Mouvement social considérable au Brésil Comment ? Pourquoi ? Vers quoi ?

dimanche 7 juillet 2013.
 

- 5) Le Brésil en question (Jean-Luc Mélenchon)
- 4) Brésil : Signification et perspectives des mobilisations
- 3) Le Parti de gauche solidaire des marées citoyennes au Brésil
- 2) Brésil, revendications sociales sur fond de coupe du monde
- 1) Brésil : la fin de la léthargie

5) Le Brésil en question (Jean-Luc Mélenchon)

Au Brésil aussi. Un puissant mouvement populaire et jeune déferle dans les rues. Je n’aurais pas la prétention de dire, depuis le bureau où je me trouve dans Paris, que je vais percer à jour ce qui se passe au Brésil à cette heure et y trouver la bonne réponse politique. Mais ma pratique du continent et mon travail sur les événements qui y ont lieu depuis quinze ans me permettent sans impudence de pouvoir proposer quelques éléments de réflexion. Même vu de très loin, le contenu progressiste du mouvement saute aux yeux puisqu’il demande davantage de services publics, proteste contre la corruption et dénonce le jeu des médias. Ces demandes forment le triptyque de base des premiers pas de toutes les révolutions citoyennes dans le monde. Mais au Brésil, ce mouvement se déclenche sous un gouvernement de gauche, celui de Dilma Roussef. Ce gouvernement, à la suite de celui de Lula, est partie prenante de la vague des révolutions démocratiques qui ont traversé le continent. Son bilan dans la lutte contre la pauvreté est une réussite éclatante.

Dans la période récente, Dilma Roussef a fait preuve de courage et de détermination dans les ripostes qu’il fallait apporter aux manœuvres de l’empire nord-américain pour déstabiliser les pays amis dans la zone. Elle a fait preuve de beaucoup de lucidité sur les limites de l’Europe actuelle en général en dépit des bourdonnements eurobéats de l’aile social-démocrate de son parti. Puis, en pleine tourmente, sa proposition pour répondre positivement au mouvement en cours était selon moi une véritable novation dans l’art de la gestion des situations insurrectionnelles. Elle était, selon moi, parfaitement adaptée à ce qui est nécessaire dans le moment. Je ne le dis pas en pensant à l’intérêt de son parti ou même de sa présidence. Je le dis du point de vue de son pays et du futur révolutionnaire du processus dont les gouvernements du PT ont ouverts la voie en 2002. En effet elle proposait de convoquer une Assemblée Constituante. Quel meilleur moyen pour refonder la société politique et repenser ses valeurs et objectifs tout en donnant au peuple le moyen de se construire politiquement ? Cette proposition s’est engloutie dans les protestations des têtes d’œufs constitutionnalistes brésiliennes d’une part et les mauvais coups des tireurs dans le dos de son camp d’autre part. Il n’y aura pas de Constituante. C’est la très mauvaise nouvelle de la séquence ! Je vais m’expliquer.

Mais d’abord admettons-le : le mouvement qui se déclenche sous des mots d’ordre hostiles au gouvernement de Dilma Roussef met au défi notre réflexion. Notre devoir intellectuel est de l’analyser avec sérieux. Au bout du compte il s’agit d’en comprendre les ressorts pour en tirer des leçons pour nous-mêmes et la conduite de notre stratégie. Dans l’émergence de ce processus quasi insurrectionnel on sait que de nombreux paramètres se conjuguent et qu’il est vain de chercher une cause unique. Parmi ces causes on en trouvera de nombreuses qui sont lourdement imputables au gouvernement, au système du Parti des Travailleurs, à la politique productiviste et extractiviste suivie dans de nombreux secteurs décisifs. Mais pour réfléchir utilement je crois que nous devons nous poser des questions aussi nouvelles que la situation. Ici je ne veux rien résumer dans les termes habituels : « ils » ont fait leur temps, « ils » ont été insuffisants, passons à autre chose. La bonne question à se poser selon moi est comment le PT, s’il est encore temps, peut-il rebondir et trouver dans le mouvement actuel un élément positif pour approfondir ce qu’il a commencé avec Lula. Ce n’est pas un sujet réservé aux Brésiliens. Mon intuition est que nous devons apprendre à penser notre action gouvernementale différemment, non seulement par notre programme mais par notre gestion de la durée. Je me situe donc ici comme une personne qui se sent assez proche du gouvernement brésilien pour ne pas vouloir sa fin honteuse sous les coups d’un mouvement qui nous ressemble. Je choisis cet angle pour m’éviter d’adopter deux lignes de critiques de gauche qui, selon moi, mènent à l’impasse.

La première voie sans issue, selon moi, est de faire le catalogue des critiques petites et grandes de tout ce qui n’a pas été fait, mal fait ou pas assez fait. Bref je m’interdis la critique de type « aile gauche » qui aiguillonne en regrettant qu’il n’en ait pas été fait davantage. Elle est en effet en dessous de la réalité de ce qui est en train de se produire. Pour être très direct : si Dilma Roussef annonçait qu’elle met en chantier demain toutes les écoles demandées je doute que cela suffise. Le mouvement est parvenu au point où ses revendications lui paraissent inscrites dans un projet beaucoup plus large que les revendications ponctuelles qui l’expriment. D’où vient cette dynamique ? J’y vois des raisons d’effets quasi mécaniques qui sont à l’œuvre dans la société. Je vais y venir dans un instant. L’autre impasse est celle qui miserait sur une voie révolutionnaire traditionnelle du 19ème et du 20ème siècle. Cela consisterait à balayer dans un même mouvement non seulement les acquis des gouvernements du PT, considérés comme superficiels et incertains, mais aussi la méthode démocratique de conquête et d’exercice du pouvoir. Ce chemin-là me parait voué à un très cruel et très coûteux échec. Les masses populaires nouvellement entrées dans la classe moyenne et celles sorties de la pauvreté ne sont pas prêtes à négliger leurs nouveaux acquis. Au contraire c’est pour les protéger et les étendre que le mouvement est engagé. Cette circonstance s’ajoute à ce que l’histoire nous apprend. La conscience d’un mouvement ne s’introduit pas de l’extérieur. Elle résulte de la dynamique propre au mouvement et au déroulement des étapes qu’il parcourt pour accomplir ses objectifs. Comprendre ce ressort intime est notre ordre du jour brésilien.

Les phénomènes que nous constatons naissent et résultent de l’état de la société que dirigent nos amis. C’est-à-dire d’une société telle qu’elle a été reformatée par leur action. La caractéristique de base de ce bilan, c’est essentiellement la sortie de la pauvreté d’une très large majorité de la population, l’élévation de son niveau d’éducation et de santé. La société qui s’ébroue sous nos yeux est celle qu’ont rendu possible les conquêtes sociales des gouvernements du PT. Dans ce contexte, le premier fait à enregistrer, selon moi, serait le suivant : ces mouvements ne mettent pas en cause la réussite de ce qui s’est fait en général. Au contraire ils en attestent. Moins pauvre, mieux éduquée, plus sûre d’elle, la jeune génération entre dans un processus légitime de volonté de contrôle des affaires publiques. Elle en ressent la nécessité. Elle identifie une insupportable perte de légitimité des autorités qui ont en charge le bon fonctionnement de la société. A tort ou à raison ? Si la cause du mouvement est juste, la juste ligne est de prendre en charge le programme mis à l’ordre du jour par le mouvement populaire. Ce mouvement ne s’affrontera au camp des parti progressistes que si ceux-ci s’y opposent ou lui tournent le dos parce qu’ils ne le comprennent pas où se méprennent sur la direction qu’il prend.

Je sais que c’est un paradoxe d’évoquer la façon de tirer parti positivement d’un mouvement qui se construit dans son opposition à un gouvernement de notre mouvance. Mon point de vue ne se comprend que dans le cadre d’une analyse qui part de la théorie de la révolution citoyenne. Celle-ci ne décrit pas la forme d’un grand soir, ses prémices et son apothéose éternelle. Elle décrit un processus permanent qui se nourrit de ses propres succès et de ses échecs et rebondit sans cesse en inscrivant de nouvelles questions a régler à mesure que s’étend le champ de la conscience sociale et politique des citoyens. L’objet de cette maturation n’est pas de savoir qui, parmi les partis politiques en présence, doit être soutenu, ni de produire un effet de balancier électoral sous la forme des alternances politiciennes. Son objet est l’exercice de la souveraineté populaire. Les gens qui se mettent en mouvement veulent décider. Une autre façon d’exprimer la même chose est dire qu’il n’est plus question de laisser décider ceux qui le font actuellement. Ceux-la sont éliminés non pour des raisons « politiques » ou idéologiques, mais parce qu’ils sont ressentis comme incapables de régler les problèmes dont ils ont la charge devant la société. Ce sont les deux faces de la même pièce. La formule « qu’ils s’en aillent tous » clamée en Argentine ou bien les « dégage ! » répétés en Tunisie et en Egypte ne voulaient rien dire d’autres.

J’insiste sur l’idée que la crise d’autorité se traduit comme une crise de légitimité. Dans ces conditions la révolution citoyenne n’est pas une idéologie qui serait apportée par un parti de l’extérieur mais un produit quasi mécanique de l’évolution de la société, de son développement éducatif. Naturellement, le paramètre décisif est la part de la population jeune dans la population totale. Tout simplement parce que la mise en mouvement de la société dépend de sa fraction la moins intégrée dans les routines du quotidien et de sa reproduction. L’autre paramètre de cette importance est celui de la part de la population urbanisée. Les révolutions citoyennes ont lieu dans les villes parce que les populations y sont dans un rapport d’interdépendance et de socialisation qui forme un tissu social hautement conducteur et réactif. D’où le fait que souvent les formes traditionnelles d’action ouvrière n’y sont pas représentées. De là vient parfois une forme de perplexité des nôtres devant de tels mouvements. L’erreur est aussi de croire que les salariés n’assument leur identité sociale que dans le cadre de leur poste de travail. Et l’ensemble des relations sociales auxquelles les implique la vie urbaine ne participerait pas autant, sinon plus, de cette identité sociale ? Je trouve d’ailleurs éclairant sur ce point que, dans les mouvements actuels au Brésil, ce soit l’augmentation du prix des tickets de bus qui ait été le déclencheur de l’action. N’est ce pas le symbole même de la revendication urbaine ? N’est-ce pas le révélateur d’une condition sociale de jeune classe moyenne sans véhicule personnel ? Comment oublier que c’est ce qui provoqua aussi le début du processus qui conduisit à la victoire de Chavez ? A cet instant, pour aller mon chemin sans y perdre mon lecteur, je laisse de côté d’autres aspects structurants de la formation de la conscience citoyenne que sont l’existence de denses réseaux sociaux. Il ne faudrait surtout pas croire qu’il s’agit là d’une simple commodité technique de communication ! Ils fournissent la conscience politique instantanée de leurs affiliés.

Au total, le mouvement qui se manifeste sous des formes plus ou moins aigües et que nous nommons la révolution citoyenne, est d’abord le résultat d’une dynamique autonome dont les ingrédients, les principes auto-organisateurs, sont dans les données permanentes et évidentes de la vie et non dans une circonstance extrême particulière qui les provoquerait. J’ai étudié sur ce blog déjà cette forme de changement brutal de trajectoire de la société sur la base de ses propres paramètres en le nommant « bifurcation ». Si cette thèse est fondée, tous les pays de la révolution démocratique commencée il y a quinze ans sur le continent, du fait de leurs résultats sociaux positifs, vont connaître des mouvements semblables à celui qui s’observe au Brésil. Il ne faudra pas les lire comme des incidents de parcours mais comme des bifurcations à l’intérieur du processus révolutionnaire, soit pour le prolonger soit pour s’en détacher définitivement.

Pour réfléchir aux événements brésiliens, je voudrais aussi suggérer une brève liste de ce qu’il ne faut pas faire. D’abord ne pas se moquer. Il est vrai que la tentation existe, après avoir entendu tout ce qui s’est dit en Europe et en France en particulier au temps où les bons esprits opposaient de manière caricaturale le bon social démocrate Lula au hideux communisant Chavez. J’y ajouterai sans mal quelques sarcasmes pour nos propres bons camarades, anciens durs à cuire reconvertis dans le costume trois pièces diplomatique. Comment oublier leur pudeur de gazelle à l’idée d’organiser une rencontre avec le Front de Gauche, il y a peu quand Dilma Roussef passa à Paris, de peur de froisser ce bon monsieur Hollande et sa cour atlantiste. Qu’il était loin alors le temps où c’est moi qui faisait l’accueil du candidat Lula à Paris quand personne au PS ne le recevait ! Qu’il était loin le temps où le siège du Parti Communiste Français servait à accueillir les réunions du PT en France, dont le PS ne voulait pas entendre parler ! Qu’il était loin le temps où les nouveaux beaux habits d’aujourd’hui comptaient sur l’argent de nos collectes pour les guérilleros ! N’empêche. Le bon Brésil modéré en face du méchant Vénézuela était une construction de propagande. Il serait stupide de la valider après coup, quand elle permet moins que jamais de comprendre ce qui se passe. Le plaisir puéril de montrer que les mouvements populaires ont lieu chez ceux qui étaient censé être un modèle serait de courte durée. Bientôt aussi au Vénézuéla et dans les autres pays nous verrons la même chose, si ma thèse est la bonne. Deuxième mise en garde : ne pas faire de la paranoïa. Voir dans le déclenchement du mouvement et dans sa conduite le résultat d’un complot de la droite oligarchique locale et des Etats-Unis passe à côté de l’essentiel : l’opportunité que ce mouvement présente pour notre propre action. Il est évident que l’oligarchie et les nord-américains ont les doigts dans l’affaire. Mais cela n’est pas décisif. Si l’irruption dans la rue d’une population hostile au gouvernement a pu les réjouir, il n’est pas du tout certain que la tournure des évènements depuis leur plaise. Aucun des mots d’ordre du mouvement ne correspond à leurs objectifs. On peut, bien sûr, penser que le rejet du PT de Dilma Roussef les sert. D’un point de vue politicien c’est absolument certain.

Qui connaît la férocité animale de cette droite-là et de la presse brésilienne, trouvera donc mille et un exemples de ses grossières récupérations du désordre actuel. Mais nous n’avons aucune raison de penser qu’ils fassent mieux, le moment venu, que d’appeler au rétablissement de l’ordre. Ils reprocheront alors au pouvoir de ne pas savoir protéger les biens et la « liberté de la presse », à mesure que les vitrines des banques seront cassées et que les « journalistes » et les sièges de « Globo » seront pris à partie. Bref si nos camarades trouvent le chemin qui les ramène au cœur du mouvement, on peut dire que c’est là que commencera la révolution démocratique au Brésil. C’est dans cette direction et seulement celle-là que nous devons chercher nos repères. Le disant, je ne suis pas en train d’expliquer que les années Lula et Roussef n’aient été rien pour l’émergence de la démocratie au Brésil. Tout le contraire ! J’ai dit que la sortie de masse de la misère avait été la condition de base du renouveau du pays. Mais les formes révolutionnaires qu’ont vécues les autres pays ont été assez différentes pour que nous apercevions plus nettement dorénavant les points de passage incontournables qui forment des seuils de transitions révolutionnaires.

La tenue d’une Assemblée Constituante est caractéristique de ces seuils à franchir. D’abord par sa convocation et la campagne électorale qui la précède. Puis par le déroulement des travaux, surtout quand ils sont conduits en osmose avec une implication populaire de tous les instants de toutes les catégories et de tous les lieux du pays concerné. Tout cela forme un processus d’éducation populaire et de politisation de la société qui la travaille en profondeur, bouscule toutes les routines et révolutionne tous ses compartiments. La méthode a été appliquée avec succès en Equateur et au Vénézuéla. Sa puissance opérationnelle a été démontrée. Sa limite aussi : la seconde réforme de la Constitution au Vénézuela a été un échec. Le référendum à son sujet fut perdu. Sur place les camarades s’accordèrent pour m’expliquer que ce deuxième temps n’avait rien a eu à voir avec le premier. Lourdement institutionnalisé et perclus de polémiques politiques opaques, ce processus n’avait aucune capacité d’entraînement populaire. Je ne mentionne cet épisode que pour mieux souligner combien la Constituante ne prend de sens qu’en étant un moment essentiel et un moyen indépassable de l’activité populaire de refondation de la nation et donc du peuple lui-même. Ce ne peut être un gadget « occupationnel » ou le moyen d’une ruse politicienne. L’idée essentielle est que le peuple se « refonde », s’approprie son identité collective du fait des principes qu’il décide de placer dans la constitution et des règles du jeu démocratique qu’il en déduit. Elle est le cœur de la stratégie de la révolution citoyenne et de son déroulement réel, là où elle va au bout de sa logique. En proposant une constituante restreinte à quelques sujets, Dilma Roussef a malheureusement retiré à son offre sa charge émotive radicale. Elle a donc été étouffée sur place par les adversaires bien placés de cette idée alors que les premières réactions du terrain étaient pourtant positives ! Sans Constituante, Dilma Roussef n’a plus le point d’appui dont elle a besoin pour prendre en charge le programme avancé par l’insurrection. Voici pourquoi.

Le processus d’ébullition déclenché par la Constituante est le point d’appui pour mener l’assaut social. Car, bien sûr, cet assaut doit avoir lieu, absolument. La question du partage des richesses ne peut être évacuée. Les tentatives faites parfois par les sociaux-démocrates pour substituer à la bataille sociale du partage une bataille démocratique, même réduite aux ersatz du minimum sociétal sont vouées à l’échec. Aucune société ne peut contourner cette question. Surtout face à la finance de notre temps. Aucune solution aux problèmes qu’elle rencontre à cette heure ne trouve de solution sans que cette question soit traitée. Mais le partage des richesses déclenche l’esprit de guerre totale chez nos adversaires dans les classes dominantes. Il en résulte un conflit où les dominants et leurs médias, livrent un combat de tous les instants et sur tous les fronts. Les plus basses manœuvres sont menées sans répit. Je n’entre pas dans cette description dont chacun connaît les déclinaisons. Ce qui nous importe c’est la méthode à choisir pour répliquer. Nous connaissons la formule algébrique : nous n’avons pas d’autres moyens que l’adhésion et l’initiative populaire. Mais quel est le contenu concret de cette idée ? C’est la convocation d’une Assemblée Constituante. La mobilisation pour l’Assemblée Constituante permet l’articulation des deux démarches : celle qui fixe la règle du jeu démocratique et celle qui en donne le contenu social. Sinon, à mains nues et d’en haut, il n’y a aucune chance de l’emporter avec des outils aussi dérisoires dans cette circonstance qu’un parti et ses réseaux, si étendus soient-ils. C’est pourquoi j’estime que c’est une lourde faute d’avoir renoncé à cette idée au Brésil. En effet la réponse positive aux demandes populaires nécessite un nouveau partage de la richesse dans cette société. Comment y procéder sans implication populaire de masse ? Autrement dit, comment faire une politique populaire à gauche sans rapport de force ? Et quant à construire un rapport de force, on ne peut commencer autrement qu’en se demandant avec qui et contre qui.

4) Brésil : Signification et perspectives des mobilisations

Traduction : Thierry Deronne Edition : Mémoire des luttes

Entretien avec João Pedro Stedile, coordinateur national du Mouvement des sans terre, dans Brasil de Fato (24 juin 2013).

Brasil de Fato : Comment analysez-vous les récentes manifestations qui ont secoué le Brésil ces dernières semaines ? Quelle est la base économique d’un tel évènement ?

João Pedro Stedile : Il y a de nombreuses évaluations sur le pourquoi des manifestations. Je rejoins l’analyse de la professeure Erminia Maricato, notre meilleure spécialiste des questions urbaines, qui a travaillé au sein du ministère des villes sous la gestion d’Olivio Dutra. Elle défend la thèse d’une crise urbaine au Brésil comme conséquence du capitalisme financier. Une énorme spéculation immobilière a fait grimper le prix des terrains et les loyers de 150% dans les trois dernières années. Le capital a financé hors de tout contrôle gouvernemental la vente massive d’automobiles, pour envoyer de l’argent à l’extérieur, ce qui a rendu la circulation chaotique. Dans les dernières années, il n‘y a pas eu d’investissements dans le transport public. Le programme de logement “ma maison, ma vie” a rejeté les pauvres vers les périphéries, sans qu’il y ait le moindre progrès en termes d’infrastructures. Tout cela a engendré une crise structurelle, les gens vivent l’enfer dans les grandes villes en perdant trois à quatre heures par jour dans les embouteillages alors qu’ils pourraient être avec leur famille, aux études ou dans des activités culturelles. A cela s’ajoute la très mauvaise qualité des services publics, en particulier dans la santé et dans l’éducation, de l’école primaire à l’enseignement secondaire dont les étudiants sortent sans pouvoir faire une rédaction. Et l’enseignement supérieur, où l’on trouve 70 % des étudiants universitaires, est devenu un marchand de diplômes ou de prestations.

Brasil de Fato : Du point de vue politique, quelles sont les causes du mouvement ?

João Pedro Stedile : Les quinze ans de néolibéralisme suivis de dix ans de politique de conciliation de classes ont transformé la manière de faire de la politique. Celle-ci est devenue l’otage des intérêts du capital. Les partis ont reproduit leurs vieilles pratiques et se sont transformés en boutiques qui attirent en majorité des opportunistes qui se battent pour accéder à des mandats publics ou capter des fonds publics en fonction de leurs intérêts. Toute une jeunesse arrivée après coup n’a pas eu la possibilité de participer à la politique. Aujourd’hui, tout candidat à un mandat public doit posséder plus d’un million de reais ; un mandat de député coûte à peu près dix millions. Les capitalistes paient et les politiques obéissent. La jeunesse en a par-dessus la tête de cette manière bourgeoise, mercantile, de faire de la politique. Mais le plus grave, c’est que les partis de la gauche institutionnelle, sans exception, ont adopté ces méthodes. Ils ont vieilli et se sont bureaucratisés. Cette manière d’agir des partis a dégoûté les jeunes. Et ils ont raison. La jeunesse n’est pas apolitique, au contraire, elle vient de remettre la politique dans la rue même sans avoir conscience de sa signification. Ce qu’elle dit, c’est qu’elle ne supporte plus d’assister à la télévision à ces pratiques politiques, qui prennent le vote des citoyens en otage, sur base du mensonge et de la manipulation. Et les partis de gauche ont besoin de réapprendre que leur rôle est d’organiser la lutte sociale et de politiser la classe des travailleurs s’ils ne veulent pas passer aux oubliettes de l’histoire.

Brasil de Fato : Pourquoi ces manifestations n’éclosent-elles qu’aujourd’hui ?

João Pedro Stedile : Sans doute est-ce davantage la somme de différents facteurs de la psychologie de masse qu’une décision politique planifiée. A tout le climat que j’ai décrit s’est ajouté la dénonciation des surfacturations dans les travaux de construction des stades de football, ce qui choque la population. Quelques exemples : le groupe privé médiatique Globo a reçu du gouvernement de l’État de Rio et de la mairie 20 millions de reais d’argent public pour organiser un show d’à peine deux heures pour le tirage au sort de la coupe des confédérations. Le stade de Brasília a coûté 1,4 milliards et il n’y a pas d’autobus dans la ville ! Les gouvernements se sont soumis à la dictature explicite et aux coups tordus imposés par la FIFA/CBF. La (ré)inauguration du Maracanã fut une gifle pour le peuple brésilien. Les photos parlent d’elles-mêmes : dans le plus grand temple du football mondial, pas un noir, pas un métis ! Et la hausse des tarifs d’autobus n’a été que l’étincelle pour allumer le sentiment généralisé de révolte et d’indignation. L’étincelle est venue du gouverneur de l’Etat de São Paulo, Geraldo Alkmin, protégé par les médias qu’il finance, habitué à réprimer impunément la population comme il l’a fait à Pinheirinho et dans d’autres expulsions rurales et urbaines, et qui a relancé sa barbarie policière. Là, tout le monde a réagi. Heureusement la jeunesse s’est réveillée. Et le mérite du mouvement “Passe livre” (MPL) est d’avoir su canaliser cette insatisfaction populaire et d’organiser les protestations au bon moment.

Brasil de Fato - : Pourquoi la classe des travailleurs n’est-elle pas encore descendue dans la rue ?

João Pedro Stedile : C’est vrai qu’elle n’a pas encore pris part aux manifestations. Ceux qui sont dans la rue sont les fils de classe moyenne, classe moyenne basse, ainsi que des jeunes issus de ce qu’André Singer nomme le sous-prolétariat, ceux qui étudient et travaillent dans le secteur des services, qui ont amélioré leurs conditions de consommation, mais qui veulent être entendus. Ces derniers apparaissent plus dans d’autres capitales que São Paulo et dans les périphéries.

La réduction des tarifs intéressait beaucoup l’ensemble de la population, et le mouvement “Passe livre” a vu juste en mobilisant sur la base de ces intérêts populaires. Le peuple a appuyé ces manifestations, on le voit dans les indices de popularité des jeunes, surtout quand ils ont été réprimés.

La classe des travailleurs tarde à se mobiliser mais quand elle bouge, cela affecte directement le capital. Chose qui ne s’est pas encore produite. Je crois que les organisations médiatrices de la classe des travailleurs n’ont pas encore compris le moment ou sont encore trop timides. Mais en tant que classe, je crois que les travailleurs sont disposés à lutter. Le nombre de grèves pour des améliorations salariales est déjà revenu au niveau des années 80. Je crois que ce n’est qu’une question de temps, si ces médiateurs trouvent les revendications justes qui peuvent motiver la classe à se mettre en mouvement. Ces derniers jours, dans des villes de moindre taille et dans les périphéries des grandes villes, se produisent des manifestations sur des revendications très localisées. Et cela est très important.

Brasil de Fato : Les voix du Mouvement des sans terre et des paysans ne se font pas encore entendre…

João Pedro Stedile : C’est vrai. Dans les capitales où nous avons des unités productives et des agriculteurs familiaux à proximité, nous participons déjà. D’ailleurs, je suis témoin du bon accueil que nous avons reçu avec notre drapeau rouge et notre revendication d’une réforme agraire et d’aliments sains et bon marché pour le peuple. Je crois que dans les prochaines semaines, il pourra y avoir une adhésion majeure, ce qui comprend des manifestations de paysans sur les routes et dans les municipalités de l’intérieur. Parmi nos militant(e)s, tou(te)s brûlent d’entrer dans la lutte et de se mobiliser. J’espère aussi que ça bougera bientôt…

Brasil de Fato : Qu’est-ce qui, selon vous, est à l’origine de la violence dans certaines manifestations ?

João Pedro Stedile : D’abord, il faut relativiser : la bourgeoisie à travers ses télévisions a recouru à la tactique de la peur pour effrayer la population en mettant en avant les émeutiers et les casseurs. Ils sont minoritaires et insignifiants par rapport aux milliers de personnes qui se sont mobilisées. Cela convient à la droite de faire entrer dans l’imaginaire collectif l’idée du désordre, et s’il y a finalement du chaos, d’en rendre responsable le gouvernement et d’exiger la présence des forces armées. J’espère que le gouvernement ne commettra pas la bêtise de faire appel à la Garde nationale et aux forces armées pour réprimer les manifestations. C’est ce dont rêve la droite !

Ce qui provoque les scènes de violences, c’est la manière d’intervenir de la police militaire. La PM a été entraînée depuis la dictature militaire pour traiter le peuple comme un ennemi et dans les Etats gouvernés par les sociaux-démocrates (Sao Paulo, Rio de Janeiro, Minas Gerais), elle est sûre de son impunité.

Il y a des groupes de droite organisés dont l’objectif est de provoquer et de piller. A São Paulo, des groupes fascistes se sont mobilisés. Et des vigiles sous contrat. A Rio de Janeiro ont agi des milices organisées qui protègent les politiciens conservateurs. Et bien sûr, on trouve aussi un substrat de « lumpen » qui apparaît dans toute manifestation populaire, que ce soit dans les stades, dans le carnaval, et même dans les fêtes religieuses, pour tenter d’en tirer profit.

Brasil de Fato : Alors y a-t-il une lutte de classes dans les rues, ou s’agit-il seulement de la jeunesse qui exprime son indignation ?

João Pedro Stedile : Il y a clairement une lutte des classes dans la rue. Mais ce n’est pas encore l’expression d’une bataille idéologique. Le plus grave, c’est que la jeunesse elle-même qui se mobilise, par son origine de classe, n’est pas consciente de ce qu’elle prend part à une lutte idéologique. Elle fait de la politique de la meilleure manière possible, dans la rue. Elle écrit sur ses pancartes : « nous sommes contre les partis et la politique ». C’est pour cela qu’ont été autant diffusés ces messages. Cela se produit dans chaque ville, dans chaque manifestation, c’est une bataille idéologique permanente dans la lutte des intérêts de classes. La jeunesse vit ce conflit…..lire la suite sur le blog "Mémoires des luttes" en cliquant sur l’adresse URL ci-dessous :

http://www.medelu.org/Signification...

3) Le Parti de gauche solidaire des marées citoyennes au Brésil

L’ampleur du mouvement en cours depuis maintenant dix jours au Brésil semble surprendre tout le monde. Une chose est certaine : si des centaines de milliers de citoyens brésiliens sont descendus dans plus de vingt villes du pays, ce n’est certainement pas pour protester contre la seule augmentation du ticket de transport. Preuve en est qu’après la décision par le gouvernement de revenir sur cette augmentation des tarifs dans le transport urbain, les citoyens sont encore dans la rue, avec d’autres slogans, portant d’autres colères.

La question du ticket est en fait l’événement fortuit qui indique une dynamique profonde. Au-delà de leur lutte pour la gratuité dans les transports, c’est, en effet, la main-mise des sociétés privées dans ce secteur que les organisations étudiantes telle que « Mouvement passage libre » (MPL), à l’origine de ce mouvement, dénoncent avec raison.

Parmi les premières raisons de la colère des manifestants, figure le décalage immense entre les sommes faramineuses investies pour le prochain Mondial de Football de 2014 et le niveau de vie moyen des brésiliens. Les marées humaines qui continuent de déferler dans le pays réclament une augmentation des investissements publics.

Malgré les avancées indéniables des gouvernements successifs de Lula et de Dilma Roussef, notamment en matière de réduction de la pauvreté et de lutte contre le chômage, ces mouvements massifs et pacifistes de citoyens en soulignent les limites, dénonçant à la fois la corruption et les failles béantes dans les infrastructures sociales.

Le Parti de Gauche soutient les marées citoyennes au Brésil dont les revendications sont, comme le dit la présidente Dilma Roussef elle-même, « légitimes ». Nous condamnons toute criminalisation de ce mouvement ainsi que les répressions policières contre les manifestants. La colère exprimée au Brésil traduit la volonté citoyenne d’aller plus loin dans le combat contre les inégalités et le processus de transformations sociales.

Il convient que toutes les forces de gauche sachent se rassembler autour d’un message politique clair à l’attention du gouvernement et éviter toute tentative de récupération du mouvement par la droite, étrangère à ses revendications.

2) Brésil, revendications sociales sur fond de coupe du monde

La mobilisation sans précédent depuis 20 ans qui a lieu en ce moment au Brésil bat en brèche la vision du pays telle qu’elle est généralement présentée. Si des avancées indéniables ont été mises en œuvre depuis quelques années par Dilma Rousseff et Lula Da Silva, il existe encore des failles importantes, particulièrement dans les services publics et le système démocratique. Si bien que les mobilisations qui ont lieu depuis plus de 10 jours au Brésil ont une très forte connotation politique dont les buts et les enjeux dépassent de loin la simple question de l’augmentation du prix des tickets de transport. A l’image de la guerre de l’eau à Cochabamba (Bolivie) en 2000, ces soulèvements font suite à une atteinte aux droits économiques, sociaux et politiques de la population et mobilisent autour de la question de l’extension de ces droits.

A l’origine de cette marée citoyenne au Brésil il y a l’immense décalage entre les sommes investies par le pays pour l’organisation de la coupe du monde de football en 2014 puis des Jeux Olympiques de 2016 et la part de la richesse produite par le pays qui bénéficie à la population, aux services publics et aux programmes sociaux. A titre d’exemple : près de un demi milliard d’euros ont été dépensés rien que pour la modernisation du stade Maracanã de Rio de Janeiro. A un an de la coupe du Monde de football au Brésil, cela montre que même dans le pays du football le social est plus fort que le sport. Gageons pour autant que les revendications de la population, contre les violences policières (30% selon un sondage réalisé auprès des manifestants), contre la corruption (40% selon ce même sondage), et pour des services publics de qualité ne soient pas éteintes par ce grand moment que la FIFA veut "apolitique".

Car il y a bien un mot d’ordre politique derrière ces mobilisations. Le « Mouvement passage libre » (MLP, un « mouvement social autonome horizontal et indépendant ») réclame la gratuité des transports en commun et leur gestion publique intégrale. C’est le MLP qui est le fer de lance de cette série de manifestations à travers le pays. Si le MLP se veut apolitique, les revendications qu’il porte sont tous sauf dénuées de sens politique. Et plus largement les mots d’ordres qui ont émergé ainsi que les attentes des manifestants sont toutes en faveur d’une amélioration des services publics et de la lutte contre la corruption. Les transports sont bien un symbole de ce déficit de services publics au Brésil : à Sao Paulo il n’y a que 74 km de lignes de métro et 64 stations quand à Paris, qui est une ville 14 fois plus petite que Sao Paulo, il y en a plus de 300 avec 220 km de métro. Ces quelques chiffres mettent bien en avant le déficit d’investissement dans les services publics, comme le prouve aussi les très nombreuses concessions privées dans le transport à travers le pays.

Arthur Morenas

1) Brésil : la fin de la léthargie

Notre pays connaissait des luttes politiques et sociales dans la décennie des années 1980. Ces dernières ont retardé l’implantation du néolibéralisme au Brésil et débouché sur ce qui a été appelé la décennie perdue alors que pour les mouvements sociaux et populaires il en allait exactement du contraire.

Durant ces années un syndicalisme de lutte a pris son essor [la CUT, qui marque la rupture avec le syndicalisme lié à l’Etat]. Les grèves durant cette période se sont développées dans un sens contraire à la tendance qui dominait dans les pays impérialistes. Un nombre très grand de mouvements sociaux a démarré. Cela a renforcé l’opposition à la dictature militaire [1964-1968/1968-1985]. Une Assemblée nationale constituante est sortie de ce mouvement et en 1989, le processus électoral a divisé le Brésil en deux projets différents [le PT de Lula, d’une part, et le PSDB de F.H. Cardoso]. Durant la décennie des années 1990 fut enclenché : le néolibéralisme, la restructuration productive, la financiarisation, la déréglementation, la privatisation et le début du démontage social. Lorsque la victoire politique de 2002 se produisit, avec l’élection de Lula, le champ socio-politique était très différent de celui des années 1980. Comme l’histoire est pleine de surprises, de chemins et de chemins de traverse, l’élection de 2002 a débouché sur la transformation d’une victoire en une défaite. La présidence de Lula a oscillé entre une très grande continuité avec la politique du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso et quelques changements, mais sans aucune substance. Le premier mandat de Lula s’est terminé de manière désolante. Ce qui l’a obligé à changer quelque peu de direction, toujours avec beaucoup de modération, et en évitant toute confrontation socio-politique. La bolsa familia [aide sociale versée aux familles pauvres sous deux conditions : la scolarisation des enfants et leur vaccination], d’un côté, et les très hauts profits du secteur bancaire, de l’autre ; l’augmentation du salaire minimum, d’un côté, et l’enrichissement croissant de l’oligarchie, de l’autre ; aucune réforme agraire, d’un côté, et beaucoup de stimulants au secteur de l’agrobusiness, de l’autre.

Notre homme [Lula], comme un phénix, renaît de ses centres lors de son second mandat. Il termine sa présidence avec un taux d’acceptation très élevé. Au même moment où il choisit son successeur [Dilma Rousseff], il désorganise la quasi-totalité du mouvement d’opposition. Il était difficile de s’opposer à l’ex-leader ouvrier issu de la métallurgie dont la solidité s’était bâtie lors des années 1970 et 1980 [entre autres dans les mouvements grévistes, en particulier dans la région dite l’ABC, autour de São Paulo, et contre la dictature sur son déclin, dans les années 1980]. Qui se souvient de sa situation en 2005, embourbé dans le mensalão des versements mensuels effectués par des dirigeants du PT aux directions de divers partis traditionnels de droite afin d’obtenir une majorité dans les deux chambres législatives ? Ceux qui se souviennent de la fin de son mandat, en 2006, savaient qu’ils étaient face à une variante de politiciens brésiliens des plus traditionnels et de relief en même temps.

Si Dilma Rousseff, sa créature politique – une espèce de Dame et gestionnaire de fer – a réussi à gagner les élections, nous pouvons néanmoins nous rappeler, en même temps, qu’il lui manquait quelque chose : cette épaisseur sociale que Lula continuait à avoir.

Avec patience, avec un esprit critique et beaucoup de persistance, les mouvements sociaux ont réussi à surmonter ce cycle [des années 1990 et début 2000] difficile. Ils ont fini par s’apercevoir que, au-delà de la croissance économique, du mythe fallacieux de « la nouvelle classe moyenne », il y a une réalité profondément difficile, critique, dans toutes les sphères de la vie quotidienne des salarié·e·s. Cela se voit dans le secteur de la santé publique, qui est attaqué, dans l’enseignement public qui est privé d’investissements, dans la vie absurde au sein des grandes villes, congestionnée par le trafic automobile sous l’impulsion des stimulants antiécologiques du gouvernement du PT [système de crédits à l’achat et d’appuis indirects comme directs au secteur automobile]. Cela se voit dans la violence qui n’a cessé de croître [d’où la revendication de sécurité, reprise y compris par des secteurs populaires] et aussi dans les transports publics relativement les plus chers et les plus précaires du monde, du moins pour ce qui est des pays émergents.

Cela se voit dans la Coupe du monde de football « blanchie » [allusion à ceux qui contrôlent la FIFA et l’opération économique du mondial], sans Noirs et pauvres dans les stades [nouvellement construits], qui ont enrichis et enrichissent les entrepreneurs et qui, dans le cas, du stade João Havelange à Rio de Janeiro, [ancien patron de la FIFA avant Sepp Blatter et ancien membre du Comité olympique, ayant pour résidence Lausanne], surnommé Engenho par les gens, a fait la démonstration de l’écroulement de l’ingénierie [le stade, construit entre 2003 et 2007 a coûté six fois plus que le coût prévu et a été fermé dès mars 2013 des défauts structurels pouvaient aboutir à un affaissement et à un danger évident pour les spectateurs, y compris des tribunes VIP]. Cela se voit dans les salarié·e·s qui s’endettent pour consommer, d’un côté, et qui voient leurs salaires s’évaporer sous l’effet de l’inflation, de l’autre côté. Cela se voit dans le fossé gigantesque qui existe entre la représentation politique traditionnelle et la clameur qui surgit aujourd’hui de la rue. Cela se constate dans la brutalité et la violence extrême de la police militaire de Alckmin [gouverneur de l’Etat de São Paulo], avec l’appui du maire de la ville, membre du PT, Haddad.

Ces considérations permettent de comprendre pourquoi le mouvement passe un seuil et est si bien accueilli dans la population. Quels que soient les développements de ces mouvements de masse, le Brésil ne sera plus jamais le même. Nous faisons face seulement à la première étape. ()

Ricardo Antunes

* Traduction A l’encontre. http://alencontre.org/


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