Souvenir de Lima : la comédie du pouvoir

lundi 22 juillet 2013.
 

J’ai déjà fait halte pour de bon à Lima dans le passé. Je voyageais en première classe ! Et quelle classe, mes amis ! C’était dans le Concorde. J’étais l’invité de François Mitterrand, alors président de la République. On fit halte l’équivalent d’une nuit à Lima après être passés à Montevidéo et à Buenos Aires où j’ai entendu dans le hall du Congrès chanter, a capella, la plus belle Marseillaise de ma vie. Ce soir là à Lima, il y eut un diner d’Etat à vrai dire crépusculaire. En effet un attentat du « Sentier Lumineux » contre l’alimentation électrique de Lima et la panne d’une partie des groupes électrogènes de la présidence péruvienne ne laissait vivre que quelques pauvres lumignons jaune sale. Dans la pénombre incertaine qui régnait, la moitié de la délégation française dormait lourdement. Le décalage horaire avait fauché jusqu’aux plus braves !

Le président péruvien qui nous recevait était Alan Garcia, un arriviste sans scrupules qui avait gagné les élections à gauche et gouvernait bien sûr à droite. Mais il n’était pas encore le corrompu et meurtrier qu’il est devenu ensuite et que la droite fit même réélire dix ans plus tard.

J’observais tout et tout le monde avec l’envie d’apprendre quelque chose que je ne saurais pas, surtout dans de telles circonstances et en un tel lieu, supposant que c’était pour cela que j’étais invité du président. J’écarquillais les yeux et les oreilles, le voyant faire, impérial, sa demie heure de discours impavide. Il était notre pays lui-même.

Mais j’ai aussi le souvenir d’une bonne leçon concernant la comédie du pouvoir.

Comédie, c’était tous ces personnages de la cour technocratique se battant avec acrimonie pour avancer vers des honneurs dérisoires, comme la taille de la voiture qui les transporterait, s’il y serait seul ou accompagné, la proximité vers la table des chefs. Les jabots gonflés, les plumes bouffantes, les attaché-cases de l’époque claquant d’importance : c’était une agitation de chaque instant. Vains dieux ! Comme ma mauvaise mine de débutant et mon air de provincial les exaspéraient ! On s’enquérait ici et là pour savoir de qui j’étais l’amant ou le protégé pour être parvenu si vite si haut. D’aventure, l’un ou l’autre s’enhardissait jusqu’à m’adresser la parole ayant remarqué les amabilités de notre chef à mon égard et l’air taquin qu’il prenait en s’adressant à moi.

Je mettais mon point d’honneur à régaler les faquins d’un peu de catéchisme marxiste dont j’étais alors bon débitant. Rien n’était plus suave que leurs mines consternées. Rien, sinon les sottises post-pubertaires qu’ils se sentaient du coup obligés de me servir pour parler de leur engagement à gauche en 1968. Avec tous les pavés qu’ils m’ont prétendu avoir jetés, croyant me plaire, on referait la grande muraille ! En réalité, la plupart étaient déjà de frénétiques opportunistes prêts à tout pour pantoufler, comme ce fut le cas en effet de plus d’un qui se trouvaient là. Inutile de préciser qu’une foule d’entre eux furent des premiers à maudire ensuite celui dont ils avaient si vigoureusement léché les mains.

J’ai appris à reconnaitre cette engeance à sa seule façon de rabattre une mèche ou de prendre son couvert à table. Je les vois pulluler dorénavant à gilet déboutonné. Ce monde-là, c’est le vieux linge qui empoisse toutes les hautes étagères de la société. Et je crois bien qu’ils ont appris à savoir de quoi il retourne avec moi, qui suis d’autant plus dangereux à leurs yeux, comme l’a dit un d’entre eux : « il croit vraiment ce qu’il dit », ce qui ne vous apprend rien sur moi, mais combien sur eux !


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