Réforme constitutionnelle : Replâtrage et coups tordus

vendredi 18 janvier 2013.
 

Pendant la campagne, François Hollande avait promis quelques réformes institutionnelles. Elles étaient censées créer une « république exemplaire » sans sortir du cadre de la Vème République. Le 7 janvier, dans ses vœux au Conseil constitutionnel, il a précisé les principaux changements qu’il souhaite apporter à travers une révision constitutionnelle « adoptée par le Parlement réuni en Congrès dans les mois qui viennent ».

Des « avancées » bien faibles

Les mesures annoncées par le Président, bien qu’indispensables, traduisent une ambition étriquée. L’annonce la plus médiatique est la fin de la présence automatique des anciens présidents de la République au sein du Conseil constitutionnel. Indispensable, un tel changement ne répondrait pourtant pas aux problèmes que pose le conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel contre la souveraineté du peuple !

Le 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions du budget 2013 dont la fameuse taxe à 75%. Sans exonérer le gouvernement de son incompétence, on ne peut accepter qu’une dizaine de personnes, élues par personne et désignées sans aucune obligation de compétence, s’arrogent le droit de défaire ce que le Parlement, c’est-à-dire les représentants du peuple, ont souverainement décidé.

Car le Conseil constitutionnel est allé au-delà de la seule vérification du droit. Il a ainsi réduit plusieurs taux d’imposition votés par le Parlement au motif qu’ils auraient été « confiscatoires ». Et le Conseil n’a pas seulement censuré les dispositions. Il s’est aussi arroger le droit de fixer lui-même le taux, jusqu’à deux décimales après la virgule : 68,34% pour les retraites-chapeaux par exemple contre 75,34% votée par le Parlement. Vous avez dit « gouvernement des juges » ?

François Hollande a aussi annoncé une réforme du Conseil supérieur de la magistrature pour « consolider son indépendance » et « consacrer son rôle dans la nomination » des juges et procureurs mais elle paraît bien timide. La réforme du « statut pénal du chef de l’Etat » devrait permettre de juger celui-ci au cours de son mandat pour des actes détachables de sa fonction mais François Hollande ne l’a pas dit aussi clairement. Enfin, la réforme du mode de scrutin des sénatoriales devrait consister en un simple retour à la règle adoptée par la gauche plurielle avec une élection à la proportionnelle dès trois sénateurs par département contre quatre aujourd’hui. Pas de quoi mettre fin à « l’anomalie démocratique » qu’est le Sénat.

Recul sur le droit de vote des étrangers

Ce qui frappe dans les annonces de François Hollande, ce sont les manques. Ils sont criants : rien sur l’extension des pouvoirs du Parlement, rien sur les libertés fondamentales, rien ou presque sur la parité et l’égalité femme/homme. Et bien sûr, pas un mot sur le droit de vote des étrangers aux élections locales. Lors de sa conférence de presse du 13 novembre, François Hollande avait déjà enterré cette promesse et renoncé à mener le combat sur ce sujet. Pourtant, selon "l’agenda du changement" du candidat Hollande, cette mesure devait être votée avant juin 2013. Aujourd’hui, le doute n’est plus permis. Le président Hollande n’en a pas parlé dans ses vœux au Conseil constitutionnel. Et la mesure ne figure pas dans le programme de travail du gouvernement pour le premier semestre 2013. Or, compte-tenu des délais nécessaires à son adoption, cela revient à acter que cette promesse de 1981 ne sera toujours pas appliquée lors des municipales de 2014.

Inconnue sur le cumul des mandats

Depuis son élection, François Hollande n’a jamais précisé ses intentions sur le cumul des mandats. Plusieurs sénateurs PS, dont le président du groupe PS au Sénat François Rebsamen, s’opposent fermement à toute limitation. Et le président de l’Assemblée Claude Bartolone souhaite que si les députés ne peuvent plus cumuler leurs mandats après les municipales de 2014, leurs suppléants les remplacent automatiquement pour éviter des élections législatives partielles en grand nombre. L’hypothèse d’une interdiction totale de cumuler des mandats exécutifs locaux (maire, président d’agglomération, président de conseil général ou régional) n’est pas d’actualité. Seuls les parlementaires pourraient être concernés par un hypothétique durcissement des règles. Mais même dans ce cas, on resterait loin du principe d’un mandat unique : les députés et sénateurs pourrait continuer à siéger dans les conseils municipaux, généraux ou régionaux.

Silence radio sur la proportionnelle

Le dernier silence de François Hollande concerne l’introduction de la proportionnelle pour l’élection des députés. Aujourd’hui, l’Assemblée n’est pas représentative : l’UMP et le PS ont 90% des sièges avec 55% des voix. Pendant la campagne, Hollande avait promis 15% de proportionnelle. C’était déjà peu. La Commission Jospin a revu la proposition à la baisse à 10%, reprenant la proposition de Sarkozy. Avec 10% de proportionnelle, le Front de Gauche aurait à peine trois sièges supplémentaires, soit 13 députés contre 10 actuellement et plus de 40 avec la proportionnelle intégrale.

François Hollande n’a même pas évoqué le sujet dans ses vœux au Conseil constitutionnel. Cette question ne figure pas non plus dans le programme de travail du gouvernement d’ici juin 2013. Le pire est même à craindre si l’on en croit la réforme du mode de scrutin pour l’élection des conseillers généraux débattue au Parlement ce mois-ci. Pour les nouvelles élections départementales, le Gouvernement a inventé une usine à gaz surréaliste : faire élire par un vote unique au scrutin majoritaire deux personnes différentes dans le même canton. Le parti vainqueur ne gagne pas un mais deux sièges à la fois, une femme et un homme. Sous prétexte de parité, c’est un mauvais coup contre le pluralisme politique. Pourtant, pour combiner parité et pluralisme, il existe une méthode simple : la proportionnelle de liste. Elle existe déjà pour les élections régionales. Manifestement, le PS ne veut pas l’étendre au-delà.

Une volonté d’aggraver le bipartisme

C’est cohérent avec d’autres annonces qui renforceraient le bipartisme PS-UMP. Dans son rapport, la commission Jospin propose plusieurs mesures en ce sens. Première idée : elle propose de moduler le taux de remboursement public des dépenses de campagne en fonction du résultat obtenu. Plus un candidat aurait de voix plus son taux de remboursement serait élevé ! Avec une telle règle, en 2012, Jean-Luc Mélenchon aurait été moitié moins remboursé que Hollande et Sarkozy alors que les règles actuelles permettent un remboursement égal sitôt franchi le seuil de 5%. Et comme les dépenses seraient engagées sans visibilité quant au remboursement futur, une candidature à la présidentielle serait soumise au bon-vouloir des détenteurs de capitaux ou des banquiers. Deuxième idée : limiter le temps de parole des candidats autres que ceux du bipartisme dans les médias. Actuellement, les candidats doivent être traités à « égalité des temps de parole » dans le mois qui précède l’élection. Jospin propose que cette obligation ne s’applique plus que les deux dernières semaines. Hollande a confirmé vouloir « assouplir les règles d’accès aux médias » et donc étendre les règles arbitraires de « l’équité ». Dans cet esprit, il vient de nommer Olivier Schrameck, ex membre de la Commission Jospin à la tête du CSA. Jadis, l’UMP y avait nommé l’ex-directeur de cabinet de Raffarin : les gouvernements changent, les pratiques demeurent. Le bipartisme sort renforcé.

Commission Jospin, l’opacité

Sans même parler de convoquer une Assemblée constituante, François Hollande aurait pu confier à des élus le soin de mener un débat démocratique et transparent sur les institutions. Il a préféré créé une « commission sur la rénovation et la déontologie de la vie politique », nommée par lui-seul, réunie à huis clos et composée d’« experts » non élus. Seuls le PS et l’UMP étaient représentés. Bref, une démarche qui consacre l’entre-soi, le bipartisme et, au final, l’opacité.

François Hollande refuse de rompre avec la Ve République. Il préfère modifier pour la 25e fois la Constitution écrite après le coup de force de 1958. Le détail des changements à venir montre l’étendue des renoncements de François Hollande. Et l’impossibilité d’instaurer une « république exemplaire » sans rompre avec le carcan de la Ve République. Les changements annoncés ne sont qu’un replâtrage de plus, et encore, un replâtrage parfois lourd de danger. On est loin, très loin, de la VIe République et de l’Assemblée Constituante qui devra l’inventer.

Une loi à géométrie variable

François Hollande a confirmé le 7 janvier qu’il souhaitait « reconnaître le rôle des partenaires sociaux » dans la Constitution. Il a aussi appelé son gouvernement à transcrire « fidèlement » dans la loi l’accord MEDEF-CFDT-CFTC-CGC sur le marché du travail. Cela revient à reconnaître aux accords contractuels un statut supérieur à la loi. C’est inacceptable en République où la loi doit s’imposer à tous.

C’est cohérent avec plusieurs déclarations de dirigeants socialistes concernant la décentralisation. Plusieurs ont ainsi réclamé que les régions puissent « adapter » la loi selon leur bon vouloir.

Enfin, en matière de loi à géométrie variable, la proposition Hollande visant à constitutionnaliser le Concordat d’Alsace-Moselle n’est pas la plus petite attaque. Elle est surtout une agression insupportable contre la laïcité.

Sur tous ces sujets, vigilance et résistance s’imposent !

Mardi 15 Janvier 2013

Matthias Tavel, Marc Duval


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