28 Juin 2013 D’erreurs en illusions, un Conseil européen pour rien

dimanche 14 juillet 2013.
 

Le Conseil européen des 27 et 28 juin, réunissant les chefs d’États ou de gouvernements des pays de l’Union, ainsi que son président et l’inénarrable Jose Manuel Barroso, a consisté en une séance d’auto-persuasion confinant à l’hallucination collective.

Sans surprise, le Conseil a repris ses éternelles ritournelles libérales de réduction des revenus directs et indirects des salariés, de contraction budgétaire et d’imposition autoritaire de programmes politiques européens. Soit, en langage technocratique : « alléger la fiscalité sur le travail, y compris, le cas échéant, en réduisant les charges sociales », appui aux « efforts déployés par les États membres qui devraient atteindre leurs objectifs budgétaires », approbation des « recommandations par pays », les représentants des Etats s’engageant à « traduire ces recommandations dans les décisions qu’ils prendront sur les budgets, les réformes structurelles et les politiques sociales et de l’emploi ».

La crise s’approfondit, mais rien ne change. Toutefois, trois points méritent une analyse plus poussée.

Premièrement, la problématique du chômage des jeunes qui a été fortement mise en avant. Avec 27 millions de chômeurs européens, dont 5,6 millions de moins de 25 ans, pas moins d’un quart des jeunes européens sont au chômage. Dans des pays comme l’Espagne ou la Grèce, c’est la moitié. Le temps presse : l’Union entend obtenir quelques maigres résultats pour défendre sa « stratégie de Lisbonne », largement en échec.

Les plans d’austérité ne sont pas pour autant remis en question. Le Conseil européen a préféré, au terme d’un bras de fer avec la délégation allemande, débloquer une enveloppe de 8 milliards d’euros sur 2 ans, pour une « garantie jeunesse » permettant une formation ou un emploi pour chaque jeune dans les 4 mois suivant la fin des études ou la perte d’emploi. A titre de comparaison, ce montant équivaut à moins de la moitié du dernier plan d’austérité en Grèce (18,3 milliards). Réservée aux régions qui enregistrent un taux de chômage des jeunes supérieur à 25%, l’enveloppe devrait être ainsi répartie : Espagne (940 millions), Italie (600 millions) et France (400 millions). Un saupoudrage, des sommes inadaptées aux objectifs, aucune vision industrielle ou objectif planifié, un contexte de politiques macroéconomiques récessives : cette « garantie jeunesse » ne représente qu’un minuscule détail dans la fresque européenne de l’austérité massive.

En second lieu, l’accord des ministres des finances sur les faillites bancaires et l’Union bancaire elle-même ont été approuvés en l’état. Rappelons que l’UE a dépensé un tiers de son PIB annuel pour sauver des banques entre 2008 et 2011. Aucune leçon n’en a été tirée. Si les créanciers et actionnaires devront subir un niveau de perte minimum (8 % du passif de la banque), les déposants constituent désormais officiellement des contributeurs « en dernier recours » sur les dépôts dépassant 100.000€. Toutefois, l’exemple chypriote révèle qui sont les victimes de ce type de manœuvres : PME, TPE, collectivités territoriales, universités, dépôts de recherche scientifiques. La possibilité d’une intervention du MES (Mécanisme européen de stabilité) reste ouverte.

Néanmoins, tout ceci concerne les résolutions bancaires, c’est-à-dire des mesures d’urgence une fois les banques déjà en difficulté. Le montant très faible du MES (60 milliards consacrés aux recapitalisations des banques, alors que les créances pourries se comptent en milliers de milliards…) et la limitation de son intervention à 5 % du passif des banques lui imposeront d’œuvrer main dans la main avec la BCE et le FMI, en bref, de se joindre à la Troïka, et d’éviter tout assainissement via un contrôle public et démocratique du secteur européen du crédit.

Il s’agit là d’une victoire de la position allemande : pas de solidarité (rien ne suffirait à enrayer l’effondrement du secteur bancaire d’un petit pays de l’Union), grandes banques trop importantes pour être recapitalisées ainsi, réseaux de petites banques interconnectées exemptées des dispositions de l’Union bancaire (les banques régionales allemandes, par exemple), absence de régulation des activités bancaires elles-mêmes. Le « débat sur le renforcement de la zone euro » a été renvoyé à une date ultérieure : après les élections allemandes.

Enfin, élément révélateur des croyances collectives des dirigeants européens, ces derniers ont examiné la demande d’adoption de l’euro par la Lettonie, à compter du 1er janvier 2014. Le Conseil a alors livré cet exercice d’enfumage incroyable : féliciter la Lettonie pour « une politique économique, budgétaire et financière saine et [noter son respect de] tous les critères de convergence prévus dans le traité ». La réalité ? Au pic de la crise, le PIB de la Lettonie s’est effondré de 25 %, avec un chômage à 20% de la population active, au même niveau que la Grèce ou l’Espagne. Cependant, la croissance est repartie à la hausse à partir de 2011, mais pour des raisons diamétralement contraires aux recommandations européennes !

Après son entrée dans l’UE en 2004, la Lettonie a été submergée de crédits suédois jusqu’à ce que l’endettement privé letton dépasse les 160 % du PIB, l’endettement des ménages seul ayant triplé de 21,7 % du revenu en 2003 à 70,8 % en 2008. Au début de la crise, le reflux des capitaux étrangers (et, donc, leur libre-circulation) a conduit à la récession économique. Un plan d’austérité d’une violence inouïe a été mis en œuvre, incluant baisse de certains salaires jusqu’à 80 %, fermeture de collectivités territoriales et d’hôpitaux, hausse de 4 points de TVA. Au lieu d’une dévaluation monétaire, une dévaluation fiscale a été imposée. D’où la récession, l’explosion du chômage et le doublement de la dette publique.

En réalité, la Lettonie a renoué avec un excédent courant (mais pas avec sa production d’avant-crise) pour plusieurs raisons étrangères à l’austérité : inflation rognant la dette, effondrement des importations dues à la récession (les habitants ne pouvaient plus acheter de produits étrangers), aides européennes pour éviter une dévaluation de la monnaie lettone (et une diminution de la valeur des actifs suédois), et, d’après les économistes Weisbrot et Ray[1], absence de réelle austérité budgétaire en 2009 et 2010 (« La principale chose que les Lettons ont fait, c’est qu’ils n’ont pas accompli ce qu’ils avaient promis au FMI et aux autorités européennes »).

Ainsi, le gouvernement français, complice de ces orientations politiques, a continué son double jeu schizophrénique dans la perspective des prochaines élections européennes : attaquer Barroso à Paris, saluer son travail à Bruxelles en adoptant des documents qui révèlent l’ampleur de sa soumission à la pensée libérale européenne.

Habrien Toucel

[1] Mark Weisbrot, Rebecca Ray, Latvia’s Internal Devaluation : A Success Story ?, Center for Economic and Policy Research


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