Jean-Luc Mélenchon : face aux affaires, "les citoyens doivent réécrire la règle du jeu"

vendredi 16 août 2013.
 

Tapie, Cahuzac, retrocommissions de Balladur, financement de la campagne de Sarkozy par la Libye de Kadhafi... Interrogé sur les « affaires », le coprésident du Parti de gauche dénonce un système qui « organise l’irresponsabilité à tous les étages ». Il appelle à nouveau à l’élection d’une Assemblée constituante « pour rédiger la Constitution d’une VIe République ».

HD. Affaire Cahuzac, affaire Tapie, nouvelles révélations sur l’affaire Karachi et le financement de la campagne de Balladur. Comment réagissez-vous à ce grand déballage ?

Jean-Luc Mélenchon. Même si elles sont différentes, ces affaires ne sont pas des cas particuliers. Ce sont des symptômes du pourrissement de la Ve République. En concentrant tous les pouvoirs sur un seul homme, ce système organise l’irresponsabilité à tous les étages. Il rend ainsi les institutions perméables avec la finance : une technocratie irresponsable navigue des banques et du commerce vers la politique via l’administration et par le copinage. L’UMP, le PS participent de cette oligarchie par leur politique autant que par leurs connivences de personnes. Mais l’affaire Cahuzac a montré aussi que la chaîne du mensonge commence au PS pour finir au FN.

Ce pourrissement des institutions par l’argent fait reculer le consentement à l’autorité dans l’ensemble de la société. Le peuple est systématiquement écarté du pouvoir au profit d’une oligarchie insubmersible, qui survit à toute alternance. Dans ces conditions, l’abstention de masse est une forme d’insurrection civique froide contre un système jugé illégitime. Face à une crise d’une telle ampleur, le changement ne peut pas être cosmétique. Les institutions doivent être entièrement refondées. Les citoyens doivent pouvoir réécrire la règle du jeu institutionnel et social, grâce à l’élection d’une Assemblée constituante pour rédiger la Constitution d’une VIe République. De la cité à l’entreprise et comme être humain responsable de l’écosystème, il s’agit de répondre à un objectif principal : assurer partout et tout le temps la souveraineté politique complète du peuple ! Et imposer l’intérêt général de l’humanité face aux intérêts mercantiles en coupant tous les liens possibles entre finance et politique.

HD. Vous avez récemment pris la défense de Jérôme Kerviel contre la Société générale. Pourquoi ? Selon vous, est-ce une nouvelle affaire d’État qui se profile ?

J.-L. M. Cette affaire illustre à nouveau la collusion entre les financiers voyous et le gouvernement UMP qui a couvert à l’époque les méfaits de la Société générale par l’intermédiaire de Christine Lagarde, en faisant payer le contribuable pour des pertes dont le montant et l’origine restent obscurs. Pour maquiller les pertes abyssales de cette banque dans les subprimes aux États-Unis, ses dirigeants ont chargé un homme qui spéculait hors norme comme la banque le lui avait appris. Kerviel n’est pas responsable de ce dont on l’accable. Cette affaire révèle que les grandes banques représentent désormais en France un danger pour l’économie réelle et la démocratie. Nous affrontons un cancer financier. Une stricte séparation des activités de banque de détail et de banque de marché permettrait de commencer à briser ces monstres. On en est très loin avec la loi Hollande-Moscovici sur les banques, qui est la plus favorable à la finance de toute l’Europe. La création d’un pôle financier public, y compris à partir de la nationalisation des activités de détail des deux plus grandes banques françaises, permettrait de réorienter radicalement le financement de l’économie. Et de tourner le dos à l’économie de casino dont ces banques sont devenues les principaux moteurs.

HD. Dans cette ambiance, la crise politique semble plus qu’acquise. Jugez-vous que la montée du FN en fait partie ?

J.-L. M. Le FN n’est pas seulement un bénéficiaire indu de cette crise. Il est directement lié aux causes de la crise. Voyez avec l’affaire Cahuzac : les Le Pen et leurs amis participent directement de cette oligarchie du fric, au point que c’est un proche de Mme Le Pen qui a ouvert le compte en Suisse de Cahuzac. Sans oublier que Jean-Marie Le Pen lui-même a déjà été condamné pour fraude fiscale. Et que Marion Le Pen a défendu les LBO (système qui permet le rachat à crédit des entreprises ou de leurs dettes) à l’assemblée. Le FN profite d’une crise car il est utilisé par le système politique UMP-PS et les médiacrates comme un chien de garde pour figer tout le paysage démocratique et empêcher l’émergence majoritaire d’autres forces politiques. Le PS utilise ainsi la menace du FN comme une assurance-vie. La principale machine à faire monter le FN est l’Élysée, où se décide une politique désespérante, et dans les directions de nombreux médias qui ont méthodiquement dédiabolisé le FN et m’ont couvert d’injures. Les médiacrates distillent des ingrédients qui alimentent directement le vote FN. D’abord, le déclinisme des experts et d’une grande partie des cadres PS et UMP qui installe un sentiment de décadence et d’impuissance. Ensuite, la recherche de boucs émissaires, arabes, juifs ou francs-maçons, que de nombreux médias, à commencer par de grands hebdomadaires, pointent du doigt, les uns pour leur pouvoir présumé, les autres pour la menace qu’ils représenteraient pour le pays. J’appelle à la résistance systématique face à ce lepénisme médiatique et à l’insurrection des consciences des journalistes eux-mêmes.

HD. Comment le Front de gauche peut-il répondre à cette crise ? Comment peut-il apparaître plus crédible qu’une classe politique qui semble se discréditer à droite et à gauche ?

J.-L. M. Je ne suis pas d’accord pour qu’on récuse globalement la « classe politique », notion qui ne correspond à aucune réalité homogène. Avec ses mesurettes inefficaces sur la publication du patrimoine des élus, Hollande a jeté la suspicion sur l’ensemble des élus. Cette réponse de Hollande à la crise Cahuzac est vraiment irresponsable. D’autant qu’ont été écartées dans le même temps des mesures simples et efficaces, dont certaines que Hollande, lui-même, avait reprises au Front de gauche pendant la campagne présidentielle. Je pense en particulier à l’interdiction des activités des banques dans les paradis fiscaux, que l’on attend toujours.

Nous ne devons pas avoir peur d’assumer que la responsabilité de notre déconvenue locale lors de l’élection législative partielle de Villeneuve-sur-Lot est exclusivement d’ordre national. Nous n’avons été les jouets d’aucune fatalité. Nous sommes une force nouvelle. La difficulté à aborder un combat nouveau est naturelle. Elle ne doit pas nous complexer. Pour être crédible le Front de gauche doit incarner partout une gauche sans complexes et sans casseroles. Il doit être identifié comme la force qui veut sans cesse redonner le pouvoir au citoyen et partager la richesse. La force autonome et conquérante qui n’a rien à voir avec le parti de l’argent qui lie PS, UMP et FN dans le même système oligarchique.

Entretien réalisé par Diego Chauvet


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