« L’austérité est en l’état contraire au bon sens et dangereuse »

mercredi 21 août 2013.
 

L’Australienne Sharan Burrow, secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale, s’insurge contre les politiques monétaristes européennes.

Cinq ans après le début de la crise financière, le chômage explose presque partout en Europe, comment expliquer cela  ? Est-ce la faute aux politiques d’austérité  ?

Sharan Burrow. Les politiques d’austérité ont clairement démontré qu’elles ne fonctionnent pas. Pire, ces politiques précipitent les pays dans la crise et le chômage. Le taux réel des demandeurs d’emploi atteint les 20 % en Europe – et bien plus dans certains pays du Sud comme la Grèce et l’Espagne. Et le chômage des jeunes est encore bien plus fort (pas loin des 40 % en moyenne). Ce n’est plus seulement inquiétant, c’est un désastre et une tragédie. Les gouvernements et les institutions économiques internationales, comme le FMI, en portent directement la responsabilité. Alors qu’au début de la crise, en 2009 (G8 et G20), on nous promettait des actions coordonnées pour créer 30 millions d’emplois, quelques mois plus tard, les idéologues avaient déjà repris le dessus. On ne parlait plus que de rigueur budgétaire et, surtout, de discipline salariale et de baisse de la protection sociale. On s’en prend même aux droits syndicaux dont celui de négocier des conventions collectives. Ces attaques délibérées sur les revenus et les droits des travailleurs sont destinées à créer une très grande flexibilisation du travail et à en réduire le coût. Alors que l’argent public coulait à flots pour les banques, ces politiques ont abouti à la forte flambée actuelle du chômage et à une explosion des inégalités.

On tente souvent de relier ces politiques de rigueur et la réduction des coûts salariaux à la nécessaire compétitivité des entreprises. L’argument a-t-il un sens pour vous  ?

Sharan Burrow. Les entreprises doivent répondre à la concurrence par la qualité et l’innovation de leurs produits, par leur productivité et leurs investissements. Les études économiques démontrent toujours que les réductions des coûts salariaux n’ont qu’une influence très marginale sur la compétitivité des entreprises. Et, de toute manière, la simple augmentation des profits des entreprises n’a jamais créé en soi des emplois. C’est l’existence d’une demande – et donc de moyens de subsistance dignes pour les travailleurs – qui le permet. De plus, je note que les mêmes grandes firmes qui réduisent salaires et protection en Europe, au nom de la compétitivité, œuvrent activement dans les pays en développement pour y maintenir des bas salaires et des conditions de travail insoutenables. Bref, c’est une spirale de baisse de la qualité de vie pour tous les travailleurs à travers le monde. C’est d’ailleurs pourquoi il nous faut aussi aider les pays émergents à se forger un socle de protection sociale pour leurs travailleurs. Mais regardez, en revanche, les pays scandinaves (Suède, Norvège). Ce sont les pays les moins inégalitaires du monde avec une forte protection sociale. Or, la situation économique et de l’emploi y est bien meilleure que la moyenne européenne… Désormais, même l’OCDE estime que les inégalités sont devenues un vrai problème œuvrant contre les intérêts économiques et sociaux des pays et de la grande majorité des citoyens.

Les politiques d’austérité en Europe sont, pour vous, un grand échec, quel type de politique économique demandez-vous  ?

Sharan Burrow. L’austérité est, en l’état, contraire au bon sens et dangereuse. Nous ne nous opposons pas à la discipline budgétaire dans l’absolu, mais certainement pas en pleine crise et quand le chômage explose et qu’il nous faut d’abord des emplois  ! De fait, nous connaissons la recette. Nos gouvernants doivent engager des politiques centrées sur des investissements d’infrastructures et pour l’économie et les énergies vertes. C’est cela qui créera une demande et de vrais emplois – notamment pour les jeunes dont le chômage actuel est une vraie bombe à retardement. Nous avons demandé aux Européens d’engager 1 000 milliards d’euros pour des travaux d’infrastructures (routes, logements, hôpitaux… ), ce n’est là que la moitié de ce qui a été avancé aux banques. Il y a aussi des emplois à créer dans les services aux personnes et encore et surtout dans les énergies et l’économie vertes. C’est capital pour notre avenir et les emplois ainsi créés dans chaque pays ne peuvent être exportés…

Entretien réalisé par Ramine Abadi, L’Humanité


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