Respectez le non du 29 mai !

vendredi 2 février 2007.
 

Certains de nos concitoyens ont parfois une vision bien naïve des réalités de la construction européenne. C’est l’Europe Bisounours : un monde merveilleux, où sous le couvert apaisant du drapeau marial, enjeux de pouvoir et rapports de force laissent place à un torrent inépuisable d’affection et de concorde. Dans ce bas monde, tout est affaire de luttes et de bataille, surtout le poste de journaliste titulaire à la rédaction ou celui de secrétaire de la section... Mais dans l’Union européenne, les bons sentiments sont censés régner en maître et les intérêts particuliers s’effacer par enchantement.

Combien de commentateurs nous ont lourdement raillés lorsque nous avons lancé notre campagne « respectez notre non ! » dès le lendemain du 29 mai 2005 en disant que cela serait l’enjeu d’une bataille ? Pensez-donc, quelle que soit leur stupéfaction à notre égard, nos amis européens ne pouvaient que respecter le « non » français ! Il était donc temps de passer à autre chose. C’était croire que le cours de la construction européenne n’est pas l’objet d’enjeux économiques et politiques considérables. Les millions d’euros dépensés par les grands groupes pour avoir lobby sur rue à Bruxelles n’ont rien de philanthropique. Quant aux réalités de puissance, elles n’ont pas disparu par la grâce du marché mondialisé. Il suffit pour s’en convaincre de faire la liste des pays qui revendiquent désormais devant leurs peuples et devant les Nations du Monde un rôle accru sur la scène mondiale : Allemagne, Brésil, Japon, Chine... On n’a encore vu aucune Nation renoncer à son siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU au motif que la prospérité économique suffisait à son bonheur et que le libre échange avait supprimé les rapports de force inter-étatiques. Les enjeux de puissance ne se sont pas dissous dans le nouvel âge du capitalisme. Les tensions s’exacerbent au contraire à l’échelle du monde.

Les partisans de la Constitution européenne, finance internationale, grands groupes, dirigeants politiques européens... n’ont pas changé d’avis pour faire plaisir à ceux qui voudraient que l’on tourne au plus vite la page du « non » français. Ils ont temporisé, patienté, pour apprécier les rapports de force et redéployer leurs positions en conséquence. S’ils reviennent aujourd’hui à la charge en organisant la scandaleuse réunion à Madrid des 18 pays « amis de la Constitution » (voir à ce sujet le communiqué de Jean-Luc Mélenchon et Oskar Lafontaine), c’est qu’ils estiment que le rapport de forces leur est à nouveau favorable. Les forces françaises qui ont porté le « non » de gauche ne sont pas parvenues à s’entendre, leur poids politique est donc marginalisé dans l’élection présidentielle française. Le favori du jour, Nicolas Sarkozy, est un proche ami de Merkel et de Blair. Les positions de Royal, qui avaient voté en faveur du projet de Constitution européenne, oscillent quelque peu en la matière, entre rejet de l’indépendance de la Banque centrale et refus de « pénaliser les pays qui ont voté oui ».

Dès que la France baisse la garde, les partisans de la Constitution repartent à la charge. Car l’Europe Bisounours n’existe pas. L’histoire européenne reste faite de conflits. Cette affaire même est tissée de l’étoffe dont elle fait ses drames. Peut-on ignorer les terribles dangers que recèle la démarche des « amis de la Constitution » ? En affichant la couleur, ils prennent un risque : ramener la question européenne dans la présidentielle et obliger les candidats à s’engager irrévocablement à respecter le « non » des Français. Frank-Walter Steinmeier, ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne SPD déclarait récemment : « Il serait bien que, dans les pays où des élections doivent avoir lieu, la constitution européenne ne devienne pas un sujet central sur lequel des prises de position politiques de principe soient prises ». Mais s’ils assument ce risque c’est qu’il leur faut absolument préparer dès maintenant les conditions d’un encerclement de la France. Celui-ci doit en effet se matérialiser dès la conclusion de la présidence allemande, quelques jours seulement après le second tour des législatives françaises... afin de se concrétiser par la reddition de notre pays, lors de la présidence française du second semestre 2008. Ensuite, les partisans de l’Europe actuelle se pensent tranquilles pour longtemps : ils ne sont pas prêts de réorganiser des référendums sur ces questions et la prochaine présidence française ne reviendra qu’en 2022 !

Or acculer la France, l’encercler pour contraindre son peuple à renoncer à l’expression souveraine de sa volonté, c’est créer les conditions d’une crise nationale d’une immense ampleur. Dans un pays déjà secoué par l’urgence sociale et politique, c’est ajouter la crise nationale que l’on retrouve à la racine de toutes les grandes secousses qui ont marqué son histoire. C’est nier frontalement la formule de François Mitterrand, « faire l’Europe sans défaire la France », dont il avait senti qu’elle fixait le seul chemin acceptable par notre peuple. Nul ne sait ce qui pourrait sortir d’une telle crise. Une vague de nationalisme pourrait se lever contre nos partenaires et trouver son expression dans une extrême-droite dont notre pays est aussi l’inventeur. Pour éviter que l’histoire ne se répète, il faut la regarder en face. Surtout pas tourner la tête. Lorsque les hommes ont à l’esprit ses leçons, ils peuvent éviter qu’elle ne recommence. Mais lorsqu’ils tentent de l’ignorer, elle se rappelle à eux avec violence.


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