Les 50 jours qui ont changé l’Italie

vendredi 10 mai 2013.
 

La réélection de Giorgio Napolitano comme Président de la République italienne n’est pas un fait anodin bien au contraire. En 67 ans, la jeune République parlementaire s’était bien gardée d’élire pour un second mandat de sept ans un président qui peut être selon ses ambitions politiques un garant neutre de la Constitution ou le démiurge de l’action gouvernementale. Pour préserver l’initiative parlementaire, les présidents, à la fin de leur septennat, étaient faits pères de la République, nommés sénateurs à vie, et certains d’entre eux (comme Pertini et surtout Ciampi) allaient jusqu’à théoriser l’inconstitutionnalité d’un second mandat présidentielles bien qu’il eut été aisé pour eux de briguer un second mandat. Giorgio Napolitano lui même, depuis la chute du gouvernement Berlusconi et l’entrée en fonction au poste de Premier ministre de l’ex-commissaire européen Mario Monti, n’avait eu de cesse de répéter qu’il était indisponible pour un second mandat. Et il a continué de le dire jusqu’au flinguage de Romano Prodi par 101 grands électeurs du Parti Démocrate. Alors pourquoi ce tremblement de terre institutionnel, cette remise en cause radicale des us et coutumes de la République ?

Pour comprendre ce grand chambardement, il faut revenir un an et demi en arrière et comprendre ce qui s’est joué lors de la chute du gouvernement Berlusconi. Contrairement à ce qu’une lecture peu attentive pourrait laisser entendre le gouvernement, Berlusconi n’est pas tombé sous les coups de son opposition de centre gauche, aphasique depuis trois ans, ni grâce au travail important de la magistrature. Non : il s’est fait descendre par la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et Bankitalia, la banque centrale italienne. En effet ce gouvernement largement corrompu et profondément réactionnaire avait un seul vrai défaut pour le pouvoir de la finance : celui de ne pas appliquer assez vite les mesures contenues dans la lettre de Juillet 2011 que Jean-Claude Trichet, Olli Rehn et Mario Draghi avaient envoyée à Berlusconi. Au moment de la chute du gouvernement Berlusconi, Giorgio Napolitano avait la possibilité de convoquer des élections anticipées et de remettre dans les mains du peuple souverain le choix des politiques à mettre en place. Mais il n’en fit rien. Pour complaire à la BCE et à la Commission Européenne il nomma Mario Monti président du Conseil. Les dix-huit mois qui suivirent auront été, en toute logique, marqués par une application violente des politiques austéritaires européennes.

Austérité

Ce qui se jouait avec l’élection du président de la République c’était la poursuite à outrance de l’austérité et la casse de l’État social sur ordre de la Troïka puisque le Parlement issu des élections de février est divisé en trois blocs plus ou moins égaux. Il ouvrait une crise politique dans lequel d’aucuns virent le meilleur alibi pour passer d’une République parlementarisme à un présidentialisme revendiqué. C’est en ce sens il fallait lire la création des deux commissions de « sages » par Giorgio Napolitano entre le résultat des élections législatives et sa réélection. Ces deux commissions, composées par des personnalités de « centre-gauche », du « centre » et du « centre-droit », toutes très attentives aux injonctions bruxelloises avaient pour mission de réactualiser et amplifier la lettre de Juillet 2011 pour contraindre le futur Président de la République à obéir aux ordres de la finance. À ce moment-là, l’éventualité de la réélection de Giorgio Napolitano n’était pas à l’ordre du jour. On assistait donc à une situation ubuesque où un futur ex-président se chargeait de faire tracer la route de son successeur par une commission de prétendus sages. C’est aussi dans ce sens de la soumission aux diktats européens qu’il fallait comprendre le mandat d’explorateur que Giorgio Napolitano avait confié à Pierluigi Bersani juste après les élections. Le Président de la République avait en effet chargé l’ex-secrétaire national du Parti Démocrate (et grand perdant des élections) d’essayer de former un gouvernement. Ce mandat avait été donné à Bersani sans lui donner la possibilité de se présenter devant le Sénat, celle des deux chambres ou le PD n’avait pas la majorité. Il en avait pourtant absolument besoin pour y chercher la dizaine de votes qui lui manquaient et obtenir ainsi la confiance parlementaire nécessaire pour mettre sur pied un nouveau gouvernement.

C’est dans cette condition où l’agenda austéritaire européen doit à tout prix être confirmé que nous arrivons à la date de l’élection du Président de la République. Des quatre candidats réellement en lice un seul avait les caractéristiques nécessaires pour continuer à appliquer la lettre rénovée de Juillet 2011 : celui qui l’avait déjà acceptée, Giorgio Napolitano. Franco Marini, pourtant ex-président du Parti Populaire Italien, ex-démocrate chrétien, ne donnait pas assez de garanties à l’aile affairiste réactionnaire du Popolo Della Libertà (le parti de Berlusconi) sans qui aucun président n’était éligible durant les trois premiers tours de l’élection. Quant à Romano Prodi, le candidat phare du PD, il est apparu trop modéré aux ultralibéraux réunis autour de Mario Monti et à certains élus dans les files du Parti Démocrate ou trop droitier pour l’aile la plus à gauche de celui-ci qui lui préférait Rodotà, à l’instar de Sinistra Ecologia e Libertà (les sociaux-démocrates de Vendola) et des élus du Mouv5 étoiles de Grillo. Seule la continuité du personnel pouvait assurer la continuité des politiques d’austérité imposées contre sa volonté au peuple italien.

Ce n’est donc pas une surprise de voir qu’à peine confirmée la réélection de Giorgio Napolitano, tous les problèmes sur la composition du futur gouvernement semblent être tombés d’un coup. Une « Sainte-Alliance » PDL/PD/Scelta Civica (Monti) reconnaît dans Enrico Letta, un « jeune » (47 ans) démocrate chrétien et ex vice secrétaire (de droite) du Parti Démocrate, « l’homme providentiel » autour duquel former le nouvel exécutif. Pendant 24 heures, on donnait comme grand gagnant de la débâcle de Bersani, son ex-outsider lors des primaires de Décembre 2012 Matteo Renzi, mais on lui a préféré l’homme de la commission trilatérale et de l’Aspen Institute, qui a aussi l’avantage d’être le neveu de l’éminence grise de Silvio Berlusconi depuis son entrée en politique : Gianni Letta.

Cinq longues années d’austérité attendent désormais l’Italie parce qu’avec une majorité « présidentielle » qui dépasse les 2/3 des députés et sénateurs et le travail préparatoire des « sages » en matière de réformes constitutionnelles, tout est désormais possible, et tout sera rendu possible pour assurer le bon étranglement des classes moyennes et populaires pour la joie d’une oligarchie antidémocratique.

Guillaume Mariel du Parti de Gauche et Fabio Amato de Rifondazione comunista


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