Réaproprions-nous nos choix de vie

lundi 3 juin 2013.
 

Je crois qu’il est important de lutter pour la justice sociale et qu’il est tout aussi important d’inventer de nouvelles façons de penser et de vivre ensemble. Il faut faire converger ces deux formes d’engagement si nous voulons enfin transformer notre société.

Je voudrais illustrer ce propos par notre alimentation. En effet, quoi de plus universel que le fait de se nourrir  ?

Les luttes comme celles qui sont menées (retraites, Notre-Dame-des-Landes, politique d’austérité) doivent se nourrir d’actions concrètes et alternatives qui permettent d’inventer un autre rapport au monde et d’entrer dans un processus constructif.

Je fais partie d’une coopérative alimentaire  : l’Indépendante. C’est une épicerie qui vend uniquement des produits secs. Elle se place donc en complément des Amap.

Il s’agit de prendre en charge nos choix en termes de nourriture en cessant de cautionner les agissements des multinationales de la chaîne agroalimentaire. Nous avons décidé de ne plus donner notre argent aux grandes enseignes. Il est devenu le centre névralgique de leur stratégie, c’est là qu’il faut agir.

L’Indépendante expérimente une nouvelle forme de démocratie sans hiérarchie et construite autour de l’idée du consensus. Nous refusons le vote et donc la mise en opposition d’une majorité et d’une minorité. Cette épicerie fonctionne en autogestion et un système de solidarité a été mis en place. Nous consacrons environ 30 % de notre budget à l’alimentation, imaginons un instant que 1 % des Français se mette à inventer des Amap, des coopératives alimentaires ou toute autre alternative et cesse de donner son argent aux grands groupes. Faisons le calcul en prenant le salaire médian (1 650 euros/mois) comme référence. La part consacrée à se nourrir est donc égale à 1 650 euros x 30 %, soit 495 euros, multiplié par le nombre de personnes (650 000), 495 euros x 650 000 = 312 millions d’euros par mois  ! Cette somme énorme n’irait plus remplir les poches des actionnaires et permettrait à des maraîchers de s’installer localement, à de petites structures de se créer.

De plus, nous ne mangerions plus de produits empoisonnés par des pesticides et nous prendrions du temps pour construire de nouveaux rapports avec les autres pour expérimenter de nouvelles formes d’organisation et de démocratie horizontale (voir Pour un municipalisme libertaire, de Murray Bookchin). Enfin, devant le bonheur que nous aurions à reprendre en main nos choix élémentaires comme celui de se nourrir, nous étendrions nos réflexions sur nos choix en termes de santé et d’éducation (voir Une société sans école, d’Ivan Illich).

Et si la réappropriation de nos choix de vie diminuait les bénéfices de grands groupes industriels, ces derniers ne pourraient plus investir massivement dans des projets inutiles qui détruisent la biodiversité, les savoir-faire, réduisant les peuples au chômage. Avec notre argent, nous créerions du travail local sans le concours des multinationales et de l’État qui les cautionne. Alors le choix de notre alimentation réinventerait une nouvelle démocratie où nous – Français de toutes origines et de toutes provenances sociales – retrouverions un vrai pouvoir.

Faire un autre choix peut être un acte politique important s’il est partagé. Choisir un chemin qui n’est pas celui que nous impose cette société de consommation, à travers publicité et médias, peut se révéler bien plus subversif que nous ne le pensons.

Deux arguments viennent souvent s’opposer à cet appel  : comment faire, je me sens seul  ; la nourriture bio, c’est trop cher.

D’abord, l’idée qui sous-tend la création d’alternative est la sortie de l’isolement dans lequel chacun d’entre nous se trouve. Une des forces du système est d’individualiser à outrance nos vies jusqu’à fabriquer une peur de l’autre. Lancer une alternative, c’est au contraire faire confiance à l’autre, lui tendre la main et envisager une construction collective. Nous avons construit l’Indépendante à soixante et, le plus impressionnant, c’est que je ne connaissais aucune de ces personnes.

Par ailleurs, la nourriture bio n’est pas chère, c’est la façon de nous nourrir, dictée par les gouvernements et leurs alliés de la finance agroalimentaire, qui n’est pas bonne. Se réapproprier son alimentation, c’est se poser des questions sur les coûts réels, les conséquences sociales et environnementales de la «  nourriture pas chère  » que l’on trouve dans les supermarchés ainsi que sur l’équilibre nutritionnel de nos repas.

En 2008, le Parlement européen a publié une étude qui affirme que 26 milliards d’euros par an pourraient être économisés sur le budget de la santé en supprimant les pesticides du marché européen. Les coûts sanitaires associés aux pesticides, appelés externalités, ne sont pas incorporés dans le prix payé au supermarché. Ce sont nos impôts qui paient le prix de ces externalités, ne permettant plus de financer hôpitaux, transports de personnes, écoles…

Manger bio n’est pas cher si on accepte de remettre en questions ses habitudes. Manger moins de viande, de sucre, ainsi que le préconise Afterres 2050, évite des problèmes de santé importants et permet d’acheter des aliments issus d’une agriculture non empoisonnée, respectueuse de la terre dans un rapport direct aux producteurs, qui sont alors rémunérés au prix juste de leur travail.

La mise en place d’une Amap ou d’une coopérative alimentaire est extrêmement simple et ne nécessite aucun investissement financier. Alors, si comme le disent les Indignés, nous sommes les 99 %, soyons-les dans nos actes de tous les jours et ainsi nous reprendrons le pouvoir et construirons de façon non violente un monde juste, équitable et respectueux de tous  !

Par Hervé Krief,


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message