Le changement, c’est comment  ?

samedi 13 juillet 2013.
 

Le capitalisme mondialisé, fondé sur la lutte de tous contre tous et de tous contre la nature, amène les sociétés humaines et les écosystèmes au bord d’un effondrement annoncé. Ce constat ne fait pas débat parmi les participants des assises qui se tiennent à Montreuil, le 16 juin, à l’opportune invitation du Front de gauche, et nous n’y reviendrons pas ici. En revanche, les controverses sont importantes sur la question stratégique  : quelles alternatives proposer  ? Et comment les faire advenir  ?

Sur le premier point, on connaît les controverses  : productivisme «  soutenable  » ou décroissance des consommations énergétiques et matérielles  ? Nucléaire et gaz de schiste ou sobriété et efficacité énergétique  ? Relance par le pouvoir d’achat individuel ou priorité à la réduction du temps de travail et des inégalités, à la transformation radicale des modes de production et de consommation  ? Toilettage des institutions ou enclenchement de processus de démocratie directe et délibérative et de contrôle citoyen sur les élus  ? Rejet de la construction européenne ou recherche de nouvelles solidarités entre les peuples  ? Etc.

Mais le deuxième point, celui de la stratégie de transformation et, en particulier, la question des rapports entre mouvements sociaux et partis politiques, surdétermine sans doute les débats précédents. Partons à titre illustratif une phrase tirée du projet d’appel à ces assises qu’avait soumis initialement le Front de gauche à ses partenaires potentiels, politiques, associatifs et syndicaux  : «  Les énergies existent dans le pays pour engager une véritable politique de transformation sociale et écologique. Nous souhaitons les mettre en mouvement, engager un processus qui favorise l’implication citoyenne et celle du mouvement social.  »

Une certaine conception du lien entre social et politique est ainsi résumée. «  Les énergies existent  », mais elles attendent, pour «  se mettre en mouvement  » et «  s’impliquer  », les initiatives des dirigeants – politiques en l’occurrence. Cette conception, qui ne fait pas l’unanimité au Front de gauche, nous semble néanmoins représentative d’une culture politique fortement présente.

Pour faire bref, le problème à notre sens est la faible place accordée aux pratiques sociales alternatives émergentes dans la stratégie de transformation sociale. Pour nous, il ne s’agit pas de faire «  plus  » (plus de croissance, plus de pouvoir d’achat, plus d’emploi, plus d’économie verte…) mais de faire «  autrement  ». Il s’agit non seulement de redistribuer les richesses mais en même temps de bouleverser les modes d’évaluation, de production et de consommation de ces richesses. Il s’agit non seulement d’améliorer les modes de scrutin et de mieux éclairer le vote des citoyens mais surtout d’accepter qu’ils deviennent eux-mêmes les acteurs des décisions qui les concernent.

Dans cette optique, la politique, ô combien nécessaire, d’un gouvernement de gauche authentique n’aura pas d’effets transformateurs si elle ne se fonde pas sur une stratégie de généralisation des pratiques sociales émergentes.

Notre conception de l’action politique n’est pas de constituer un front rassemblé derrière des leaders charismatiques qui proclament «  nous pouvons  ». Il s’agit bien plutôt de partir des initiatives concrètes prises par des millions de citoyens, sur leurs territoires, dans leurs quartiers, dans leurs entreprises et associations, dans leurs réseaux réels ou virtuels, dans les services publics, pour renforcer leur pouvoir d’agir.

L’exemple de la transition énergétique est édifiant. Alors que s’est engagé un non-débat national à l’initiative du gouvernement, les multiples initiatives citoyennes, pourtant représentées avec leur expertise, se sont trouvées ignorées ou marginalisées par des alliances plus ou moins tacites entre les lobbies de l’énergie et une grande part du mouvement social et politique.

L’autonomie revendiquée par des mouvements sociaux n’est ni une coquetterie ni un abandon du politique. Elle exprime le fait que le champ du politique n’est pas seulement celui de l’accès au pouvoir avec un programme commun, élaboré à quelques-uns. Il est aussi celui d’une société qui tente de reprendre sa vie en main, dans tous ses aspects. Et parfois de manière inattendue comme le montrent les événements récents de Turquie, comme l’ont montré d’autres événements du même type. L’expérience du XXe siècle nous a instruits du fait que les nécessaires changements politiques ne peuvent réellement advenir sans une société en mouvement. Assurer les convergences, se renforcer mutuellement, n’adviendra pas de la création d’un bloc social et politique derrière une direction unifiée autour de quelques mots d’ordre, mais de notre capacité, en assumant tous pleinement notre rôle, là où nous sommes, d’élargir ce mouvement.

Geneviève Azam et Thomas Coutrot


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