Les affaires, symptôme des vices de nos institutions actuelles

jeudi 25 juillet 2013.
 

Du balai la Ve République !

Certaines idées reçues ont la vie dure. A écouter les commentateurs politiques, les affaires Tapie, Bettencourt, Cahuzac, Karachi, Guéant, Guérini etc. ne seraient que des affaires « individuelles ». En réalité, ces affaires sont bel et bien le symptôme de dirigeants politiques qui ont perdu tout sens de l’intérêt général : ainsi, ils sont capables de tout pour gagner ou conserver le pouvoir, voire pour s’enrichir personnellement. C’est bien un système, celui des institutions monarchiques de la Ve République, qui est en cause : du balai !

1) La Ve république et son monarque républicain : l’irresponsabilité comme mode de décision

La constitution de la Ve République a été taillée sur mesure pour un homme, le général de Gaulle, qui se voulait un recours providentiel dans une période de crise due à la guerre d’Algérie. Le président est donc un monarque électif qui concentre tous les pouvoirs : il nomme le gouvernement, peut dissoudre l’assemblée, gouverner par décret, etc. Or les institutions de la Ve République érigent l’irresponsabilité en mode de gouvernement. Une fois élu, le président de la République peut renier ses engagements : il n’est responsable ni devant le parlement, ni devant les électeurs avant cinq ans – et encore, sous réserve qu’il soit candidat à sa succession !

Mais le président est aussi au sommet d’une pyramide qui favorise copinage et affairisme car, dans ce régime, pour bien réussir sa carrière, il faut être l’ami du prince. Sarkozy était le champion des nominations renvois d’ascenseur : rappelons-nous qu’en 2009 il a même tenté de faire nommer son fils à la tête de l’EPAD (Etablissement Public d’Aménagement de la Défense). Hollande n’est pas en reste : on retrouve aujourd’hui des diplômés de sa promotion à l’ENA partout, comme secrétaire général de l’Elysée, ministre du travail, patron de la Banque publique d’investissement ou le délégué interministériel à l’intelligence…

Pour rétablir la responsabilité politique au cœur de l’action publique, nous voulons donner aux citoyens la possibilité de convoquer un référendum révocatoire à tous les niveaux du système politique représentatif. Déjà inscrite dans de nombreuses constitutions, notamment en Amérique latine et dans certains états américains, cette disposition permet aux électeurs, après demande par pétition d’un nombre significatif d’entre eux, de soumettre la révocation de leurs élus à référendum. Cette disposition permet aux citoyens de garder un moyen de contrôle sur le pouvoir qu’ils ont délégué. Véritable épée de Damoclès, elle inciterait donc les élus à faire campagne à partir de programmes et d’objectifs politiques clairs et de s’y tenir malgré les diverses pressions extra-démocratiques, notamment financières, qui s’exercent sur leur mandat. Elle permettrait aussi de sanctionner ceux qui ne tiennent pas leurs promesses !

2) La personnalisation à tous les échelons : une République de potentats locaux

Le système pyramidal de la Ve république décline l’irresponsabilité du « chef » aux autres institutions.

Tout dans les institutions semble fait pour renforcer la personnalisation à tous les échelons. Le scrutin uninominal (députés, conseillers généraux) organise l’élection autour de la recherche d’hommes (plus rarement de femmes) capables de « raconter une histoire » et de « redresser » le pays / le canton. Cette personnalisation gagne même les scrutins de liste et participe de la dépolitisation de la vie politique. Le droit lui-même définit les compétences des institutions de façon toujours personnelle (le président, le ministre, le président du conseil régional / général, le Maire etc…). Tout concourt donc à l’émergence sur tout le territoire de potentats locaux dont la décentralisation a accentué les pouvoirs.

Ces « princes locaux » sont souvent spécialistes du cumul des mandats, simultanément et dans le temps. Ils agrègent ainsi des ressources diverses (réserves parlementaires, nominations et recrutements, marchés publics) qui les rendent capables de distribuer des avantages pour récompenser la fidélité des uns et des autres. A tous les échelons se retrouve donc ce phénomène de cour et de copinage… et les affaires qui vont avec !

Il faut revoir intégralement les modes de scrutin, la question du nombre de mandats cumulables et exercés dans le temps, pour démocratiser réellement l’accès aux fonctions politiques. C’est en pratiquant l’élection à la proportionnelle que nous pourrons inventer des modes d’exercice collectif du pouvoir mais aussi garantir une vraie représentativité sociale des élus et aller vers un réel renouvellement des élus du peuple.

3) Une République des élites et des conflits d’intérêts bâtie sur la peur du peuple

Le mythe de l’homme providentiel qui fonde toutes nos élections a aussi pour conséquence un haut degré de dépossession politique. Le rôle politique du peuple se cantonne à la remise de soi : à chaque élection, il n’est invité qu’à choisir celui qui décidera mieux que lui. Tout le système politique organise en effet la mise à distance du peuple. D’abord, dans la monarchie quinquennale aggravée par l’inversion du calendrier et le scrutin majoritaire, l’Assemblée nationale devient une chambre d’enregistrement à la botte du Président de la République et de ses conseillers. Elle est loin d’être représentative : 45% des électeurs qui se sont exprimés aux dernières législatives et près de 70% des électeurs inscrits y sont sous-représentés voire pas représentés du tout ! Et quand bien même l’Assemblée nationale serait véritablement souveraine et représentative, le bicamérisme (existence de deux chambres au Parlement : l’Assemblée nationale et le Sénat) permet encore de brider l’action législative des représentants du peuple et d’empêcher les votes radicaux d’une nouvelle majorité. Quant au référendum sous la Ve, il symbolise précisément cette peur du peuple : le peuple n’est jamais à l’initiative de la question et quand il ne répond pas selon la volonté des gouvernants, comme en 2005, on passe outre son veto. Pas étonnant dans ces conditions que l’abstention progresse ! Ecarter le peuple, et notamment les classes populaires, est bien un des fondements de ce système en décomposition…

La professionnalisation de la vie politique est l’autre conséquence de cette peur du peuple qui traduit la captation du pouvoir par une véritable oligarchie. Or les professionnels de la vie politique sont le produit du système des grandes écoles et constituent une « noblesse d’Etat » conformiste et sûre de son bon droit. Ce sont aussi ces origines communes et des réseaux d’amitiés des élites politiques avec les élites économiques, administratives, journalistiques qui favorisent ce copinage voire les conflits d’intérêt d’autant que souvent ces élites circulent d’un espace à l’autre (par exemple énarques qui passent de cabinet ministériel vers le secteur privé). Cet entre-soi social explique aussi le partage d’une même vision politique sous la coupe du MEDEF et de la commission européenne, avec ses variantes de « droite décomplexée » avec Sarkozy ou de « droite complexée » avec les solfériniens actuels. Cette « classe politique » est incapable de prendre en charge les aspirations populaires et la conflictualité démocratique.

Seule une réforme radicale du mode de scrutin et une démocratie fondée sur l’implication permanente des citoyens pourrait éviter la formation de cette caste politique. Les citoyens doivent conquérir des nouveaux droits, dans la vie politique comme dans leur vie sociale et professionnelle. Mais la méthode est tout : c’est bien une Assemblée constituante qui devra proposer ces nouvelles institutions, en déclenchant un élan de participation et d’implication citoyenne qui redonnera son existence civique au plus grand nombre.

* * *

Cette critique radicale de la Ve République, vous ne l’entendrez nulle part ailleurs : PS, UMP, FN… tous d’accord pour continuer à profiter en silence. Sans doute parce qu’ils sont tous touchés par les affaires, l’UMP en tête, mais le PS aussi… D’ailleurs le PS affirme même qu’il ne veut pas toucher à l’« équilibre » général des institutions. Quant au FN, il ne propose absolument pas de renverser le régime, mais, en bon opportuniste, il compte juste profiter du système à la place des autres, comme l’ont montré les nombreuses affaires dans les mairies FN. On l’a encore vu dans l’affaire Cahuzac : le compte en Suisse a été ouvert par Péninque, un très proche de Marine Le Pen ! Le FN a aujourd’hui les pratiques de ceux qu’ils dénoncent et rêve juste de faire pareil une fois au pouvoir !

Sylvie Aebischer, Boris Bilia et Marc Duval


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