Si l’Equateur le peut, si petit et si exposé, comment se fait-il que la France se mette aux ordres ?

mercredi 31 juillet 2013.
 

En Equateur : Du chaud et du froid, des hauts et du bas

Comprendre, c’est déjà s’aider ! (titre original de l’auteur : Jean-Luc Mélenchon)

Mon programme prévoyait trois conférences au cours des trois premiers jours de ma présence en Equateur. Une traduction simultanée avait été prévue mais, pour finir, je m’en suis remis à l’indulgence des auditoires et je me suis exprimé en espagnol. Rude exercice ! Cependant, les questions traitées ne passionnent assez pour que j’ai eu le sentiment de pouvoir dépasser les butées de la langue. En premier lieu, il s’agissait de faire un point d’information sur la crise en Europe, sur ses origines et sur les différentes étapes de son développement jusqu’à ce jour. Il est essentiel pour nous de faire bien comprendre notre situation. La plupart du temps des interlocuteurs sont stupéfaits. Ce que je leur décris les renvoient aux très mauvais souvenirs des politiques d’ajustement structurel qui ont lamentablement échoué en Amérique du Sud après avoir détruit la plupart des sociétés. Ici ces politiques ont littéralement dévasté le pays en enfonçant une part essentielle de sa population non seulement dans la pauvreté mais de façon considérable dans l’extrême pauvreté. La secousse politique qu’il a fallu infliger au système pour s’en débarrasser a été considérable, transitant, entre autres choses, par l’expulsion en cours de mandat de trois présidents de la République. Mais le mal a été fait et beaucoup venait déjà de bien plus loin. Par conséquent, si puissante et déterminée soit l’action gouvernementale depuis le début des gouvernements de la révolution citoyenne du président Rafael Corréa, le pays n’est toujours pas totalement débarrassé des stigmates de cette extrême pauvreté. Il vaut mieux que nous le sachions pour nous même : on ne répare pas si vite les dégâts humains de la politique libérale. Ici elle perdure surtout dans les régions reculées du pays et dans les lieux inaccessibles comme ceux que j’ai pu voir dans la montagne. Et la montagne ici est partout. Les dizaines de chantiers ouverts de toutes parts et sur tous les fronts ne peuvent donner leurs fruits aussi vite qu’on le voudrait.

Quoi qu’il en soit mon récit sur l’Europe fait mouche. Nombreux sont ceux qui n’imaginaient même pas que puisse exister et être accepté un système comme celui qui s’applique à nous avec le traité budgétaire. J’avais déjà constaté cette stupéfaction en Argentine et en Uruguay. Ici l’étonnement s’accompagne d’une forme particulière d’indignation. En effet la société équatorienne est en train de construire un État digne de ce nom et toutes les étapes de la révolution citoyenne sont aussi celle d’une bataille acharnée pour l’indépendance et la souveraineté nationale. Ici on sait à quel point ces deux mots désignent en réalité la souveraineté populaire. Dès lors, l’idée que nous soyons obligés de soumettre le budget de nos pays, avant même qu’il soit examiné par les Parlement nationaux, devant la commission européenne, est toujours appris avec le mécontentement que l’on ressent lorsqu’on apprend que des mauvais traitements sont infligés à d’autres. Mais avant tout c’est la stupeur devant l’abaissement de notre pays. « De quoi ont-ils peur », se demande-t-on ? Car personne n’arrive à croire, comme je l’explique, que l’atlantisme est une conviction viscérale du nouveau président français. Tous sont nationalistes et beaucoup le croient socialiste et, du coup, ils comparent son comportement à ce que Rafael Coréa, leur président, a su faire en expulsant le FMI et la Banque mondiale du pays et même l’ambassadrice des Etats unis après la tentative d’assassinat dont il a fait l’objet. Si l’Equateur le peut, si petit et si exposé, comment se fait-il que la France se mette aux ordres ? Nous connaissons la réponse. Eux n’arrivent pas à y croire.

Cependant, la brutalité de l’union européenne est bien connue. Des négociations sont en cours. Ce ne sont pas les premières ! Mais les précédentes ont laissé un goût très amer du fait que l’arrogance absolument incroyable du négociateur européen anglais et des intrigues pour trouver le moyen d’opposer les uns aux autres les pays avec lesquels l’Union discute. Ici l’Union n’est pas le partenaire alternatif aux nord-américains dont tout le monde avait rêvé des deux côtés de l’Atlantique, du temps des illusions.

FLa salle était donc comble pour cette conférence d’information sur la situation européenne. En plus du ministre des relations extérieures, Ricardo Patino, qui intervenait à la tribune, un bon nombre de députés et de responsables politiques et administratifs de tous ordres se sont associés à nous. L’intérêt de tous ces dirigeants, leur goût de comprendre et de savoir, m’ont fait trouver encore plus amère l’indifférence que je rencontre si souvent en Europe à l’égard des expériences progressistes de l’Amérique du Sud. Je crois faire mon travail en faisant comprendre ici ce que nous sommes en train de subir et pourquoi ce qu’ils font, eux ici de leur côté, est si important pour nous en tant que point d’appui et source d’inspiration

Pour ma part je me considère en apprentissage auprès d’eux. Mais je sais bien que l’intérêt que nous leur portons est aussi pour eux un encouragement à agir. Si j’en crois ce que disent mes camarades, le récit argumenté de la déchéance de la social-démocratie en Europe, s’il commence d’abord par assombrir l’horizon, l’éclaire ensuite en faisant prendre à chacun conscience de sa responsabilité dans le moment présent et dans les actes concrets de la révolution citoyenne. De la sorte, ce genre de rencontre et ce travail commun enrichissent les deux côtés. Une autre conséquence mutuelle me semble devoir être soulignée. Dans ce genre de rencontre l’échange ne peut pas bien fonctionner si chacun se contente de voir midi à sa porte et se limite à présenter la situation qu’il affronte à partir des anecdotes qui la révèlent. Reconnaissons que c’est pourtant une tendance assez naturelle. En fait pour que l’échange puisse se faire authentiquement il faut que chacun de son côté fasse l’effort de donner aux événements dont il parle la signification générale qui peut concerner son interlocuteur. Cet effort d’universalisation reçoit ici un accueil particulièrement favorable. Dans le processus de la Révolution citoyenne en Equateur, plusieurs éminentes personnalités se sont donné le temps de la réflexion en même temps que celui de l’action. Ils écrivent, font des conférences, participent à des événements politiques à l’extérieur de leur pays. Je crois que c’est une caractéristique particulière du processus en Equateur. Et nous, de même, il nous faut travailler d’arrache-pied, et advienne que pourra, pour construire un plan et une méthode globale claire. Peut-être que l’après libéralisme n’est pas si loin. Peut-être que l’après Le Pen est plus proche qu’il n’y parait.


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