« L’ élection Présidentielle pourrit la vie politique » (Daniel Bensaid, LCR)

mercredi 7 février 2007.
 

Dans le prolifique panorama de la gauche française, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) occupe indéniablement une place à part. Communiste antistalinien, ce mouvement né de la lutte estudiantine de Mai 68 s’est toujours démarqué de ses coreligionnaires trotskistes par son ouverture aux nouveaux mouvements sociaux et à ceux que l’orthodoxie prolétarienne qualifiait de « petits bourgeois ». Pour autant, le parti d’Alain Krivine et d’Olivier Besancenot est resté ferme sur ses positions anticapitalistes.

Pas question de devenir l’appendice de gauche du Parti socialiste, ni de céder à l’air du temps de « la politique sans les partis ». Raideur ? Cohérence ? Quoi qu’il en soit, la LCR du populaire facteur Besancenot se retrouve aujourd’hui quelque peu isolée. Son refus de se joindre à une « candidature unitaire antilibérale » - proposée dans l’élan du « non de gauche » à la Constitution européenne - a écorné cette image d’ouverture qu’elle aime à soigner.

Souvent présenté comme le théoricien de la LCR, le philosophe Daniel Bensaïd, spécialiste réputé de Marx et de Benjamin (1), était récemment en Suisse romande à l’invitation du bimensuel solidaritéS. Dans un entretien accordé au Courrier, l’intellectuel toulousain défend l’intransigeance de son mouvement, tout en laissant la porte ouverte à une future union antilibérale. L’ancien leader de Mai 68, aujourd’hui professeur de philosophie à Paris-VIII, nous éclaire également sur le processus électoral en cours outre-Jura.

Après une présidentielle 2002 marquée par la question sécuritaire, des thèmes traditionnels de la gauche - logement, fiscalité, écologie - sont très présents cette année.

Daniel Bensaïd : Pour un début de campagne, c’est un changement très important ! La question du logement a permis de placer le débat sur le terrain des droits sociaux et de la justice. C’est une bonne chose. Et je pense que cela va se maintenir, car se conjuguent aujourd’hui à la fois la gravité de la crise sociale et les nécessités de stratégie électorale des candidats. Les sondages montrent que les préoccupations sociales - notamment l’emploi - sont passées devant la sécurité. Quant aux enquêtes sociologiques, elle révèlent une fragilisation et une relative paupérisation des dites classes moyennes - qui en fait regroupent nombre d’employés au statut plus proche de l’ouvrier que du cadre.

Tous les candidats se sont donc lancés dans une concurrence effrénée pour reconquérir l’électorat populaire perdu notamment en 2002 au profit du Front national et dans une certaine mesure de la gauche radicale(lire ci-dessous).

Ce n’est donc pas un hasard si on a entendu Ségolène Royal invoquer Rosa Luxembourg et radicaliser son discours, y compris contre la Banque centrale européenne. Ou si Sarkozy a parlé de Zola et de Jaurès lors de son discours d’investiture.

Quels autres thèmes devraient, selon vous, occuper la campagne ?

D’abord, il serait heureux qu’il y ait des thèmes... Pour le moment, on parle davantage des gaffes des candidats. Malheureusement, je crains que la question européenne ne soit escamotée des deux côtés. Or celle-ci est non seulement cruciale mais elle est déjà à l’ordre du jour, Angela Merkel (chancelière allemande, ndlr) annonçant un vote constitutionnel pour 2009 ! La question de la guerre - et du rôle de la France en Afrique, dans l’économie d’armement ou dans l’OTAN - est aussi oubliée d’un commun accord. C’est pourtant un élément fondamental de la situation mondiale aujourd’hui.

Enfin, je pense que les candidats éviteront de trop aborder la question institutionnelle. C’est pourtant un débat important. On mesure mal la crise actuelle du régime, aggravée par l’introduction du quinquennat, qui a encore renforcé la logique présidentialiste. Or celle-ci pourrit l’ensemble de la vie politique française. Son caractère plébiscitaire rend difficile tout débat sur des programmes. Et ce, à tous les niveaux, puisque les campagnes axées sur l’image et la personnalité se reproduisent désormais au niveau des régions, ou de n’importe quelle institution.

Il faudrait également se pencher sur le mode de scrutin majoritaire. Personnellement, je suis favorable à injecter une bonne dose de proportionnelle. Rendez-vous compte : lors des législatives de 2002, on a exclu 30% des électeurs de toute représentation politique. En ajoutant les abstentionnistes, c’est la moitié de la population qui n’est pas représentée à l’Assemblée. Et après on vient se plaindre de la crise politique...

Face à cette bipolarité brouillée, certains à gauche sont tentés de dire qu’il n’y a pas de différence entre Royal et Sarkozy. D’autres, en revanche, sont prêts à tout pour éviter la victoire du candidat de la droite.

Il s’agit là, selon moi, de deux écueils à éviter. Quand Ségolène Royal fait de la surenchère sur un certain ordre moral, sur la politique familiale, sur la sécurité, elle flirte en effet avec des thèmes sarkosiens. De même, sa campagne pour l’investiture - en sautant en partie par dessus l’institution PS - a marqué la victoire de la démocratie d’opinion sur les partis. Tout cela souligne le tournant « blairiste » des socialistes. L’intention et le discours y sont. Et pourtant, dans les faits, les choses sont plus complexes. Ségolène Royal a dû s’employer à colmater la brèche ouverte par le référendum sur le Traité constitutionnel. Les ralliements de Montebourg et de Chevènement (partisans du non, contrairement à la majorité des socialistes, ndlr) ont montré sa capacité à reléguer - au moins symboliquement - cette fracture au second plan. Ce n’est pas rien. Aveuglée par le discours « Tout sauf Sarkozy », une partie de la gauche critique s’est finalement ralliée sans combattre. La grosse différence entre Sarkozy et Royal, c’est que celle-ci ne peut s’affranchir des réalités sociales et électorales de la gauche ! Elle se trouve dans un champ de forces qu’elle ne peut éluder, surtout depuis la victoire du non au référendum... Les socialistes savent qu’ils ne sont pas à l’abri d’une explosion sociale.

Pensez-vous que Nicolas Sarkozy incarne une rupture à droite ?

Je crois que oui. Sa candidature tourne la page du gaullisme, cette bizarrerie française. Depuis la guerre, la France a été marquée par le rôle en partie jumeau du gaullisme et du Parti communiste. C’était deux discours à préoccupation populaire, deux formes de nationalisme, avec une connotation anti-américaine. Avec Nicolas Sarkozy, on est dans un tout autre registre. Même si la mort du gaullisme était inscrite dans l’évolution du monde et de la construction de l’Europe en particulier, sa victoire scellerait cette disparition et donnerait le coup d’envoi à une offensive d’une grande violence contre les services publics, les retraites et le code du travail.

Note : (1) Auteur notamment de « Walter Benjamin, sentinelle messianique » (Plon, 1990), de « La discordance des temps » (Passion, 1995) et de « Marx l’intempestif » (Fayard, 1996).

PROPOS RECUEILLIS PAR BENITO PEREZ


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