l’autre gauche à sortir d’une logique de témoignage. Moi le premier, j’ai envie d’en finir avec ma culture minoritaire, et la révolution on doit la faire dans les urnes ».

Des comités, des réseaux thématiques et des cercles

Mélenchon ne se cache pas de vouloir « mener une blitzkrieg jusqu’aux européennes ». Pour cela, il défend un modèle d’organisation partisane basée sur « la souplesse ». Depuis son départ du PS, il a reuni le « comité fondateur » du Parti de gauche à quatre reprises en deux semaines. On y retrouve les « états-majors » de PRS, de Dolez, du Mars et Claude Debons. « Mais il n’y a pas vraiment d’enjeux de pouvoir et on intégrera de façon ouverte qui voudra nous rejoindre. On connaît les limites du système de courants de l’extrême gauche », sourit l’ancien trotskyste (tendance Lambert).

Il semble avoir déjà une idée précise des contours du parti, qui se créera officiellement en février lors d’un congrès fondateur. Comme Martine Aubry pour le PS, Mélenchon promet une « stricte parité hommes/femmes » sur les futures listes électorales. Un « enseignement socialiste », reconnaît-il, auquel il adjoindra « une parité entre + de 45 ans et - de 45 ans ». Avec la volonté de « cumuler plusiers formes de militantisme : les structures doivent rendre possible l’efficacité sur le terrain ». À la base, des « comités » (« on n’a pas voulu dire sections ») dont le périmètre correspondra aux circonscriptions législatives (« pour bien montrer qu’on est un pari de conquête de pouvoir »).

Puis, des « réseaux thématiques » seront créés à l’échelon régional et/ou national, afin d’alimenter la réflexion, tandis que des « cercles » de 5 à 10 personnes feront office de « structures de combat et d’action ». Les cotisations seront fonction des revenus (de 3 à 40 euros par mois, selon que l’on gagne moins de 1.000 ou plus de 3.000 euros). « Il faut être capable de ne pas imposer un modèle à tout le monde », résume Mélenchon. Avant de s’en aller, il lâche : « C’est très excitant, tout ça… »

Stéphane Alliès


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message