Un hiver de manifestations en Bulgarie

lundi 6 mai 2013.
 

Au cours des deux derniers mois, la Bulgarie, le pays le plus passif dans les Balkans, traditionnellement combatifs, a été secouée par des manifestations. Depuis le début de février, les Bulgares ont été dans les rues dans la plupart des grandes villes pour protester contre l’augmentation des prix de l’électricité et du chauffage. Après quelques nuits d’affrontements entre la police et les manifestants, le gouvernement de Boïko Borissov et de son parti GERB ont démissionné.

Une semaine de négociations superficielles a suivi. Après avoir offert le poste à tous les partis représentés au Parlement, qui ont décliné, le président Rossen Plevneliev a dissous le Parlement et nommé un gouvernement intérimaire. Les élections sont prévues le 12 mai, trop tôt pour faire émerger de nouveaux acteurs. Pour éviter leur apparition, la première réforme du nouveau gouvernement intérimaire a été d’augmenter les coûts déjà élevés des campagnes électorales.

Les protestations ont commencé avec des exigences économiques claires.Une importante augmentation a été décrétée, non pas sur le prix de l’énergie elle-même, mais sur les taxes sur sa distribution. Les sociétés de distribution d’électricité - privatisées en 2005 et vendues à de grandes sociétés étrangères qui ont signé un contrat avec l’Etat pour les indemniser en cas de pertes - ont maintenu les prix élevés grâce à une entente. Pourtant, dans la Bulgarie post-socialiste, toute rhétorique contre l’austérité et ou le marché libre est soit condamnée comme « communiste » (c’està- dire le mal), soit utilisée par le Parti socialiste néolibéral mais sans aucune signification politique réelle. Ainsi, il n’est pas surprenant que les manifestants n’aient pas eu les mots pour faire le lien entre la situation et un changement structurel important. Des revendication économiques contradictoires ont été formulées : contre les monopoles, mais pour la nationalisation des compagnies de distribution de l’électricité. Les demandes d’un "changement total du système" sont venues sans aucune vision politique clair - de gauche ou de droite - de ce qui pourrait venir après.

L’élan initial de la protestation a maintenant disparu, laissant place à un certain nombre de problèmes sérieux.Quelques leaders (auto)proclamés de la contestation ont déjà émergé et ont fait scission. La moitié d’entre eux vient de rejoindre la campagne pour des élections législatives avec un parti marginal qui aura du mal à entrer au Parlement. Ces mêmes « figures de la manifestation » avait affirmé d’abord qu’ils n’étaient pas intéressés par la politique partisane, mais souhaitaient changer le système : ils déclarent maintenant que le système ne peut être changé que « de l’intérieur ». D’autres figures connues ont uni leurs forces avec le parti d’extrême-droite anti-turc et anti-Roms VMRO. Comme l’autre parti d’extrême droite représenté au Parlement national et européen - Ataka - VMRO a récemment doublé son influence. Ses représentants sont actuellement en campagne à travers le pays avec des slogans populistes, comme « nationalisation », «  redistribution » et « sécurité ». C’est tentant, mais il faut se le rappeler : les dirigeants de ces partis, qui soutiennent ouvertement les hooligans néo-nazis condamnés, les expulsions sur une base ethnique et les politiques racistes et chauvines, considèrent que seuls les Bulgares « ethniquement purs » doivent bénéficier de la redistribution. La petite Gauche nouvelle n’a pas les ressources humaines et financières pour contester l’hégémonie croissante des nationalistes. Elle n’émerge que lentement et difficilement dans le vide politique créé par l’idéologie du marché libre et l’adhésion à l’UE, que les socialistes et tous les autres partis soutiennent.

Dans le même temps, la pauvreté et la misère de nombreuses familles bulgares a connu une croissance significative. 36 000 familles bulgares ont perdu leurs maisons rien qu’en 2012, n’étant pas en mesure de rembourser leur crédit. Six auto-immolations ont eu lieu en un peu plus d’un mois.

Elles ont été accompagnées par une avalanche de suicides moins brutaux et de décès à cause de problèmes de santé induits par le stress. Avec la grave stagnation et sans un Parlement actif, le nouveau gouvernement a été incapable de faire autre chose que des améliorations cosmétiques. Les allocations ponctuelles de 30 euros par famille dans le besoin - une somme qui couvre à peine l’augmentation de la facture d’électricité d’un ménage modeste - est une mesure plus qu’insuffisante pour sauver les gens de la pauvreté chronique. Alors que les Bulgares pouvaient compter pour la plupart sur les revenus d’un membre de la famille à l’étranger, la crise dans le sud de l’Europe et les campagnes négatives contre les Bulgares et les Roumains dans les principaux pays de l’Union européenne, rendent les perspectives pour les ressortissants des deux pays les plus pauvres de la UE plutôt sombres. Les récentes mesures « plus dures » de David Cameron ne sont qu’une étape de plus dans une campagne permanente contre les citoyens bulgares et roumains : la déclaration allemande de blocage de leur entrée Schengen, la hotline des Pays-Bas contre les travailleurs des deux pays et les expulsions françaises de ressortissants d’origine rom. Le message est clair : l’UE n’est plus un club de riches - ou, comme nous le rappelle la crise bancaire de Chypre, cela vaut seulement pour les élites transnationales économiques. La Bulgarie et la Roumanie ont subi un ajustement économique et politique juste pour obtenir une citoyenneté de seconde classe : coûts élevés, faibles prestations.

Deux scénarios pour l’avenir, ne s’excluant pas l’un l’autre : « Un Parlement paralysé » et « la tasse de café ». Le prochain Parlement que les Bulgares éliront sera très probablement paralysé : avec deux ou plus des partis politiques actuellement au pouvoir dans une coalition instable. Ce que les protestations ont changé, c’est que pour la première fois depuis plus d’une décennie, le pouvoir de la classe politique a été sérieusement ébranlé. Et si ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui ne changent pas radicalement le cours de la politique, ils devront faire face à une nouvelle vague de protestations au cours de l’hiver prochain. « La tasse de café » est une expression utilisée par l’écrivain italien Tonino Guerra. Il nomme ainsi une pratique de solidarité dans laquelle les clients les plus riches d’un café paient un café supplémentaire que le barman sert à un client qui ne peut pas se le permettre. L’expression a récemment envahi l’internet bulgare. Un nombre croissant de cafés et de boutiques à travers le pays proposent maintenant le service afin que les gens puissent aider ceux qui sont dans le besoin. La pratique pourrait ne pas résoudre le problème structurel, ou même ne pas prendre racine dans un pays où l’atomisation, l’aliénation et l’anomie sont devenues depuis longtemps la réalité sociale dominante. Ce que cela traduit, cependant, c’est la prise de conscience croissante de la nécessité d’une organisation populaire indépendante de l’Etat et des bailleurs de fonds internationaux. C’est la première fois dans l’histoire post-socialiste de la Bulgarie que l’individualisme égoïste, pleinement et sans hésitation adopté au cours des années de transition, a été questionné en tant que valeur. Les Bulgares ont commencé à faire leurs des pratiques et des modes de solidarité et d’auto-organisation existants, à en développer de nouvelles et à se souvenir des anciennes qui avaient été oubliées. Un meilleur système de gouvernance et l’inversion des politiques économiques inhumaines restent à faire. Mais un certain niveau d’autonomie et de maturité politique est ainsi : un chemin épineux pour la Bulgarie et pour tous les pays touchés par la crise.

Par Mariya Ivancheva


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message