Moulinex, pour l’exemple

vendredi 9 février 2007.
 

Le procès qui s’est ouvert mardi à Caen est exemplaire à bien des égards. Que près de six cents anciens salariés de Moulinex réclament justice ensemble en est un des aspects, et pas des moindres. En ces temps où la fermeture d’une entreprise rime avec fatalité et dividendes pour les uns, désespoir et mise à la rue pour tous les autres, continuer à agir en commun pour exiger son dû est un signe de résistance collective à saluer comme il se doit. Revenir sur le cas Moulinex revient à se poser toutes les questions de politique industrielle et de salaires, de leur financement et de nouveaux droits de contrôle, dans et en dehors des entreprises. Autant de thèmes soigneusement évités jusqu’à présent dans ce que l’on a du mal à qualifier de « débat » électoral.

Il résonne de façon curieuse, le bilan des reclassements des ex-Moulinex brossé à l’occasion de cette audience, au lendemain de la prestation télévisée du candidat de l’UMP.

Exonérations de charges sociales tous azimuts, allongement de la durée du travail hebdomadaire et tout au long de la vie, les retraités étant appelés à cumuler petits « boulots à temps partiel », pas d’augmentation du SMIC mais une charge contre les « assistés », contre lesquels pourraient se retourner les bas salaires... La panoplie libérale du candidat Sarkozy était assez complète lundi soir. Mais dans la vie réelle, comment cela se passe-t-il ? Sur les plus de trois mille salariés laissés sur le carreau, à peine un sur trois a retrouvé un emploi. Près de 1 400 ont fait l’objet de mesures d’âge, de mise en invalidité et 600 ont « bénéficié » de la mise à la retraite à 52 ans pour cause de contact à l’amiante. Qui va encore oser leur répéter de « travailler plus pour gagner plus », leitmotiv économique commun, au mot près, à Nicolas Sarkozy, François Bayrou et Jean-Marie Le Pen ?

Les ex-Moulinex ont raison parce que leurs vies brisées témoignent de la gabegie financière qui ruine le tissu social du pays. Des procès parallèles ont lieu concernant les gestionnaires successifs de l’entreprise. « Abus de biens sociaux », « banqueroute par détournement d’actifs », « abus de confiance », « emploi de moyens ruineux », « présentation et publication de comptes inexacts » sont quelques-uns des chefs d’accusation de ces affaires. Mais il est un aspect laissé pudiquement dans l’ombre, ne dépendant peut-être pas de la justice mais bien davantage de choix politiques. 400 millions de francs de fonds publics ont été versés depuis 1993 pour « assainir » une situation qui a permis, en 2000, aux banques d’injecter 800 millions de francs, mettant alors Moulinex en « état de dépendance » à leur égard, selon un rapport d’experts. Le fiasco organisé n’a pas dépossédé tout le monde. Quant aux 80 millions d’euros publics supplémentaires censés aider au reclassement, comment ne pas se poser la question de leur usage au vu des résultats ?

SEB, le repreneur, a supprimé déjà la moitié des 2 000 emplois restant de Moulinex qu’il prétendait sauver. La rémunération de ses actionnaires a augmenté de 25 % en quelques années, au prix d’un plan de licenciement par an dans ses entreprises rachetées.

La mondialisation a bon dos. La droite et l’extrême droite ont pour programme d’ouvrir les vannes d’un capitalisme financier plus rapace et sauvage que jamais. À gauche, une alternative est-elle crédible sans poser la question du contrôle effectif et décentralisé des 65 milliards d’euros de fonds publics versés aux entreprises ? Sans donner de nouveaux droits de regard sur la gestion aux salariés et de contrôle aux élus ?

Sans remettre en cause le système bancaire actuel en lui redonnant une solide assise publique ? Sans revoir la fiscalité pour aider à l’emploi qualifié et pénaliser délocalisations et appétits financiers ? 900 salariés actuels de SEB sont menacés à leur tour d’ici la fin de l’année. Sont-ils condamnés à subir, à se désespérer et à se livrer à tous les extrêmes ? Ou auront-ils des réponses convaincantes pour se déterminer le 22 avril prochain ?

de Michel Guilloux


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