L’apocalypse : un concept chrétien, pas maya !

vendredi 4 janvier 2013.
 

L’écrivain mexicain Juan Villoro a arpenté le pays maya, où personne ne croit à la fin du monde, une notion finalement très chrétienne. Les descendants des Mayas, eux, sont véritablement menacés d’extinction, apocalypse ou pas.

Grâce au tourisme du Jugement dernier, les hôtels [du pays maya] affichent "complet" le 21 décembre. Les esprits chagrins veulent être en première ligne pour se délecter du spectacle de la destruction du monde et ceux qui croient en la vie éternelle voient l’apocalypse comme une bonne occasion de recharger leurs batteries en espérant un meilleur avenir.

Quel crédit accorder à la fin du monde ? En juin, lorsque j’ai arpenté la région pour y rencontrer des archéologues et des spécialistes de l’épigraphie dans le cadre de la série télévisée Piedras que hablan [Pierres qui parlent], aucun de ces scientifiques ne prenait au sérieux cette prédiction.

Vivant dans un écosystème instable dû – pensaient-ils – à des divinités aux exigences capricieuses, les Mayas ont tenté de pacifier le cosmos en offrant des sacrifices. Les dieux avaient créé l’homme pour assurer leur pérennité et le sang versé nourrissait des êtres sacrés qui contrôlaient le mouvement des astres. La science était indissociable de la religion ; les connaissances astronomiques de ce peuple qui a inventé le zéro venaient renforcer une conception divine de l’univers, ordonné en roues calendaires et soumis à la férocité des éléments.

Des cycles de 144 000 jours

C’est aux Mayas que nous devons le mot ouragan et la dernière page du codex de Dresde [un des plus beaux manuscrits mayas, de la région de Chichén Itzá, conservé à la bibliothèque de Dresde] montre les excès auxquels la nature est encline. Mais la vision du monde des Mayas n’envisage pas de fin : ce qui disparaît réapparaît d’une manière ou d’une autre. La fin du monde est un concept chrétien qui s’exprime avec force dans l’Apocalypse de Jean. L’avènement du Seigneur passe nécessairement par le Jugement dernier.

D’où vient donc alors cette "apocalypse maya" ? Le 21 décembre 2012 marque la fin du 13e B’aktun , un cycle de 144 000 jours. La fin de ce cycle est inscrite sur le monument 6 du site de Tortuguero, dans l’Etat du Tabasco, mais rien n’indique qu’un 14e B’aktun soit impossible (puisque c’est un concept étranger à la spiritualité maya).

Malheureusement, les preuves les plus maigres suffisent à réveiller les fantasmes les plus forts. Interprété à la sauce ésotérique, ce monde disparu fait peur. Le B’aktun qui a commencé le 13 août de l’an 3114 av. J.-C. a envahi l’actualité et le compte à rebours fatal échauffe les esprits.

Ces peurs irrationnelles doivent beaucoup à Hollywood, dont les effets spéciaux ont le pouvoir de détruire l’univers sous nos yeux. Bien évidemment les amateurs de popcorn n’imaginent pas une seconde que la fin du monde arrivera près de chez eux. Le Yucatán [Mexique] en revanche est plus prometteur. N’est-ce pas là qu’on a découvert la trace de l’immense météorite qui a modifié le climat et fait disparaître les dinosaures ? Il s’agit donc d’une destination parfaite pour le tourisme de la fin du monde, un dernier luxe à s’offrir.

Mais les dieux mayas refusent de soutenir cette cause. Chac s’occupe de la pluie, Yum Kaax lutte contre le maïs transgénique et les Bacabs parcourent le ciel sans trouver de présages funestes. En outre, Felipe Calderón [président du Mexique de 2006 à 2012], le Seigneur de la destruction, [allusion à la guerre meurtrière contre le trafic de drogue qu’il avait entrepris] n’est plus à la tête du pays.

Faute de preuves, les amateurs de fin du monde n’hésitent pas à piocher dans les autres cosmogonies et nous parlent désormais de Niburu, une planète vagabonde qui devrait entrer en collision avec la Terre. Une fois de plus, le danger se pare de références à un passé lointain. (Niburu est un dieu de la Mésopotamie et, dans quelques millénaires, les gens se feront sans doute peur avec une planète portant le nom d’une divinité médiatique du très lointain XXIe siècle comme Rihanna ou Cristiano Ronaldo.)

Et les deux pays qui revendiquent la suprématie de l’espace interstellaire n’y échappent pas. On pourrait penser que les puissances qui envoient dans l’espace cosmonautes et astronautes sont moins superstitieux. Mais la Russie est en proie à la panique et les kits de survie (contenant vodka, allumettes et même un petit carnet pour noter ses impressions de la fin du monde) se vendent comme des petits pains. De leur côté, les Etats-Unis ne sont pas plus été épargnés au point que la Nasa a dû publier un communiqué pour expliquer que l’univers n’avait pas bougé. (On ne recense à ce jour aucune inscription maya disant en substance : "Houston, nous avons un problème".)

Exclusion et injustice

Tout indique que le 21 décembre, le monde continuera comme avant. Et les seuls à être menacés d’extinction, ce sont justement les héritiers de ceux qui ont construit les pyramides mayas. José Huchin est l’un des rares archéologues d’origine maya, il travaille à Chichén Itza, et selon lui : "Seuls les Mayas peuvent comprendre ces pierres."

En 1994, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) avait demandé à ce que les Indiens ne soient pas exclus du développement. Sans succès. Dans moins de deux ans, un autre cycle calendaire maya – un katun – s’achèvera et marquera la fin d’un cycle de vingt ans de lutte contre l’exclusion et l’injustice.

Sur proposition du sous-commandant Marcos, les discussions entre le gouvernement et l’EZLN avaient eu lieu sur un terrain de basket. Cette requête apparemment inoffensive se voulait une référence contemporaine au jeu de balle maya, un sport rituel qui symbolisait la dualité de l’univers. Signés en 1996, les accords de San Andrès demeurèrent lettre morte.

Ce n’est pas la fin du monde qui menace mais bien la disparition d’une culture. Les derniers locuteurs mayas vivent un cataclysme quotidien. Vénérés comme des pièces de musée, leur avenir est inexistant. Les Mayas de la période classique ont la chance d’appartenir à l’Histoire. Les Mayas de notre époque n’ont pas d’histoire. Alors ne nous préoccupons pas de ce qui peut arriver mais plutôt de ce qui doit prendre fin.


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