La « main invisible du marché » ou les croyances de Jérôme Cahuzac

mercredi 30 janvier 2013.
 

La lutte des classes serait-elle dépassée ?

« Je ne crois pas à la lutte des classes, je n’y ai jamais cru. » La phrase prononcée par Jérôme Cahuzac lundi 7 janvier fait déjà date. Elle entretient le fil tenu par une partie des socialistes depuis les années 1990, où l’analyse de la chute du mur de Berlin a conduit certains de leurs dirigeants à proclamer que le capitalisme était la fin de l’histoire. Comme nous reconnaissons à Jérôme Cahuzac son érudition, nous savons qu’il ne prononce pas ces mots à la légère. Il affirme haut et fort, lui aussi, que le capitalisme a gagné et qu’aucune alternative n’y est possible. Il assume devant le peuple l’orientation choisie. Il avoue ce faisant qu’en votant pour le changement, le peuple de gauche a voté pour l’alternance des personnes et non l’alternative à une politique.

Parce qu’il sait son orientation minoritaire, il la proclame. Karl Marx nous enseignait déjà que « les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante ». Jérôme Cahuzac mène donc ce combat de l’idéologie dominante qui cherche à faire passer un fait minoritaire pour une vérité révélée et une évidence.

La condescendance et le mépris sont les principaux arguments de l’oligarchie. Ceux qui s’opposeraient seraient des fous. Rien de moins ! Voilà à quoi sert l’emploi autoritaire du « bon sens » pour justifier et normaliser une parole. Comme si ceux qui ne partagent pas sa vision des choses en étaient dénués. Autrement dit : nous sommes des « insensés », des êtres qui ne se servent pas de leur raison pour réfléchir et analyser. Situation cocasse s’il en est une, pour s’adresser à des rationalistes, à des matérialistes, à la gauche des Lumières. Situation plus cocasse encore, vu le vocabulaire utilisé. « Il ne croit pas en la lutte des classes. »

Mais il ne s’agit pas pour nous de croyance ! Les matérialistes ont des analyses de situations concrètes dont ils tirent des conclusions. « Croire », c’est se référer à un dogme, jamais remis en cause, rester muré dans ses certitudes. Le matérialisme historique, méthode proposée par les penseurs marxistes et par Marx lui-même, oblige à une refonte permanente de la pensée, à une confrontation entre les idéaux et le réel.

Alors que, pendant ce temps, les libéraux, eux, se réfèrent à des concepts pour le moins mystiques, « la main invisible du marché », et naturalistes, « ça a toujours été comme ça », « l’homme est ainsi » pour justifier une pseudo-pente naturelle à la compétition. Celle qui conduit à la conclusion rédhibitoire de Margaret Thatcher, Tina, « there is no alternative ». En version Cahuzac, cela donne : « Votre sincérité ne peut rien contre la Banque centrale européenne. »

En déroulant la pelote de la négation de la lutte des classes, nous voyons qu’elle a comme fondement l’idée que le capitalisme et donc ses dominants ont gagné. Sans lutte, pas de combat.

Sans classes, pas de rapports sociaux. Sans combats entre rapports sociaux, la loi du possédant 1/8s’applique méthodiquement. Mais la « main invisible » aime à caresser la tête des patrons plutôt qu’à cajoler les salariés...

Les « insensés » ne sont donc pas ceux qu’on voudrait montrer du doigt... Et par la même occasion les dogmatiques non plus. Les désormais avoués « sociaux-libéraux » ont beau jeu de se draper dans la modernité pour faire passer des idées de fait réactionnaires. Qui explique à longueur de temps : on ne peut rien faire, rien changer, faisons confiance au système, continuons de dévaler la pente car nous ne savons pas proposer autre chose ? Qui s’arc-boute sur un système qui n’en finit plus de s’écrouler en entraînant derrière lui dévastation humaine et planétaire, misère et désolation, guerres à répétition ? Et ce, du seul fait que leur « croyance » en un système les empêche de le remettre en question.

Et pourtant, nous sommes issus du peuple qui a pris en main son destin collectif, qui a su renverser un ordre établi il y a des siècles, qui, de manière raisonnée, a rompu avec le spiritualisme et l’ordre naturel pour imposer le modèle républicain laïque d’égalité. Nul ne domine. L’intérêt général est le moteur. En voilà une idée moderne ! Une idée qui n’est peut-être pas « à la mode » chez les financiers et ceux qui leur obéissent sagement, mais qui sonne comme novatrice et salvatrice dans l’immensité du peuple.

Par Magali Escot, membre du Bureau National du Parti de Gauche. 1


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