Les canards boîteux ont aussi des ailes

jeudi 1er novembre 2012.
 

Pendant que Montebourg se déguise à la une du « Parisien Magazine » pour défendre les marinières et les cafetières, les vrais décideurs gouvernementaux, affichent avec morgue leurs préjugés contre les supposés « canards boîteux » de la sidérurgie et du raffinage. A Florange, Pétroplus et ailleurs comme sur le dossier pourtant hautement stratégique du projet dangereux de fusion entre EADS-Airbus et la compagnie anglo-nord-américaine BAE, quelle débâcle ! Démonstration.

Pétroplus est liquidé. Le tribunal de commerce de Rouen en a décidé ainsi. La raffinerie emploie 470 personnes. Si on ajoute les emplois indirects, ce sont plusieurs milliers de salariés qui seront frappés. Le tribunal de commerce a rejeté les deux offres de reprises qui lui étaient proposées. Pourquoi ? Parce qu’elle n’offrait pas toutes les garanties de pouvoir durer ! Quelle absurdité ! Que risquait-il à donner une chance à un repreneur ? Rien. Cette décision est révoltante. Depuis des mois, les salariés de la raffinerie ont remué ciel et terre pour remettre en activité la raffinerie et la faire tourner. Dans ce genre d’industrie, mieux vaut éviter les arrêts prolongés. C’est pour cela que les salariés se sont battus. En relançant et en entretenant l’outil de travail, ils facilitaient une reprise de l’activité. Ils montraient aussi leur compétence et leur dévouement. Grâce à leurs efforts, deux propositions de reprises avaient été faites. Yvon Scornet, porte-parole de l’intersyndicale CGT-CFDT-CFE/CGC avait même fait savoir au tribunal de commerce que « l’intersyndicale soutient la proposition Net Oil ». Pourquoi le tribunal de commerce n’a-t-il pas retenu cette solution qui rassemblait un investisseur et les salariés ? Bien sûr, le tribunal de commerce a laissé quelques jours de répit en permettant la poursuite de l’activité jusqu’au 5 novembre. La société Net Oil a annoncé, dans un communiqué commun avec l’intersyndicale, qu’elle allait redéposer une offre le 5 novembre, avec de nouveaux partenaires. A priori, l’autre investisseur va aussi déposer une nouvelle offre. Il faut que l’une des deux aboutisse.

En réalité, cette décision ne profite qu’à Total qui veut faire mourir à petit feu le raffinage français. Cela lui permet d’accroître la rentabilité de sa méga-raffinerie construite en Arabie Saoudite. Là-bas, Total profite d’un droit fiscal, social et écologique beaucoup plus favorable aux yeux des actionnaires. Et Total peut ainsi importer en France du pétrole raffiné à bas coûts écologiques et sociaux. C’est déjà cette logique qui a poussé Total à fermer la raffinerie des Flandres à Dunkerque. C’est la même logique qui voit Total faire tout ce qui lui est possible pour empêcher la poursuite d’une activité dans la raffinerie concurrente Pétroplus. Le gouvernement laisse faire. Pourtant le raffinage est une industrie stratégique pour la France. Nous sommes actuellement contraints d’importer des produits pétroliers raffinés. Le nouveau gouvernement a-t-il entendu parler des problèmes que poserait éventuellement tel ou tel pays sur nos lignes d’approvisionnement si les tensions internationales actuelles s’aggravaient ? En toute hypothèse, ceux qui font des grandes phrases sur le déficit du commerce extérieur devraient donc soutenir la défense de cette industrie française. Enfin il s’agit d’une industrie décisive si nous voulons réussir la planification écologique. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de dire qu’il était possible de créer une coopération entre Pétroplus et la papeterie M’Real situé à quelques dizaines de kilomètres. Ainsi, la raffinerie pourrait raffiner les déchets de bois et pas seulement du pétrole. Le gouvernement Ayrault doit donc empêcher la liquidation de Pétroplus par tous les moyens.

Pétroplus, pas plus que Florange, n’est un "canard boîteux". Quelle drôle d’image. C’est celle qu’avait choisi à l’époque Raymond Barre, alors premier ministre de Giscard d’Estaing. Pourtant c’est celle qu’a utilisé le nouveau président de la Banque Publique d’Investissement à propos de Florange. Comme le dit le CFDT d’ Arcelor-Mittal Florange, « le canard boiteux est à la tête de la Banque publique d’investissement ». En effet, Jean-Pierre Jouyet déclare dans Le Monde du 20 octobre que la BPI est « une banque pour l’avenir. En répondant aux impératifs de développement économique et technologique, de compétitivité industrielle et de transition énergétique, la BPI contribuera à la croissance de demain, dans la droite ligne de la Conférence environnementale ». Mais monsieur « tourne sa chemise » n’a pas l’air de savoir non plus que les fours de Florange font l’objet d’un projet écologique que l’Europe est disposée à financer. S’il est si soucieux de la transition écologique et de l’avenir, il devrait donc encourager la poursuite des activités de Florange et Pétroplus. Dans les deux cas, moyennant des investissements publics, la France peut s’engager dans la voie d’une planification écologique, moderniser son industrie et conserver ses emplois et les savoir-faire. Au lieu de ça, Jouyet accuse Florange d’être un « canard boîteux » au moment même où le gouvernement est censé chercher un repreneur pour le site. Au-delà de leur caractère faux et blessant, Jouyet a-t-il seulement conscience des conséquences que peut avoir son propos sur l’avenir de ce site et de ces salariés ?

Jean-Pierre Jouyet ne connaît rien à l’industrie. Jusqu’en juillet dernier, il dirigeait l’Autorité des marchés financiers. Chacun a pu apprécier ses efforts pour réguler la finance et défendre la production contre la spéculation. Il ne doit sa nomination à la tête de la Caisse des Dépôts en juillet, et désormais de la BPI, qu’à sa très grande proximité avec Hollande. Jouyet est particulièrement malfaisant. On doit s’en méfier par principe. C’est un « joue contre son camp » professionnel. On se souvient en 2007 qu’il avait trahi le PS en acceptant un ministère sous Sarkozy. Une fois nommé Ministre délégué aux affaires européennes, c’est lui qui avait piloté la trahison du vote de 2005 en négociant le traité de Lisbonne. Voilà à qui François Hollande a confié les rênes des deux plus grands organismes publics d’investissement. Cet homme n’a que faire du capital public. Dans Le Monde, il annonce déjà sa volonté de vendre les actions que l’Etat français possède dans les grandes entreprises au titre du Fonds stratégique d’investissement. Lesquelles ? Quick par exemple ? Ce FSI sera rattaché à la Banque publique d’investissement et dépendra donc de Jouyet. Et Jouyet prévient : « La BPI ne devra pas s’interdire de vendre les participations dans les grands groupes qui n’auraient pas besoin de son soutien, pour accroître ses moyens d’action ». Voilà qui commence bien mal ! C’est même du n’importe quoi ! Tout d’abord, comme son nom l’indique, le Fonds stratégique d’investissement réalise des investissements "stratégiques". Dès lors, il aurait toute sa place au capital d’entreprises dans les industries de pointe, de Défense, ou à fort enjeu écologique, dans les transports ou l’énergie par exemple. Ensuite, si on veut vraiment soutenir les PME, il faut dégager de nouveaux moyens financiers par la création d’un pôle financier public. Au lieu de cela, la Banque publique d’investissement de Hollande se contente essentiellement de regrouper des moyens existants. Créée d’après les conseils d’une banque d’affaires privée, dirigée par un ancien responsable financier d’une grande entreprise privée et présidée par un ancien Sarkozyste, on peut craindre que cette BPI ne réponde pas aux besoins de l’industrie française. Celui-ci est pourtant clair : changer de logique !

Peut-être vous souvenez vous que j’ai tiré la sonnette d’alarme sur ce blog à propos du projet de fusion entre EADS et BAE. Il y avait très peu de commentaires dans la presse sur ce sujet pourtant vital pour notre industrie. Et encore plus pour notre indépendance. Mais ce projet n’a jamais été traité que sous son angle commercial et financier et jamais dans sa dimension stratégique et politique. Il a d’ailleurs été annoncé dans l’indifférence du gouvernement, alors que l’Etat français est un des principaux actionnaires d’EADS. Pourtant le projet portait un penchant beaucoup plus transatlantique qu’européen. Car le britannique BAE est d’ores et déjà un groupe fortement intégré au complexe militaro-industriel états-unien. Il possède des filiales aux USA. Et il participe directement au développement du nouvel avion de combat des USA, le F35, qui a vocation à remplacer le F16, l’avion militaire le plus vendu de l’histoire. Cela isolerait un peu plus le programme français Rafale en Europe. Pour ce qui est de l’industrie de défense, cette fusion enterrerait donc toute velléité d’indépendance européenne face aux USA. Quant à l’aéronautique civile, BAE n’y a pas laissé de bons souvenirs. Lors de la constitution d’EADS en 1998, BAE avait en effet fait l’acquisition de 20 % dans Airbus après avoir renoncé à intégrer EADS en tant que tel. Avant de se débarrasser de cette participation en 2006, contribuant directement aux difficultés financières d’Airbus. Fort heureusement le projet a capoté. Mais du fait des français. Le nouveau gouvernement s’en est absolument désintéressé. Le ministre du développement productif regardait ailleurs. Il faut dire que c’est une tradition en la matière que cet abandon. Sous le gouvernement Jospin, l’indépassable Dominique Strauss-Kahn avait accepté que l’état abandonne ses droits de vote et confie la gestion de sa participation de 15 % dans l’entreprise au sieur Lagardère. Et ça parce que les Allemands avaient hurlé au loup contre la présence de l’Etat. Lesquels Allemands semblent avoir changé leur fusil d’épaule et veulent à présent acheter à partir de la banque publique KFM les parts que possède l’entreprise Daimler. Cette fois-ci encore l’Etat est resté sans voix devant ce qui se tramait. François Hollande a pris son air des grands jours pour déclarer que tout ce nouveau Monopoly avec les Anglos-saxons relevait de « la décision des entreprises concernées ». On ne peut dire pire bêtise sur l’affaire. En tout cas s’il n’avait fallu que compter sur Hollande, les britanniques auraient pu se frotter les mains. En effet avec la fusion, ils auraient disposé de 40 % des parts de la nouvelle société alors qu’EADS aurait représenté 70 % du chiffre d’affaire et 90 % du carnet de commande ! En réalité personne n’a dû lui dire, pas davantage qu’à ce pauvre Ayrault, qui est censé s’en soucier, ni à ce malheureux Montebourg qui est chargé de s’en occuper que sur ce dossier se jouait l’avenir de notre avenir industriel et un bon morceau de l’industrie aéronautique. Voici une idée pour eux, en supposant qu’ils s’intéressent à quelque chose de l’aéronautique. Puisque l’Etat espagnol va entrer au capital et puisque l’Etat allemand va augmenter sa participation pourquoi ne pas racheter ses part à monsieur Lagardère qui dit vouloir s’en aller depuis longtemps. Un groupe public français à 50,45 % est à portée de main. Qu’en dis le sieur Jouyet ? Canard boîteux, investissement stratégique ? Dire que ce sont de tels personnages qui président à nos destins ! En fait, le nouveau président se révèlent tout à fait « normal » pour un gouvernement de l’Europe actuelle : sans ambition ni vue générale, abandonné aux arguties des prétendus experts et aux vautours qui les accompagnent.


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