Six mois après... La bataille du changement, c’est maintenant !

vendredi 9 novembre 2012.
 

Ratification du traité austéritaire européen couplé à l’adoption de la loi organique qui le mettra en musique… Début de la discussion budgétaire à l’Assemblée nationale et au Sénat, articulé à la loi de financement de la Sécurité sociale… Multiplication des plans de licenciements sur fond d’offensive du camp adverse. Congrès du Parti socialiste révélant de nouvelles lignes de partage à gauche… Six mois ou presque après l’éviction de Nicolas Sarkozy, le calendrier parlementaire comme l’accumulation d’échéances politiques et sociales majeures indiquent parfaitement que nous en arrivons au premier carrefour d’importance du nouveau quinquennat. Carrefour dangereux, puisqu’il va engager l’équipe gouvernante sur une voie déterminante pour l’avenir.

Au cours des dernières semaines, j’aurai sillonné la France et participé aux rendez-vous les plus variés, de rencontres avec des salariés en lutte pour l’emploi (à commencer, j’en ai déjà parlé, par ceux de Sanofi) à des initiatives du Front de gauche en divers points du territoire, de débats télévisés (comme celui qui me confronta au socialiste Christophe Borgel et à l’écologiste Gérard Onesta) aux échanges nombreux que me permet d’animer la sortie de mon dernier livre. Le 20 octobre, j’étais par exemple à Douai, où je participais au XVI° Congrès national de l’Association nationale des élus communistes et républicains (l’Anecr, à laquelle mes camarades de Gauche unitaire et moi-même avons adhéré peu après les régionales de 2010), qui aura vu monter les préoccupations à propos de l’acte III de la décentralisation récemment annoncé par le président de la République. La semaine passée, tout de suite après avoir conduit la délégation de GU qui rencontra Pierre Laurent et la direction du Parti communiste, je suis revenu en Midi-Pyrénées, afin notamment de préparer le débat budgétaire qui commence à la Région. Le point d’orgue de ces quelques jours aura été les « Rencontres d’automne » organisées par le groupe des élus du Front de gauche, dans l’objectif de faire émerger, en compagnie d’une série d’acteurs syndicaux et associatifs, les exigences à partir desquelles le Conseil régional pourra effectivement assumer, au moyen d’un budget offensif, sa mission au service de l’intérêt général.

Où que m’aient mené, jusqu’alors, mes activités de responsable politique ou d’élu j’aurai rencontré le même climat morose, la même inquiétude : le changement va-t-il succomber aux hésitations, palinodies, reculs de ceux auxquels les Français ont donné tous les pouvoirs en mai et juin derniers ? La gauche va-t-elle, emportée par la faiblesse (ou les lâchetés ?) de sa formation dominante, se désagréger face à un adversaire d’autant plus déterminé que l’on ne semble pas vouloir lui opposer un rapport de force à la hauteur de ses entreprises aussi cyniques qu’affichant leur volonté d’annihiler le vote populaire du printemps ?

« L’audace ou le suicide »… C’est en titrant par ces mots le premier chapitre de mon dernier ouvrage, François, Jean-Marc, Martine, qu’allons-nous faire de notre victoire ?, que j’avais, au sortir de l’été, résumé l’alternative devant laquelle la gauche se trouve placée. J’eus d’ailleurs pu, à l’instar de Pierre Marcelle, dans Libération de ce 24 octobre, posé la question à cent balles : « Y a-t-il une gauche dans l’avion ? » De fait, chaque dimension du travail gouvernemental, chaque loi sur laquelle doit se pencher la nouvelle Assemblée nationale confirment que tel est bien l’enjeu. Chaque avancée dans ce qui pourrait être l’amorce d’une bonne direction se voit assortie d’un recul face à la pression du monde de l’argent. Ce qui s’avère propre à générer l’incompréhension, voire à susciter l’angoisse, de celles et ceux dont le suffrage permit d’évincer la droite au printemps…

L’AUDACE OU LE SUICIDE…

Ainsi, le projet de budget pour l’an prochain comporte-t-il bien une mise à contribution du capital et des grandes fortunes (cela ne s’était plus vu, à cette échelle, depuis les premiers gouvernements Mauroy, dans les années 1981-1982) ; on ne saurait s’en plaindre, à ceci près qu’au nom de la dette qu’il faudrait à tout prix faire baisser, on annonce entre autres une amputation de dix milliards de la dépense publique et la non révision du barème de l’impôt. Cela ne manquera pas d’entraîner des conséquences très négatives en matière sociale, sur le pouvoir d’achat des familles populaires, sur les services publics jugés non prioritaires, ou encore sur l’investissement à un moment où la récession guette le pays, après avoir frappé nombre de nos voisins.

Ainsi, proclame-t-on à cor et à cris le souci de justice de l’exécutif, sauf qu’il aura suffi d’une fronde de prétendus « pigeons » emmenés par le Medef pour voir les ministres chargés des finances publiques prendre la fuite comme… une volée de moineaux ; la taxation des plus-values de cession de capital au même niveau que le travail ne menaçait pourtant pas de petits patrons aux prises avec les difficultés de la conjoncture, mais des leaders de start-up le plus souvent millionnaires.

Ainsi, en appelle-t-on au « redressement productif » de la France et envoie-t-on Arnaud Montebourg au-devant des salariés en butte à des plans indécemment baptisés « sociaux », mais recule-t-on devant l’adoption, dans une urgence que nul ne saurait pourtant contester, d’une loi mettant fin aux suppressions d’emplois à visée boursière ou plaçant sous contrôle public des entreprises victimes des logiques de rendement financier qui dominent l’économie ; se dérober à l’incursion de la puissance publique dans le domaine réputé exclusif des possesseurs du capital, jusqu’à la nationalisation - osons enfin faire tomber un tabou en usant d’un mot que la novlangue libérale prétendait bannir - qui s’imposerait de secteurs menacés par la course au profit alors qu’ils sont aussi décisifs que l’automobile, la sidérurgie ou l’activité pharmaceutique, sans parler de la pétrochimie, aura pour prix l’atrophie amplifiée de la capacité industrielle de l’Hexagone.

Ainsi, ressasse-t-on à l’envi que des efforts équitablement répartis distingueraient l’actuelle équipe gouvernante de la précédente, mais n’hésite-t-on pas, dans le dispositif de financement de la Sécurité sociale, à soumettre quelques millions de retraités à l’augmentation de la CSG ; dans leur immense majorité, ceux-ci ne sauraient cependant être considérés comme des privilégiés, leurs « avantages fiscaux » supposés étant globalement moindres que ceux des actifs.

Ainsi, dit-on vouloir de nouveau écouter les organisations syndicales, ce qui tranche heureusement avec la pratique du clan sarkozyste, mais laisse-t-on entendre, dans le même temps, que l’on voudrait qu’elles consentent aux désidératas du Madame Parisot en acceptant une flexibilité accrue du travail, ou encore qu’il leur faudra se résoudre au transfert de plusieurs dizaines de milliards de cotisations patronales sur la collectivité, via la CSG ; si l’on allait au bout de ce projet, c’est à un pouvoir d’achat déjà en berne que l’on porterait lourdement atteinte, et c’est le principe même du « salaire socialisé », à la base de notre modèle de protection sociale depuis la Libération, que l’on dynamiterait.

Ainsi, proclame-t-on en haut lieu que l’on ne veut d’aucune manière s’engager dans la voie d’une aggravation de l’austérité, alors que la France fait les frais, depuis au moins 20 ans, de l’application de dogmes libéraux qui n’ont fait que l’enfoncer dans la régression, mais laisse-t-on aux manettes un quarteron de hauts fonctionnaires acquis à la vulgate néolibérale et mis en place par le pouvoir précédent ; n’est-il pas atterrant de voir Arnaud Montebourg contraint de faire « fuiter » dans la presse que l’administration du Trésor, toujours dirigée par un homme de Nicolas Sarkozy, n’a à proposer que « les vieilles recettes éculées de Raymond Barre » ?

De tergiversations en authentiques marches arrières, on s’engage inexorablement sur le chemin de l’austérité… Et de la rupture avec les classes populaires ! Ce que les postures du ministre de l’Intérieur ne sauraient évidemment contrebalancer, contrairement à ce que laisserait imaginer une batterie de sondages flatteurs. Les affichages sécuritaires n’apporteront jamais la moindre réponse efficiente (et durable !) à des phénomènes de violence ou de délinquance puisant leurs racines dans le développement des inégalités, l’essor du chômage et de la précarité, le creusement des discriminations de toute nature. Pire, lorsqu’ils font des Roms l’une des cibles prioritaires de l’action policière, ils peuvent entretenir un climat nauséabond, lequel a tôt fait de générer des affrontements entre victimes du système, comme on le vit récemment dans les quartiers nord de Marseille.

LA SYMBOLIQUE DU TRAITÉ AUSTÉRITAIRE

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CHANGER DE POLITIQUE S’IMPOSE

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PROPOSER, MOBILISER, RASSEMBLER

Le Front de gauche trouve ici son nouvel « ordre de mission ». Il se doit, en tout premier lieu, parce qu’il se considère comme « l’ayant-droit » de la défaite infligée au sarkozysme, d’avancer les propositions répondant au besoin de hisser la gauche au niveau de la confrontation qui s’annonce avec l’adversaire et des dangers qui se dessinent à l’horizon d’une crise historique.

Plutôt que l’acceptation du pacte budgétaire, une authentique refondation de l’Europe dont le point de départ doit être le changement du statut et des missions de la Banque centrale européenne, afin de mettre les pays de la zone euro à l’abri des menées spéculatives orchestrées par les marchés financiers sur les taux d’intérêt, tout en mobilisant tous les moyens financiers disponibles au service de l’emploi et de la relance de l’activité.

Plus audacieux qu’une Banque publique d’investissement à la force de frappe bien trop restreinte et dont le futur patron, le sarko-hollandais Jean-Pierre Jouyet, vient froidement d’asséner qu’elle ne saurait venir en aide aux « canards boiteux », le regroupement des principaux établissements bancaires dans un puissant pôle financier public, à même de réorienter le crédit vers les PME, la réindustrialisation de l’Hexagone, le redéploiement des services publics, la transition écologique de l’économie.

Plus qu’un rééquilibrage cosmétique de l’imposition, une révolution fiscale qui permette de financer le changement. L’heure est à un impôt authentiquement progressif, grâce à la remise en cause de toutes les « niches » dont profitent les plus hauts revenus, au changement de l’assiette fiscale avec la création de nouvelles tranches, à la mise à contribution des bénéfices (dont la taxation a chuté d’un tiers, en 20 ans, dans les pays de l’Union européenne) et de dividendes qui ne cessent de s’accroître (il n’y aura, l’an prochain, pas de crise pour les actionnaires du CAC 40, dont la rémunération s’annonce encore supérieure aux 34 milliards distribués cette année), à la pénalisation de ces grandes firmes ayant créé des filiales dans les paradis fiscaux et coûtant annuellement de 20 à 30 milliards aux finances publiques (comme l’a fort bien établi un rapport du Parlement européen).

Au lieu de laisser la finance faire de l’emploi une variable d’ajustement, l’intervention immédiate du législateur pour interdire les licenciements boursiers sous toutes leurs formes, l’instauration d’une sécurité sociale professionnelle garantissant l’emploi et la formation des salariés tout au long de la vie, le rétablissement dans ce cadre du contrat à durée indéterminée comme norme d’embauche, l’extension des droits des travailleurs au contrôle et à l’intervention dans l’entreprise.

À rebours de l’austérité, aussi impitoyable qu’intenable, à laquelle mène le nouveau traité européen, une relance de l’activité économique qui ne se dérobe pas à l’augmentation des salaires et pensions dans le but de faire redémarrer la consommation populaire.

Tournant le dos à l’idéologie du libre-échangisme généralisé, des mesures de protection de l’emploi et des populations contre les politiques de dumping social et écologique ravageant l’Union européenne, avec l’instauration de visas sur les échanges commerciaux, comme le propose le programme L’Humain d’abord.

D’où il découle, à mes yeux, qu’il appartient au Front de gauche de redéployer son combat à partir d’un triptyque : proposer, rassembler, mobiliser. Proposer, dans le débat public et au service du développement de l’action populaire, les objectifs que l’urgence met à l’ordre du jour et que je viens de tenter, sommairement, de résumer. Rassembler, afin que le rapport de force se modifie qualitativement dans le pays, que les lignes bougent à gauche, ce qui ne s’avérera possible qu’à la condition que se retrouvent au coude-à-coude toutes celles et tous ceux qui ont à cœur de voir un processus de changement se mettre en marche. Mobiliser, car c’est au plus grand nombre de faire maintenant sentir sa puissance, d’opposer sa force unie à un adversaire qui, lui, n’a pas perdu un instant pour passer à l’offensive.

LES FORCES EXISTENT POUR LE CHANGEMENT

Souvent, des journalistes m’interrogent sur la faible visibilité médiatique de notre Front de gauche depuis le succès de la grande marche parisienne du 30 septembre contre la ratification du TSCG, dont il avait fait la proposition et qui aura réuni, au final, une soixantaine d’organisations et plus de 80 000 manifestants. Cette faible présence sur le champ audiovisuel, contrastant singulièrement avec l’opiniâtreté de nos équipes militantes sur le terrain, s’explique naturellement par l’entreprise délibérée d’étouffement de la voix contestataire que nous incarnons à gauche. Mais cela doit aussi, soyons lucides, au fait qu’il nous reste encore à transformer l’essai de la séquence électorale du printemps. À gravir une nouvelle marche permettant que nous soyons perçus, au-delà de celles et ceux qui nous apportèrent leurs suffrages, comme une force utile au peuple, l’instrument performant d’une politique de rassemblement des forces vives de la gauche dans la perspective d’une majorité et d’un gouvernement à même de changer la France pour changer l’Europe.

Méthode Coué, me rétorqueront sûrement les sceptiques… Ceux-là n’auront manifestement pas mesuré à quel point la conjoncture française reste ouverte et combien sont nombreuses les forces disponibles à la bataille pour que la gauche soit la gauche. La colère du monde du travail ne se contente pas de gronder, elle s’exprime d’ores et déjà à travers la massivité et la combativité des secteurs en lutte pour l’emploi. À deux reprises déjà, le 30 septembre et le 9 octobre (à l’appel de la CGT), en attendant le 14 novembre que la CES a retenu comme date d’une convergences des travailleurs à travers toute l’Europe, la grande majorité du syndicalisme a administré la preuve de sa détermination à ne rien lâcher de ses revendications. Dans la sphère intellectuelle elle-même, le climat est en train de se modifier à vive allure, comme en atteste le tout récent appel de 120 économistes contre le TSCG et les politiques d’austérité.

Et l’on ne saurait davantage ignorer ce que viennent de dire, au Parti socialiste, les 29 députés qui ont refusé le « Merkozy » ou se sont abstenus de voter en sa faveur, les presque 14% d’adhérents ayant soutenu la motion de gauche présentée dans le cadre de la préparation du congrès de Toulouse, les 30% qui ont préféré le représentant de ladite gauche au premier secrétaire adoubé par toutes les baronnies du texte majoritaire. Sans parler du vote du conseil national d’Europe écologie-Les Verts hostile au traité budgétaire européen. Qui ne voit que la démarche suivie par François Hollande, Jean-Marc Ayrault et leur gouvernement est aujourd’hui en passe de devenir minoritaire dans le peuple de gauche ?

De tout cela, pour les formations regroupées dans le Front de gauche, il convient de faire un atout-maître. Sans exclusive ni préalable, nul n’ayant à exciper de sa préférence partisane ou de ses votes du printemps pour mettre son énergie au service d’un changement de politique. Sans céder à la tentation trop facile de l’incantation ou de la posture oppositionnelle, lesquelles ne peuvent engendrer que de l’impuissance et de la démoralisation. Sans se replier sur le pré-carré délimité grâce aux belles batailles des mois écoulés, l’échec des composantes de la gauche aujourd’hui aux affaires n’annonçant pas obligatoirement nos avancées de demain, mais pouvant plutôt amener notre camp tout entier au désastre. Avec, par conséquent, l’ardente volonté de nous projeter en direction de ces hommes et de ces femmes, issus du monde partidaire, porteurs d’une expérience sociale ou associative, acteurs de la vie intellectuelle et culturelle, qui partagent la plupart de nos convictions sans se revendiquer nécessairement de la construction politique que nous avons initiée, avec Marie-George Buffet et Jean-Luc Mélenchon, voici plus de trois ans.

Six mois après la victoire remportée face à la droite, la bataille du changement, c’est maintenant !


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