Marche du 5 mai : Sans précédent mais pas sans suite

mercredi 15 mai 2013.
 

En politique comme en optique, l’image que l’on se fait du réel dépend de l’œil qui le regarde. Ne parle-t-on pas d’un œil exercé ? La révolution commence donc dans notre regard. N’épousons en rien la vision bornée des médiacrates. La marche du 5 mai n’est pas un « bon coup ». Elle n’est pas seulement la preuve du sens stratégique de ses initiateurs. Même si pour passer le balai, je veux bien reconnaître que nous ne sommes pas manchots. Le 5 mai est d’abord un fait politique immense qu’il faut tâcher de comprendre. Jamais sous un gouvernement PS le pays n’a connu une telle mobilisation à gauche. Jamais. Cette marée citoyenne est inédite par son ampleur : 180 000 personnes (dont 30 000 avec des balais selon le ministère de l’Intérieur). Elle est aussi inédite par son objet. Des projets de loi contestés ont déjà rencontré l’hostilité de foules importantes. Mais cette fois le mot d’ordre était beaucoup plus général : changer de politique et même d’institutions. Inédite enfin par son caractère populaire. Calendrier scolaire oblige, dans la rue se pressait surtout la foule de ceux qui ne partent pas en vacances. C’est dire aussi que l’énergie disponible va bien au-delà des présents. Pour nous, deux tâches en découlent. Bien évaluer cette force. Travailler à la projeter plus loin encore.

Disons donc sans barguigner que le succès du 5 a dépassé nos attentes. Nous sommes nous laissés impressionner malgré nous par le matraquage permanent sur notre prétendue solitude et notre condamnation depuis un an à « patiner dans les sondages » ? Nous espérions égaler le 18 mars 2012. Nous avons fait une fois et demie davantage. Or nous ne sommes plus du tout dans le même contexte. La première marche à la Bastille s’est tenue à un mois du premier tour de la présidentielle, quand le milieu devient hautement conducteur puisque chacun s’informe et se politise comme jamais. Avant de rentrer chez soi, laissant les avant-gardes militantes comme des rochers quand la marée se retire. C’est en tout cas comme cela que fonctionne la Cinquième république. Cette fois l’on a vu que les gens n’étaient pas rentrés chez eux. Faute de confiance dans le pouvoir, le mécanisme de délégation sur lequel repose nos institutions se défait peu à peu. Ceux qui étaient là n’ont pas entendu les appels à attendre patiemment chez soi lancés par François Hollande. Parce qu’ils ne croient plus à la mystique dépassée et infantilisante de la Cinquième République. Mais l’ordre des facteurs peut être inversé. Ne croyant plus à la Cinquième, ils ne font plus confiance aveuglément au président en place. Les deux mouvements s’entretiennent dans un processus dynamique qui est bien installé. Il n’est d’ailleurs pas anodin que les passages de l’intervention de Jean-Luc Mélenchon les plus applaudis étaient ceux qui portaient sur le changement de régime. Autre leçon pour nous qui craignons parfois que les questions institutionnelles paraissent trop éloignées des urgences sociales immédiates. En réalité, le passage à la Sixième République les concentre et leur donne une issue.

Par rapport à quel objectif analyser et projeter cette force ? Là encore, le nôtre. Les commentateurs officiels nous évaluent en points de notoriété, de popularité, en maroquins ministériels. Notre baromètre n’est aucun de ceux-là. C’est l’avancement du processus de révolution citoyenne. Les journalistes qui se demandent ce que nous attendons de Hollande ne nous comprennent pas. Nous n’en attendons rien ! Nous construisons un rapport de forces pour révolutionner ce pays. L’enjeu du 5 mai est d’abord le sentiment de force donné à tous ceux qui « en étaient » comme à ceux qui auraient tant voulu en être et ne dépendent pas des canaux officiels d’information pour savoir ce qui s’y est passé. Que ceux qui nous traitent de populistes croient un instant à leurs propres écrits. Ces moutons de Panurge ignorants en trouveront le sens dans le dictionnaire. Les populistes sont ceux qui fondent leur stratégie politique sur l’appel au peuple. C’est ce que nous faisons. La révolution citoyenne repose sur l’implication des citoyens. Bien sûr elle passera par les urnes. Celles-ci sont centrales… dans le processus qui les intègre. C’est-à-dire que la révolution citoyenne ne se résume pas à un vote. L’élection en est une étape, parce qu’elle révèle et accélère à la fois la prise de conscience sans laquelle il n’y a pas de prise de pouvoir. Ce moment viendra donc l’an prochain dans les municipales et surtout dans les européennes. Mais d’ici là la révolution citoyenne continue de s’approfondir. Après le 5 mai, il y a tant de rendez-vous au cours desquels construire la force de résistance et d’alternative. L’accord Made in MEDEF qui rétablit les accords compétitivité emploi de Sarkozy (pour le candidat Hollande ceux-ci représentaient le « démantèlement du droit du travail ») arrive au vote le 14 mai. L’amnistie sociale le 16. Des députés PS désobéiront au diktat hollandais. Combien ? Une majorité ? Cela dépend de nous. Viendront ensuite la loi Fioraso sur l’enseignement supérieur et, gros morceau, les premières tranches de l’acte III de la décentralisation. Puis le sommet social, conçu comme un nouveau traquenard chargé d’avaliser l’allongement de la durée de cotisation pour les retraites. Avant d’aborder la discussion d’un budget marqué par un nouveau tour de vis austéritaire. Dans tous ces rendez-vous le pouvoir solférienien est isolé. Les satisfecits du MEDEF ne valent pas soutien populaire. Si le peuple sait résister il saura donc vaincre.

Quel rendez-vous pour faire converger nos forces dans l’immédiat ? Nos camarades d’Espagne et du Portugal appellent à une journée européenne contre l’austérité le week-end des 1er et 2 juin. A chacun de s’en saisir. Et de construire là où il se trouve une des répliques du 5 mai. Celles-ci seront multiformes et doivent être appréciées et construites sur mesure. Une seule consigne, n’attendez pas les consignes ! Mais tirons les enseignements de nos réussites. Nos rassemblements doivent toujours avoir un caractère unitaire. L’unité est consubstantielle au Front de Gauche. Mais elle doit le déborder sans cesse. Car l’unité aussi est un processus que l’on ne doit jamais oublier de conforter. Pour cela nous avons un point d’appui majeur : la présence enthousiaste d’Eva Joly le 5 mai. C’est le signe d’une disponibilité forte dans la mouvance qu’elle incarne. Et si prometteur pour l’avenir bouché par le productivisme ! Tout ce que nous faisons maintenant doit conforter le rassemblement qui s’est opéré dans ce moment fondateur. De plus, nos actions sont concrètes : elles se donnent des objectifs pratiques au service du grand nombre. Plus la visée est large, plus la mise en mot doit être compréhensible et préhensible. Une Constituante, un balai ! Ensuite, nos initiatives ne doivent jamais être minorisantes. Ce qui doit caractériser les actions du Front de Gauche c’est que l’on y puise de la force. Les cadres ne manquent pas ailleurs pour cultiver la perplexité et le découragement. Enfin, nos actions doivent viser sans cesse l’implication du grand nombre. Le plus simple pour y parvenir est de les faire reposer sur cette même implication. Méthode et fond se rejoignent. D’autant plus qu’il n’en est qu’un embryon, le Front de Gauche doit toujours préfigurer la révolution citoyenne en marche. Après le 5 mai ceci se comprend aisément. C’est pourquoi si cette marche est sans précédent, elle ne sera pas sans suite.


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