L’Allemagne c’est le problème en Europe

jeudi 29 novembre 2012.
 

Dans cette partie je mets au clair mes idées à propos de la politique du gouvernement allemand actuel. Donc de l’Allemagne. C’est un résumé. Dans mon livre « Qu’ils s’en aillent tous ! » je suis déjà venu sur ce point. Très rapidement. Mais je l’ai fait. Je m’oppose à « l’irrealpolitik » qui consiste pour des dirigeants français hors du réel à ne pas être capable de voir la volonté de puissance quand elle se manifeste. Que ce que l’on nomme « la crise » ne cesse jamais d’être le cadre d’action d’une stratégie du capital contre le travail pour l’appropriation de la richesse ne doit pas faire oublier que les événements prennent toujours leur place dans des cadres qui leur préexistent : les nations, entendues comme espaces de normes, de règles et de culture politique, autant que les classes sociales. A la fin de cette partie, je publie une déclaration commune que nous avons rédigée, Oskar Lafontaine et moi, mardi de cette semaine à Sarrebruck où j’ai fait un saut depuis Strasbourg où je siège au Parlement européen cette semaine.

Il y a une semaine, après une matinée à Hénin-Beaumont, je suis allé à Bruxelles où madame Merkel devait parler devant la conférence des présidents qui avait ouvert ses portes à tous les députés. J’avais été suffoqué par l’arrogance du ton et le caractère dominateur de son propos. Sa façon de parler des Grecs et des Portugais m’avait scandalisé. Cette semaine je suis allé faire le point avec Oskar Lafontaine à Sarrebruck, comme je le fais à intervalle régulier. Nous avons rédigé une déclaration pour conclure notre soirée d’échange dans son bureau au Land de Sarre, puis au restaurant français des lieux. Oskar a une bonne fourchette et le bec fin, croyez moi. Mais surtout il pense vite. Oskar est conscient des dégâts que provoque madame Merkel, pas seulement sur le plan économique mais aussi sur le plan de la perception négative que les autres peuples se font de son pays. Il pense qu’elle n’a pas de culture européenne, qu’elle est très marquée par son origine enfermée dans l’ancienne RDA. Cela me ramène à une réflexion plus générale sur l’Allemagne telle qu’elle est aujourd’hui et le problème qu’elle pose à toute l’Europe et à ce que l’on appelait il y a peu la construction européenne.

L’Allemagne c’est le problème en Europe. C’est sans doute même le problème fondateur. C’est pour contenir une propension allemande à toujours vouloir pousser les murs que les politiques européennes ont été construites. La première union européenne, n’en déplaise à la légende dorée, n’a pas d’autres but que d’empêcher une retour de l’antagonisme franco-allemand inacceptable dans le cadre de la confrontation avec le glacis soviétique dont la point avancée sur l’ouest était… l’autre Allemagne. Quand la réunification s’est faite, on a su immédiatement que l’histoire ne s’était pas effacée autant qu’on le croyait. Comme les Français l’exigeait, le gouvernement allemand mit un mois à reconnaitre la ligne Oder-Neisse comme frontière intangible à l’est. Mais il reconnut. Ce ne fut pas la même musique quand, sans attendre les garanties que les Français avaient demandées sur les droits de minorités, Berlin reconnu l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie en quarante-huit heures, aggravant le sentiment d’impunité des dirigeants Croates d’alors. Ces souvenirs nous font rappel au réel. L’Allemagne est une puissance politique en premier lieu. Souvent les dirigeants français pratiquent un angélisme très bêta à ce sujet. Comme ils sont travaillés à mort par le déclinisme ambiant et très intrusif de la bonne presse des élites françaises, ils commettent deux erreurs. La première est de croire que les dirigeants allemands sont complexés comme eux. La seconde d’oublier que l’esprit de capitulation est une tradition des élites françaises. Comment oublier l’ampleur de la collaboration de celles-ci pendant l’occupation nazie ? Ni combien et quels journaux durent être confisqués à la Libération.

La réunification de l’Allemagne avait donné lieu à une première tension. L’ouest établit une parité de un pour un entre les marks des deux côtés. Une folie que Oskar Lafontaine à l’époque avait été un des rares à dénoncer. La droite douta de son patriotisme ! Cette accusation fonctionnait comme un aveu, en quelque sorte. Car alors on voyait bien qu’un tel taux de change aberrant ne pouvait avoir qu’un but : finir d’un coup la réunification. Dit autrement : empêcher que l’unification ne prenne du temps et de ce fait même soit contrariée ou utilisée par d’autres dans la durée. Un peu de temps, il est vrai, aurait permis à une classe politique de se reformer à l’est, de défendre une identité spécifique collective et ainsi de suite. La volonté de puissance est donc présente dans cette précipitation. Au plan économique, elle engendra une surchauffe liée à la mobilisation de milliards de marks pour remettre l’est aux normes productive de l’ouest. Les taux d’intérêts s’envolèrent pour contenir le risque de l’inflation. Toute l’Europe fut obligée de suivre. Il s’agissait d’éviter de se faire siphonner toute l’épargne par le mark. Et il fallait respecter le système de parité fixe entre monnaies européennes nommée à l’époque « serpent monétaire européen ». Cela fut fait au prix de taux d’intérêts grotesquement élevés. La croissance fut déjà mise en panne partout. Mais l’Allemagne avait le dernier mot. En ce sens nous avons tous payé pour la réunification. Seuls les naïfs jetaient de petits sanglots d’émotion sans tenir aucun compte du géant qui venait de surgir comme première conséquence peu favorable de la fin du bloc de l’Est. On échangea tant de bonne volonté contre la mise en place de l’euro. Je me souviens de l’argument du président Mitterrand aux jeunes sceptique de mon acabit. En substance : « Nous allons clouer la main des allemands sur la table et la finance ne pourra plus spéculer contre la monnaie de nos gouvernements ». Comme on avait connu quatre dévaluations, un contrôle des changes et un emprunt forcé après notre victoire de 1981, ce genre d’arguments ne laissait pas insensible. Je fus convaincu. Je votai donc le traité de Maastricht. On connaît la suite.

Depuis, c’est l’Allemagne qui nous a cloué les mains sur la table et ce sont ses médiacrates, ses hommes de paille type Schroeder et les déclinistes de la cinquième colonne en France qui complotent contre nous comme l’a montré la séquence qui a précédé la parution du torchon anglais « The Economist ». Préparation d’artillerie magnifiquement synchrone avec la dégradation de la note française par une des agences voyous. A présent l’Allemagne s’est installée sans trop d’efforts au poste de commande. Nous vivons l’Europe allemande ! C’est-à-dire une Europe conforme aux intérêts des seuls rentiers allemands, retraités ou en passe de l’être, qui ont choisi la retraite par capitalisation. Il s’agit là de 15% de la population, la plus aisée, installée aux postes de commande et servant de caution aux intérêts parallèles des mêmes rentiers dans toute l’Europe qui aiment l’euro fort et les cours de bourse stables ou en hausse dont dépendent leur revenus présents ou futurs.

Pour l’instant qui est gagnant ? On nous le rabâche assez. L’Allemagne. Toute ses gesticulations austéritaires et sa propagande, dans et hors le pays, payent, au sens littéral. Elles compensent dans l’imaginaire débile des salles de marché et des transactions électroniques automatiques, les faiblesses de sa situation réelle. Car la situation de l’Allemagne n’est pas brillante. Le vieillissement de sa population n’est pas réversible, à court ni moyen terme, et il engendre une dépendance sociale que nous ne faisons que commencer à constater. Le modèle productif est exclusivement fondé sur l’export. Il fonctionne par niches. Il est donc presque exclusivement dépendant de la demande extérieure alors même que sa politique contribue à déprimer sévèrement. Sur le marché intérieur allemand, la consommation est frappée de plein fouet par la pauvreté croissante. Les engagements financiers du pays dans les systèmes de garanties financières européennes sont très lourds. Tout cela doit nous aider à évaluer correctement le rapport de force avec l’Allemagne au lieu de nous traîner à la remorque de la chancelière, des retraités et des trouillards.

Car une partie du tableau se dérobe. L’agitation du moment ne doit pas nous faire perdre de vue le sens général de la tendance. Tout le monde sait que la Grèce ne paiera pas. Tout le monde sait que la contagion de la récession par les politiques d’austérité va frapper à mort le système européen en le plongeant dans le cercle vicieux de la hausse du chômage, de l’aggravation des déficits, et donc de la hausse de la dette. Ne méprisons pas nos adversaires. Ils savent comme nous que le brasier est allumé. Donc ils anticipent. Quoi ? Le tableau du jour d’après. Le tableau conforme à la volonté de puissance des conservateurs allemands et de leurs auxiliaires est le suivant. L’Europe du sud expulsée de l’euro. La France au tapis politique. L’ancienne zone mark rétablie sous appellation d’euro maintenu. Mais, bien sûr, ce n’est qu’un scénario. Rien de plus. Le futur est si profondément probabiliste. En tous cas, je sais que si j’avais à en connaître, je placerais ce scénario comme une des grilles d’explications de comportements sinon inexplicables. Et plutôt que de m’y retrouver conduit par naïveté je me tiendrais à distance de tout ce qui pourrait y conduire, même par mégarde.

Pour éviter le fractionnement et l’explosion de la zone monétaire il faut éteindre la crise de la dette. Pour cela il faut éponger tous les titres de dette d’état qui traînent, quelle qu’en soit la forme, et les jeter au frigo de la BCE. Celle-ci doit être autorisée à assurer le financement direct des Etats par la Banque centrale et accepter une solide et entraînante dévaluation de l’euro qui ré-ouvre le marché mondial aux marchandises européennes. Naturellement ils ne feront rien de tout cela avant que le système craque. C’est-à-dire avant qu’un pays fasse défaut. Ou que l’Allemagne passe, elle aussi, dans la zone rouge. Si un pays fait défaut, soit la contagion disloque tous le système bancaire et donc tous les systèmes politiques, soit l’Allemagne parvient à se tirer de la fournaise et on arrive au scénario évoqué précédemment. Avant cela notre carte peut être jouée sans complexe. En ce qui concerne l’alternative de gauche que nous voulons incarner, le moment est à bien comprendre, bien mobiliser, bien se préparer, bien construire une force cohérente et qui sera notre point d’appui le moment venu. Dans ce registre il n’y a pas de petits progrès ni de petites tâches.


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