Comment l’Etat peut-il combattre le chômage ? L’Etat, employeur en dernier ressort

jeudi 27 juin 2013.
 

La grande récession dans laquelle les économies riches sont entrées en 2007 s’est muée en dévastation sociale en Europe. Aucune éclaircie ne pointe à l’horizon. Le fléau de la pénurie d’emploi en est l’expression la plus criante. Il n’y a là aucune fatalité. Du budget 2013 à "la trahison" de Florange, le gouvernement Ayrault reproduit des choix qu’il faut expliciter.

Le premier, le plus débattu, est celui de l’austérité. La stratégie déflationniste de sortie de crise voulue par les élites européennes ne peut que conduire à une longue et douloureuse récession.

Au lendemain d’une crise financière, les agents privés sont contraints de se désendetter ; si l’Etat vient en sus contracter ses dépenses, la spirale dépressive ne peut que s’aggraver. Depuis quatre ans, les prévisions de la "troïka" (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international) ont été systématiquement invalidées par les faits, en raison précisément du refus de considérer ce mécanisme élémentaire de la macroéconomie.

Une récente étude du FMI vient d’ailleurs de le reconnaître. Alors que l’austérité se généralise sur le continent, il n’y a donc pas la moindre chance que les promesses de François Hollande sur le retournement de la courbe du chômage en 2013 soient tenues. Est-ce une fatalité ? Certainement pas.

Hyman Minsky fut sans doute l’économiste le plus célébré lors de la crise financière. Dès le mois d’août 2007, le Wall Street Journal a donné le signal de cette gloire posthume. Depuis, la clairvoyance de celui qui, dans les marges de l’académisme économique, expliquait que la finance génère nécessairement de violents cycles déstabilisateurs, n’a cessé d’être louée.

Une des premières formulations de son hypothèse d’instabilité financière se trouve dans un article de 1973, "The Strategy of Economic Policy and Income Distribution" (Conduite de la politique économique et distribution des revenus) publié dans Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 409.

DEUX STRATÉGIES DE LUTTE CONTRE LE CHÔMAGE

Dans cet article, Hyman Minsky identifie deux stratégies de lutte contre le chômage riches d’enseignements pour aujourd’hui. Dans la première, "la croissance économique est considérée comme souhaitable et le taux de croissance est déterminé par le rythme de l’investissement privé, ce qui conduit à mettre l’accent sur l’investissement privé comme moyen privilégié pour atteindre le plein-emploi".

La politique de relance a ainsi pour but de retourner les anticipations de profits des investisseurs afin de permettre à l’accumulation de repartir. Cela passe par des déductions fiscales sur les investissements, des commandes publiques - typiquement dans l’armement ou le BTP, des subventions pour les secteurs de la construction ou pour la recherche & développement.

A ses yeux, cette stratégie a de nombreux défauts : elle conduit à accroître la part du capital dans le revenu global, nourrit des relations financières instables, contribue à l’accroissement des inégalités de salaires et à la diffusion du consumérisme, et peut, en outre, provoquer de l’inflation.

Aujourd’hui, ces politiques buttent sur les limites de la croissance capitaliste : l’épuisement de la dynamique industrielle dans les pays riches, la hausse de la demande pour les services de production de l’homme par l’homme (santé, loisir, éducation...) et la dégradation des conditions écologiques s’ajoutent à la tendance séculaire au ralentissement de la productivité, et imposent de repenser fondamentalement ce que pourrait être, à l’avenir, la dynamique économique.

L’autre stratégie de lutte contre le chômage qui a la préférence de Hyman Minsky passe par l’emploi public. Son principe central est celui de l’Etat comme "employeur en dernier ressort", c’est-à-dire que l’Etat (ou les collectivités locales) s’engage à fournir un emploi à tous ceux qui sont prêts à travailler au salaire de base du secteur public, et éventuellement au-delà en fonction des qualifications requises pour les emplois proposés.

"PRENDRE LES CHÔMEURS TELS QU’ILS SONT"

Il s’agit de "prendre les chômeurs tels qu’ils sont et d’adapter les emplois publics à leurs compétences". Les emplois se situent dans des services intensifs en travail qui génèrent des effets utiles immédiatement perceptibles pour la collectivité dans des domaines comme l’aide aux personnes âgées, aux enfants et aux malades, l’amélioration de la vie urbaine (espaces verts, médiation sociale, restauration de bâtiments...), l’environnement, l’animation en milieu scolaire, les activités artistiques, etc. Ces activités ont toutes pour particularité d’être non productives, dans le sens où elles ne génèrent pas ou peu de gains de productivité.

Comme le résume Hyman Minsky, l’objectif est "une meilleure utilisation des capacités existantes plutôt que leur accroissement". Des impôts fortement redistributifs et les économies réalisées sur les prestations chômage permettraient de financer ces emplois. Une telle stratégie conduirait, en outre, à "une euthanasie des rentiers relativement rapide".

En effet, comme "elle n’implique pas de stimuler l’investissement privé (...), une imposition véritablement progressive et effective de l’héritage" est possible, de même qu’une "imposition des bénéfices qui ne se soucie pas de protéger les marges des entreprises". Cela s’impose d’autant plus que, depuis trois décennies, l’essentiel des profits n’est pas réinvesti mais distribué aux actionnaires.

Face à l’immense gâchis humain et social que représente le chômage, qu’est-ce qui empêche les gouvernements d’adopter une telle politique ? La réponse est bien sûr que l’agenda de la compétitivité, censé relancer les incitations à investir, a la préférence des milieux d’affaires.

A l’inverse, la stratégie de l’Etat comme "employeur en dernier ressort" oriente le travail disponible en fonction des besoins sociaux. Combinée à d’autres politiques ambitieuses tel un grand programme de reconversion écologique, elle permettrait de supprimer l’armée de réserve des chômeurs et de réduire les inégalités en rééquilibrant le partage de la valeur ajoutée en faveur des salaires.

Elle est de ce fait clairement défavorable aux détenteurs du capital.

Mais n’est-ce pas par ce type d’audace que pourrait se signaler une politique de gauche ?

Cédric Durand et Dany Lang sont maîtres de conférences en économie à Paris-XIII-Sorbonne-Paris-Cité et membres de l’Association française d’économie politique

Par Cédric Durand et Dany Lang, Université Paris-XIII


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