Manuel Valls : Sa théorie belliqueuse de l’ennemi intérieur est radicalement incompatible avec les principes républicains des Français

vendredi 5 mai 2017.
 

Septembre 2013 : Jean-Luc Mélenchon interpelle le président François Hollande sur le lien de cette terminologie d’ennemi intérieur avec la théorie du "choc des civilisations", chère aux néo-conservateurs états-uniens.

L’expression « l’ennemi intérieur » est une bombe.

J’ai interpellé solennellement le président dans mon discours aux estivales à Grenoble. Accepte-t-il ce concept "d’ennemi intérieur" que professe son ministre de l’intérieur ? Car les propos de Valls dans Le Parisien ne sont pas un dérapage. Il a régulièrement dénoncé un prétendu "ennemi intérieur" depuis plusieurs mois, en particulier à l’automne 2012 au moment de l’examen au Parlement de la loi anti-terroriste préparée sous Sarkozy et reprise par Valls. Dès le 12 octobre 2012, il a même utilisé cette expression lors de son discours de clôture du congrès du syndicat de police Alliance : "La menace terroriste est bien là, présente sur notre sol (…), en particulier dans nos quartiers populaires. Des dizaines d’individus sont, par leurs profils, susceptibles de passer à l’acte. Cet ennemi intérieur, nous devons le combattre". Il l’a ensuite utilisé au Sénat le 16 octobre en précisant qu’il "emploie cette terminologie à dessein" en parlant d’un "ennemi de l’intérieur". Il a continué à utiliser cette expression, à la tribune de l’Assemblée nationale comme le 6 février 2013, et du Sénat comme le 28 mai 2013.

L’affaire est grave. Des citoyens français peuvent être des délinquants, des criminels, et même des traîtres. De tout cela le pays est pourvu en effet, dans toutes les classes sociales. Mais pas des "ennemis intérieurs". Cette idée d’"ennemi intérieur" s’inscrit dans une logique globale. Celle du « choc des civilisations ». Cette théorie est celles des néoconservateurs états-uniens. Elle présente le monde comme organisés par des conflits durables entre grands blocs géopolitiques, grandes "civilisations". Elle cherche à assigner chaque individu à une "civilisation", les différentes civilisations reposant à la fin sur une religion. Dès le 23 octobre 2012 sur France Culture, Edwy Plenel alertait, assimilant Manuel Valls à "George Bush Junior". En désignant un "ennemi intérieur", Manuel Valls pousse à la suspicion généralisée. Et c’est bien nos concitoyens de confession musulmane qui sont dans l’œil du cyclone. Le discours du « Choc des civilisations », l’invention de l’opposition entre Islam et « Occident », ou sa variante « entre Islam et démocratie », visent à cela. Chaque Français de confession musulmane serait ainsi sommé de choisir entre sa fidélité à la République ou sa conviction religieuse. Cette logique de paranoïa généralisée est une bombe contre l’unité et l’indivisibilité du peuple français. Elle frappe aussi et d’abord nos compatriotes d’origine maghrébine, que Sarkozy repeignait en "musulmans d’apparence" comme si la religion de quelqu’un se lisait sur son visage, qu’un maghrébin ne pouvait être chrétien, juif, athée ou agnostique ou qu’un blanc ne pouvait être musulman. Et ainsi de suite.

Cette théorie belliqueuse est radicalement incompatible avec les principes républicains des Français. En effet, la France n’est pas une Nation "occidentale". Elle est une nation universaliste. Les droits de l’Homme et les principes énoncés par la République depuis la Révolution française, "liberté, égalité, fraternité", ont une vocation universelle. L’idée laïque s’oppose aussi frontalement à l’idée de "civilisations" définies par des religions et par « l’assignation à résidence ethnique » des citoyens en fonction de leurs convictions religieuses ou philosophiques. J’ai déjà expliqué tout cela dans mon livre publié en réplique au discours de Nicolas Sarkozy, chanoine de Latran en 2008. Je n’ai pas changé d’analyse.

J’ai encore eu l’occasion d’en parler aux Estivales du Front de Gauche lors de l’atelier sur l’OTAN auquel je participais. Car l’idée selon laquelle il y aurait un "ennemi intérieur" a des conséquences stratégiques radicales. Elle entraine une confusion entre les tâches militaires de Défense et les tâches de sécurité intérieure, entre les missions de l’armée et celles de la police et du renseignement. S’il y a un "ennemi intérieur" alors c’est que nous sommes en guerre. Et si nous sommes en guerre, alors c’est l’armée qui doit être mobilisée. Et pour pousser la logique jusqu’à l’absurde, ce sont les tribunaux militaires qui devraient être compétents, comme aux Etats-Unis. Cette dérive policière de la doctrine militaire doit être combattue absolument. Il en va de la fidélité aux principes républicains et laïques. L’indépendance de la France au plan géopolitique est également concernée dans le contexte. Car, bien sûr, le conditionnement psychologique que travaille ce discours forme un tout avec le reste de la préparation au grand marché transatlantique, à la stratégie militaire qui l’accompagne, à la normalisation qu’il exige. Valls n’est pas un épiphénomène.


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