Peuple Tamoul La longue et lente marche 
vers l’autodétermination

lundi 22 avril 2013.
 

Réunis à Genève, 
les Tamouls 
du Sri Lanka et 
de la diaspora ont élaboré une résolution qu’ils proposeront au Conseil des droits de l’homme de l’ONU afin d’obtenir une enquête internationale sur les crimes de guerre et un référendum sur l’indépendance.

Une figure tutélaire flottait sur Genève ces derniers jours. Comme un parangon de l’émancipation, les Tamouls du Sri Lanka et de la diaspora gardaient à l’esprit Nelson Mandela, dont le combat contre la domination politique des Blancs et la ségrégation raciale en Afrique du Sud a, pour beaucoup, valeur d’exemple. «  Mandela, lui-même, était désigné comme un terroriste. Aujourd’hui, qui oserait encore l’appeler ainsi  ?  » lançait samedi l’avocat Ravi Pillay à une assistance conquise, venue de vingt-deux pays afin d’élaborer une résolution qu’ils comptent proposer dans le cadre de la 22e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui se tient jusqu’au 22 mars. Autant dire un acte politique fort dans l’histoire du peuple tamoul qui, après des décennies de guerre au Sri Lanka, n’a pas abandonné ses rêves d’autodétermination. Adopté à l’unanimité, le texte demande le retrait de l’armée et des forces de sécurité du nord et de l’est du territoire, la mise sur pied d’une enquête internationale et indépendante sur le «  génocide et crimes contre l’humanité  », qui perdurent malgré la trêve de 2009 et la tenue d’un référendum piloté par les Nations unies sur l’indépendance, et donc la création d’un État tamoul.

Lors de la précédente session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, une résolution avait été votée afin que Colombo mette sur pied une commission d’investigation visant à traduire en justice les coupables de crimes contre l’humanité. Un an après, aucune action en ce sens n’a été entamée par le gouvernement du président Mahinda Rajapakse. «  Plusieurs milliers de Tamouls ont été tués et continuent de disparaître non parce qu’il existe un défaut d’informations mais par manque de volonté politique de la part de la communauté internationale  », explique Jude Lal Fernando, professeur à l’université de Dublin. Outre les arrestations et la disparition d’opposants politiques qui perdurent, le processus de colonisation du nord et de l’est du pays, revendiqué par les Tamouls, afin d’entamer la continuité territoriale et de renverser la balance démographique, ne laisse pas d’inquiéter la population  : «  De nombreux observateurs constatent des expropriations de terres agricoles cultivées, les discriminations dans l’accès au droit de pêche ou dans le droit à ouvrir des commerces. Il faut de surcroît ajouter que vos élus au suffrage universel ne se voient pas reconnus comme des élus à part entière  », constate la députée Marie-George Buffet, qui préside un groupe d’études sur la question tamoule à l’Assemblée nationale. La lente paupérisation des populations et la poursuite des exactions par le gouvernement de la majorité cinghalaise poussent chaque année des milliers de Tamouls à se joindre au cortège des candidats à l’exil. Près de 2 millions d’entre eux vivent désormais hors du Sri Lanka. Depuis 1972, le conflit, qui puise ses origines dans la décolonisation britannique et le transfert du pouvoir aux Cinghalais, aurait causé la mort de 80 000 à 100 000 personnes, selon l’ONU. «  Le conflit actuel résulte d’une construction coloniale. Et le développement d’une idéologie suprématiste et racialiste au sein des élites cinghalaises est clairement imputable aux Britanniques. Tout cela n’existait pas auparavant. La puissance coloniale a appliqué, de son arrivée à son départ, la devise du diviser pour mieux régner  », juge Jude Lal Fernando.

Les Tamouls et leur leadership ont désormais du mal à se départir de l’image d’un mouvement lié au terrorisme, dont a usé et abusé le président Rajapakse afin de reconquérir le territoire aux mains des Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (LTTE) dans un contexte international favorable. Dans sa guerre sans merci et après une vague d’attentats-suicides, le gouvernement sri lankais trouve l’appui des États-Unis qui, en 1997, placent les Tigres tamouls sur la liste des organisations terroristes, après l’Inde en 1992, avant le Royaume-Uni en 2000 et l’Union européenne en 2006. Cette catégorisation a fortement miné le processus de paix des années 2000. L’intellectuel communiste Viraj Mendis, issu de la majorité cinghalaise, a lui-même dû s’exiler pour l’Allemagne du fait de son soutien à la lutte de libération tamoule. Il explique le soutien de la communauté internationale par l’importance stratégique du territoire tamoul  : «  Malheureusement, ce peuple occupe une terre sur lesquelles de nombreuses nations ont des vues. L’objectif des États-Unis est de perpétuer les discriminations afin de préserver leurs intérêts dans la région, de pénétrer le pays pour le placer dans sa sphère d’influence.  » Washington et Londres exercent déjà un droit d’utilisation de bases militaires sur l’île en échange d’une formation militaire des cadres de l’armée sri lankaise. Un accord lie les deux puissances à l’île jusqu’en 2037 mais, sans volonté politique, peu de chance que celui-ci soit dénoncé en 2015, comme le prévoit le texte. Si les régions tamoules recèlent des ressources en hydrocarbures, le Sri Lanka occupe de fait un emplacement clé au confluent des grandes routes maritimes de l’océan Indien. Face à ces enjeux, les Tamouls du Sri Lanka et de la diaspora entament, depuis Genève, un lent travail d’unification des mouvements représentatifs et d’influence sur les instances internationales afin de trouver un pays membre susceptible de demander une enquête internationale et indépendante sur les crimes de guerre.

Lina Sankari, L’Humanité


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