Comment refonder l’Europe  ?

jeudi 25 octobre 2012.
 

Manifestations 
et grève générale ont été récemment menées en Grèce… Le 30 septembre, une grande manifestation s’est déroulée en France. Pourquoi s’opposer à ce traité  ?

Patrick Le Hyaric. Parce que c’est un traité qui institue, par-delà les choix des gouvernements et des Parlements, l’austérité à perpétuité. Il condamne donc les peuples au mal-vivre et aux souffrances. Il protège les institutions financières internationales dans le contexte de la profonde crise globale du capitalisme qui mine le monde. Continuer, c’est s’enfoncer dans la crise. C’est le risque d’une déflagration incontrôlable. Ce texte n’est qu’une transition vers le projet, déjà en discussion, d’un nouveau traité pour une Europe fédérale ultralibérale et austéritaire. Le contraire d’une réorientation progressiste de la construction européenne.

Daniel Richard. Ce traité organise une Europe qui ne nous convient pas. Le projet qu’il traduit est un espace de la compétition de chacun contre tous, rien de mieux. Plus grave  : ce traité déstructure le modèle social fondé au lendemain de la guerre sur des «  valeurs  » de démocratie, une Sécurité sociale forte, des services publics de qualité, une fiscalité juste parce que progressive, un dialogue social organisé… En mars 2004, une poignée de vétérans de la Résistance et de la France libre sonnait le tocsin dans un Appel des résistants («  Créer, c’est résister. Résister, c’est créer  »). Rétrospectivement, les mobilisations de 2005 et le refus du TCE constituaient la réponse populaire la plus lumineuse à cet appel. On sait ce qu’en a fait le gouvernement français  : la démonstration que l’expression populaire est soluble dans la volonté d’une oligarchie européenne. L’actuel «  traité budgétaire  » accélère, en réalité, la désintégration de ce projet social. Notamment par l’abandon de la souveraineté populaire sur la politique budgétaire (prérogative déterminante, jusqu’ici, des pouvoirs législatifs…), et cela au profit d’une instance technocratique non élue… Ce traité se trouve ainsi au carrefour d’enjeux majeurs, économiques, sociaux et surtout démocratiques. Il s’inscrit dans une volonté de restauration capitaliste et annonce un enterrement de première classe du projet social-démocrate que les ayants droit contemporains de la «  social-démocratie  » ne semblent plus en capacité de défendre… pour autant qu’ils en aient encore la volonté.

Rena Dourou. L’opposition à ce traité est un devoir de tous les citoyens, sans prendre en considération leur appartenance idéologique ou politique. Que ce soit en Grèce ou en France, en Espagne ou en Irlande, partout en Europe, les peuples vont devenir prisonniers de cette loi dite «  d’or  » qui, en réalité, se traduit par une régression sociale inédite. Sous prétexte d’assainissement budgétaire, les forces politiques et économiques les plus réactionnaires ont trouvé l’occasion d’utiliser cette crise de dette, qu’elles ont largement créée, pour s’attaquer aux droits des travailleurs, des citoyens. Des droits gagnés difficilement au cours des décennies, au prix des luttes et de sang versé durant ces luttes… Et en plus, il s’agit de mauvaise politique  : une politique suicidaire, selon le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz. Et en tant que Grecque, je sais bien de quoi je parle…

En quoi ce texte aggrave-t-il le mode de fonctionnement des institutions 
de l’Union européenne  ?

Patrick Le Hyaric Il oblige à réduire les déficits dits «  structurels  » à 0,5 % des richesses produites. Appliquer ce texte veut dire réduire les investissements publics utiles de l’État d’au moins 30 milliards d’euros par an pendant vingt ans. Pour le faire, il donne les pleins pouvoirs à la Commission européenne non élue, surplombée par la Cour de justice européenne. Celles-ci vont surveiller et contrôler l’exécution des budgets et les comprimer selon leurs normes. C’est-à-dire, la réduction des crédits sociaux et publics de l’État, des collectivités territoriales, de la Sécurité sociale et des entreprises publiques. Derrière cela se profile le projet d’une privatisation totale des biens communs humains. Les inégalités s’amplifieraient encore. La compression de la dépense ferait exploser le chômage et la précarité.

Daniel Richard Au nom d’une «  intégration  » européenne des disciplines budgétaires, il va déposséder les États membres de leur capacité de régulation des économies et doter le marché de tout pouvoir en la matière. Il y aura de moins en moins d’espace pour des politiques émancipatrices visant l’égalité des citoyens et de plus de plus de place accordée à l’expression des talents, des efforts, des mérites, des héritages ou des copinages. Que le meilleur gagne  ? La loi de la jungle  !

Le triomphe d’un ordo-libéralisme sous couvert de maîtrise budgétaire sera celui de l’économie informelle sur l’économie régulée. C’est l’aboutissement des logiques de «  concurrence libre et non faussée  ».

Rena Dourou. Ce pacte pour la stabilité, la coordination et la gouvernance, en fait, ce traité d’austérité voulu et imposé par Berlin et ses alliés européens, parachève l’architecture commencée par le pacte de stabilité, pour créer l’euro sur des fondements intrinsèquement biaisés. En d’autres termes, la boucle est bouclée. On a devant nous une politique économiquement inutile, socialement dangereuse et démocratiquement régressive  ! C’est pourquoi il faut le battre à tout prix  ! Il en va de l’avenir même de l’Union. Sur ce point j’aimerais attirer votre attention sur le fait que ce texte transfère plus de pouvoirs de surveillance et/ou de contrôle, concernant les budgets nationaux, à des organes non élus, comme la Commission, aux dépens des Assemblées nationales. Ce qui signifie qu’au fond c’est un texte hautement antidémocratique.

Justement, comment changer 
le rapport de forces et donner plus 
de pouvoir au peuple  ?

Rena Dourou. Il faut mener un combat à deux niveaux, national et européen, en même temps pour faire entendre notre voix. Et, parallèlement, il nous faut continuer le combat dans la rue et dans les Parlements. Car je vous assure que si notre voix se fait plus forte, les forces adverses vont reculer. Actuellement, on essaie de nous convaincre que l’on a devant nous une politique irréversible. C’est faux  ! À nous de leur montrer qu’il y a d’autres chemins à suivre. Ce n’est pas facile mais il n’y a pas d’autre alternative. Et la manifestation du 30 septembre peut être une étape importante, peut faire la différence.

Patrick Le Hyaric. Chaque lutte contre un plan de licenciement, contre la précarité et pour la sécurité du travail, pour une augmentation de salaire, de meilleures conditions de départ en retraite ou des services publics plus efficaces ou pour changer le crédit, contribue à améliorer le rapport des forces en faveur du changement. Les grandes initiatives comme la marche du 30 septembre ou la journée d’action européenne du 9 octobre, comme celles qui se développent en Europe, Grèce, Espagne, Portugal, Italie, poursuivent le même objectif. Et nous entrons dans une bataille longue pour changer l’Europe face au projet de la Commission et de la Banque centrale européenne. Il est indispensable désormais de développer un puissant mouvement pour que les salariés et leurs représentants disposent de pouvoirs d’intervention dans la gestion des entreprises et des banques. Si c’était le cas, des drames comme ceux de PSA Aulnay, Fralib ou Sanofi seraient évités.

Daniel Richard. Depuis trois décennies au moins, la crainte écrase une classe ouvrière culpabilisée, accusée de manquer de flexibilité, de coûter de trop cher… La peur doit changer de camp  ! Bruno Colmant, économiste belge réactionnaire, évoquait récemment, un peu paniqué, à propos de la situation espagnole, «  l’hypothèse d’une insurrection populaire  », en plaidant pour une modération dans les politiques d’austérité… Il indiquait, me semble-t-il, un chemin. Si la raison ne peut convaincre les intégristes de la rigueur, si les résultats de neuf plans d’austérité en Grèce ne leur ouvrent pas les yeux sur le mur qu’ils promettent aux populations, quelles autres voies  ? Par ailleurs, deux luttes mériteraient de converger au plan international  : celle contre le pacte budgétaire, bien sûr, mais aussi, parallèlement, celle pour des audits populaires des dettes publiques. Certaines dettes européennes sont peut-être odieuses, d’autres sont sans doute illégales et d’autres encore sûrement illégitimes. Nous devons faire savoir que, celles-là, nous n’allons plus les rembourser  !

Comment transformer l’Europe économique en Europe sociale  ?

Patrick Le Hyaric. En s’appuyant sur la triple aspiration, commune à tous les peuples d’Europe, à vivre mieux, au progrès social et écologique, avec davantage de démocratie et de liberté afin de pouvoir maîtriser leur destin. De nouvelles voix qui comptent en Europe et aux États-Unis, des économistes de renom, des prix Nobel, s’élèvent pour que l’on sorte de l’austérité et alertent sur les risques qu’encourt l’Europe aujourd’hui. Un intense travail politique et idéologique et de puissants efforts autour d’un nouveau projet européen progressiste, humain, doivent être déployés.

À partir de l’expérience négative de l’application des actuels traités, il est possible de déployer de grands rassemblements européens, pour une nouvelle répartition des richesses avec un changement de la BCE, une fiscalité sur le capital, un salaire minimum, un projet de sécurité du travail et de la formation, une nouvelle industrie et une autre politique agricole commune, s’inscrivant dans la transition écologique, le développement et l’invention de nouveaux services publics au service du développement humain et du progrès écologique. Et il est indispensable de faire de la démocratie le but et le moyen de la construction européenne. Au fond, nous avons à inventer ensemble les chemins inédits qui permettront de transformer l’Europe. Quelle ne soit plus l’Europe de l’argent pour devenir celle des peuples.

Daniel Richard. Nous pourrons transformer l’Europe économique en Europe sociale par le rapport de forces… Et puis, il importe de construire une Europe des résistances non pas seulement au départ des appareils syndicaux mais aussi au départ des «  bases sociales  ». À l’image de ce que furent les Brigades internationales de 1936, il s’agit aujourd’hui de trouver l’expression moderne d’une solidarité internationaliste vis-à-vis des camarades en lutte de Grèce, d’Espagne ou du Portugal. Parce que notre avenir de travailleur européen dépend de leur résistance. Cette dimension internationaliste doit être complétée par un engagement de résistance anticapitaliste. Il pourrait se traduire, dans chaque État, par un refus des logiques de compétitivité dans un combat pour l’amélioration des revenus du travail. Réduire ainsi la part des revenus du capital au départ des entreprises, c’est réduire les risques et les conséquences des crises, y compris financières… Et, parallèlement, remettre au goût du jour les revendications de réduction du temps de travail… Salaire et emploi restent les deux mamelles de l’anticapitalisme  !

Rena Dourou. Nous devons refonder d’urgence l’Europe et l’idéal européen, dans le sens de plus de solidarité, de croissance, de démocratie. Car, actuellement, ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la question économique, mais c’est surtout la question de la démocratie  ! Si l’on dote l’Europe d’un bouclier social, on verra que des phénomènes apparus à cette époque de régression démocratique, comme l’Aube dorée (parti néonazi grec), vont disparaître. Plus d’Europe sociale, solidaire, moins de forces fascistes  ! Ces combats sont liés et c’est pourquoi notre action doit être multiple et décisive. Nous devons, par exemple, délégitimer les organes non élus, comme la Commission qui entend gérer notre vie. L’Europe sera démocratique et sociale sous peine de disparaître…

Entretiens réalisés par 
Anna Musso, L’Humanité


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