Diaz, un crime d’Etat "video"

jeudi 27 juin 2013.
 

Diaz, un crime d’Etat est le huitième film de Daniele Vicari qui a commencé sa carrière de cinéaste sur le front du documentaire. Il y met en scène, dans un style « coup de poing », les brutalités policières commises en marge du G8 de Gênes en 2001, à l’école Diaz où bivouaquaient les manifestants et dans la caserne de Bolzaneto. Vicari tenait dur comme fer à réaliser ce long-métrage pour « interpeller la conscience de tous les citoyens européens sur l’état actuel de la démocratie » . Selon lui la répression des manifestations de Gênes est « la plus grave atteinte aux droits des citoyens dans un pays occidental depuis la deuxième guerre mondiale ».

Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser ce film, plus de dix ans après les faits ?

Je me suis intéressé aux évènements de Gênes dès le début. J’ai écrit un autre scénario avant Diaz, qui racontait l’histoire d’un camarade de Carlo Giulani, le jeune homme tué pendant les manifestations. Une histoire d’amitié qui avait pour toile de fond deux évènements dramatiques et lourds de conséquences pour notre société, les affrontements du G8 et le 11 septembre qui a débouché sur la suspension de certaines libertés civiques dans les pays occidentaux. Je n’ai pas pu le tourner. Les producteurs avaient une partie des financements mais aucune télévision n’était prête à le diffuser. Je suis resté obnubilé par ces évènements et, à la suite du procès qui a acquitté les policiers, j’ai entendu une jeune allemande déclarer à un journaliste qu’elle ne mettrait plus jamais les pieds en Italie. Ça a servi de déclic. Je me suis demandé ce qui pouvait pousser quelqu’un à déclarer une chose aussi grave. J’avais le sentiment qu’il s’était passé, pendant ces quelques jours, des choses beaucoup plus graves que ce qu’on voulait bien accepter. Je me suis plongé dans les minutes du procès, j’ai tout lu et j’ai commencé à avoir une vision précise de ce qui s’était passé : les policiers ont nié toute forme de droit à des centaines de personnes sans chef d’accusation précis.

Comment avez-vous décidé du style de votre film qui se concentre sur la reconstitution ultra-violente d’une nuit d’affrontements ?

J’ai pensé au film d’Eisenstein, La Grève, qui montre la répression sanglante d’un mouvement ouvrier par l’armée du Tsar. Je voulais montrer la volonté d’anéantir l’opposant – physiquement et psychologiquement – qui animait les forces de l’ordre à Gênes. Et je voulais filmer l’affrontement de deux groupes, de deux masses d’individus. C’est pour cette raison que j’ai construit mon film sans héros, mais plutôt avec un personnage collectif et une multiplicité de points de vue. J’ai trouvé tous les détails sur la nature des violences dans les dépositions du procès. Lire la totalité de ces témoignages est une expérience éprouvante et macabre. Chaque situation est décrite selon différents angles et ça ne fait que renforcer le sentiment de douleur et de peur qui se dégage de la lecture. Pendant longtemps, je n’ai pas réussi à dormir. Les Italiens ont complètement refoulé ces évènements. Les personnes qui ont vécu ces violences ont tout fait pour les oublier parce qu’ils étaient impossible de les expliquer, et celles qui n’étaient pas présentes à Gênes n’avaient pas envie d’affronter le problème. Le film oblige à regarder la vérité en face. Et je n’ai rien exagéré. Je me suis même posé des limites sinon j’aurais réalisé un film « gore ».

Vous vous êtes appuyés sur des images d’archive ?

Nous n’en avons utilisé que très peu mais nous nous sommes beaucoup inspirés des images tournées pendant ces journées, car le sommet du G8 de Gênes a aussi été un événement exceptionnel sur le plan médiatique : c’est la première manifestation de cette ampleur à être filmée sous toutes les coutures par les petites caméras amateurs et elle coïncide aussi avec la montée en puissance d’internet. Il existe des milliers d’heures d’images. J’en ai vu, moi-même, au moins 700 heures. Les gens ont tout filmé, y compris les évènements de l’école Diaz dont il existe, semble-t-il, une vidéo saisie et jamais retrouvée. Mon film est très influencé par le travail des réalisateurs qui étaient sur place. C’était un genre de défi car il est très difficile, pour un cinéaste, de retrouver dans sa mise en scène l’intensité et la vérité des reportages. Je me suis aussi beaucoup servi de mes rencontres et de mes entretiens avec des protagonistes de ces journées. Côté manifestants, bien sûr. Mais aussi côté policiers. Un carabinier qui était en faction à l’extérieur de l’école m’a décrit, en détails, tous les bruits qu’il entendait. Les coups, les hurlements de douleurs, les sanglots, les chants fascistes qu’entonnaient ses collègues, les menaces, les appels au secours de infirmiers. Tout était gravé très précisément dans sa mémoire.

Comment le film a-t-il été reçu en Italie ?

Il est sorti en avril 2012. Et il a immédiatement suscité des réactions violentes. Certains militants altermondialistes me reprochaient de n’avoir pas rendu justice à leur cause en n’exposant pas clairement leurs aspirations politiques – ce qui n’était pas l’objet de mon film – et sur l’autre versant, les syndicats de police d’extrême-droite m’ont attaqué parce que je ne montrais pas ce qui s’est passé dans les rues de Gênes et qui, selon eux, pouvait motiver la brutalité de leurs assauts. Ces réactions ont fait beaucoup de bruit, mais elles étaient plutôt marginales. Le film a suscité un débat très riche et, pour la première fois en Italie, on s’est mis à parler de ce qui s’était passé à Gênes. Quelques mois après la sortie, les derniers jugements sur les évènements de l’école Diaz ont été rendus, encore en faveur de la police, et on en a parlé dans les médias, alors qu’avant on les passait sous silence.

Des professeurs et des étudiants me demandent régulièrement le droit de projeter le film dans leur école, souvent contre l’avis de l’administration. Cette années, il y a eu des grèves dans les lycées et le film a été montré dans une cinquantaine d’établissements. Aucune télé ne voulait passer Diaz mais, sous la pression des réseaux sociaux, les dirigeants de la télévision publique ont été obligés de se justifier et la RAI 3 a fini par l’acheter. Ce qui ne veut pas dire qu’ils vont le diffuser.

Daniel Riquet


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