En Amérique latine, la nouvelle hiérarchie du monde est faite

jeudi 25 juillet 2013.
 

Pérou Rencontre avec Ollanta Humala, président de la République et honnête homme

L’action du nationalisme de gauche au Pérou

La discussion sur l’interdiction de survol de la France par l’avion d’Evo Morales a été rapide. Pour Ollanta Humala, comme pour ses collègues, si j’ai bien compris, cela est assimilé à une grosse bourde ridicule commise sous la pression des nord-américains. L’image de la France sort terriblement amoindrie de cette affaire. Désormais nous sommes classés dans la catégorie des petites mains de l’Empire. L’effet Villepin est mort. Il m’a rappelé qu’en tant que président de l’UNASUR, il a fait adopter un communiqué unanime des chefs d’État de l’Amérique du Sud pour condamner cette décision. C’est un texte dur. À ce moment-là, je lui ai demandé s’il ne s’était pas isolé des autres chefs d’État de la « vague démocratique » en n’acceptant pas l’idée d’un sommet de tous les chefs d’État. Il m’a répondu très calmement et très tranquillement. « Je travaille bien avec tout le monde. Je me suis toujours bien entendu avec Chavez et maintenant avec Nicolas Maduro. Je n’ai pas de problème avec eux. En tant que président d’UNASUR, je devais arriver à un résultat unanime. Il n’y avait pas unanimité pour tenir un sommet de tous les chefs d’État d’UNASUR ! Je pense que si nous avions fait voir de la division, la situation aurait été très mauvaise. Bon, après cela, il y a eu un sommet à Cochabamba où se sont retrouvé un certain nombre de chefs d’État, mais ce n’était pas dans le cadre d’UNASUR. Ils étaient quatre en tout ! Maduro lui-même était en Biélorussie. » La « chancelière », ministre des affaires étrangères a beaucoup insisté sur le fait qu’il fallait retenir la condamnation unanime et sans ambiguïté plutôt que les critiques et disputes éventuelle à propos de la tenue ou non d’un sommet des chefs d’Etat de l’UNASUR. Elle souligne que la convocation d’un tel sommet répond à des règles de convocation qui s’impose en tout premier chef à celui qui préside à ce moment-là l’UNASUR. Je livre ces arguments à l’appréciation de ceux qui me lisent et sont très attentifs à tout ce qui s’est passé ici autour de cette affaire où notre pays s’est si mal comporté. Je le fais pour éviter la sale besogne de tous ceux qui ont intérêt à diluer le problème posé par l’abaissement atlantiste de la France dans une autre discussion, qui n’a pas lieu d’être, à propos du degré de condamnation réel que la décision française a provoqué, ici en Amérique du sud !

Nous sommes allés aussi un peu davantage sur le fond à propos de géopolitique. Pour bon nombre de nos amis, l’alliance privilégiée par Ollanta Humala est vécue comme un axe opposé à celui qu’ils défendent. Pourtant, lui présente sa participation à l’alliance pour le Pacifique avec le Chili et la Colombie comme une décision sans contenu idéologique. Pour lui, cet accord résulte des intérêts du Pérou « en tant qu’économie ouverte », selon sa façon de nommer les choses. D’après lui, les géants de la région comme l’Argentine ou le Brésil ne sont pas dépendants comme le Pérou de leur ouverture sur le reste du monde. Je lui ai demandé si c’était un problème que la vie au côté d’une superpuissance comme le Brésil. Il m’a répondu que c’était à eux, tous les autres, de trouver la façon positive de vivre avec cette situation.

Il m’a rappelé que dorénavant la Chine était le premier partenaire du Pérou devant les États-Unis d’Amérique. La bifurcation du monde est commencée ici. Dans ces conditions, selon lui, certaines batailles, ne sont pas celles du Pérou. J’ai bien compris qu’il classait la polémique et les bras-de-fer avec les États-Unis d’Amérique dans cette catégorie de faits qu’il nomme « idéologiques ». Bien-sûr, je ne suis pas d’accord. Les Chinois n’espionnent pas tout le monde, ils ne déclenchent pas de coup d’état, ils n’essaient pas d’assassiner les chefs d’état qui leur déplaisent, ils ne font d’embargo sur aucun pays au monde, ils n’ont aucune base militaire en Amérique du sud. Ils n’ont jamais colonisé personne ici. Les Chinois posent d’autres problèmes. Ollanta Humala le sait bien, j’en suis certains. Mais à plusieurs occasions il a précisé sa pensée : « le Pérou ne peut pas être un simple fourgon dans un train dont il n’a pas la direction ». Je pense que dans la conscience nationaliste du président péruvien, aucun leadership régional n’est acceptable. Je pense que sa priorité est là.

J’ai trouvé le président péruvien très serein et détendu. Aucun sujet de notre conversation n’a créé de tension en lui ou dans ses propos. Il n’avait pas de cravate, il était très souriant. Il parlait bien assis au fond de son fauteuil et son visage ne portait aucun des stigmates du stress ou de la grande fatigue des personnes qui agissent à son niveau de responsabilité. Pourtant c’était samedi, le soir, et il était de retour d’un déplacement en province. Il est sec physiquement et ses mouvements sont très déliés. Il se tient très droit et cela m’a impressionné comme le premier jour où je l’ai rencontré dans la gare de Strasbourg, il y a deux ans. Il me dit en début de la conversation que lui et sa femme, Nadine, avaient un bon contact populaire. De fait dans les enquêtes d’opinion, aucun président péruvien n’a été aussi haut deux ans après son élection. A l’évidence il surplombe une scène politique confuse où la corruption bat encore son plein. Sa réputation d’intégrité le place à part de ce monde. Sa politique a quasi éradiqué l’extrême pauvreté et fait monter une classe moyenne qui avait été détruite dans les années précédentes par l’hyper inflation et le chaos politique. Il sait que cette classe moyenne nouvelle présente à son tour des exigences impatientes en matière de qualité du service public et de présence de l’État. Il a bien capté l’exemple de la situation brésilienne. « Il n’y a rien d’autre à faire que de continuer à développer un niveau de bien-être et une qualité de service public et d’infrastructures. Pour cela il me faut une économie en ordre et beaucoup de recettes fiscales. » C’est sa manière de voir et de dire les choses.


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