Education  nationale : Quelle politique éducative mettre en place ?

jeudi 18 octobre 2012.
 

Alors que le gouvernement annonce une « refondation » de l’école, quel projet pour le système éducatif  ? Échange entre Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU, Michel Hervieu, vice-président de la FCPE et Brigitte Gonthier-Maurin, sénatrice (Front de gauche) des Hauts-de-Seine.

Le gouvernement a lancé depuis 
cet été une concertation qui devrait déboucher sur une loi d’orientation et de programmation traçant les grandes lignes d’une « refondation » de l’école. Quel bilan faites-vous de ces premiers mois et, au-delà, quelles priorités défendez-vous pour réformer l’éducation nationale  ?

Bernadette Groison. Cette rentrée a été préparée par la droite et les personnels savaient qu’elle serait difficile même si 1 280 postes ont été réinjectés en urgence. Elle a été « techniquement » réussie, comme toujours. Mais compte tenu des 80 000 suppressions de postes précédentes, les difficultés vont inévitablement arriver  : classes surchargées, Rased incomplets et très vite des problèmes de remplacements. Il y a donc chez les personnels comme chez les parents beaucoup d’attentes. On peut comprendre que le gouvernement n’est pas responsable de la situation précédente, mais il l’est de la rentrée 2013 qui se prépare dès maintenant... Or, à la FSU, nous avions demandé au ministre d’aller plus loin dans ces mesures d’urgence et de donner, au-delà de la seule question des postes, des signes sur la politique éducative. Ces dernières années, les réformes ont organisé un système qui met sur la touche les plus fragiles et essaie de trier les soi-disant « méritants ». On a combattu cette logique et demandé au nouveau ministre des gestes allant dans ce sens, comme la suppression du livret personnel de compétences ou encore du dispositif Éclair. Malheureusement, cela n’a pas été fait. De même, dans le cadre de la concertation, nous souhaitions que l’ensemble des personnels puissent donner son avis quant à la future loi d’orientation et de programmation. Le ministre n’a pas encore répondu à cette demande. On attend maintenant l’orientation éducative du gouvernement. Pour la FSU, plusieurs axes devraient figurer dans la future loi qui, rappelons-le, ne réglera pas tout mais donnera le cap pour les années futures. Ce texte devra, d’abord, affirmer que l’on cherche la réussite de tous les jeunes. Ce n’est pas une mince affaire car il va falloir mettre des mesures concrètes derrière. Pour nous, cela va de pair avec des parcours scolaires complets et un tronc commun le plus long possible pour tous les jeunes parce que ce sont ces systèmes éducatifs-là qui réussissent le mieux. Il faudra, en même temps, améliorer la qualité du temps scolaire, en travaillant notamment sur les ruptures entre les différents niveaux d’enseignement et en rénovant les contenus d’enseignement afin qu’ils soient mieux ancrés sur la volonté d’émancipation de chaque citoyen. On demande ainsi la création d’un conseil national des programmes qui pensera les contenus en cohérence de la maternelle au lycée. Il faudra aussi, bien sûr, améliorer les conditions de scolarisation. Mais attention de tout miser sur la question des rythmes. Il ne suffit pas de changer l’heure d’entrée ou de sortie pour que l’on améliore les résultats des élèves  ! Il faut travailler sur ce qui se passe pendant le temps scolaire  : ce qu’on enseigne, comment on le fait, dans quels locaux, avec quelle formation... Penser que la seule question des rythmes réglerait tout, ce serait mentir aux parents, aux jeunes et à la société. Les deux derniers points essentiels sont la formation des enseignants, qu’il faut entièrement reconstruire, et la question de l’école et des territoires. Il existe de très grandes inégalités entre les différents secteurs et entre les différents établissements. Il y a donc urgence à revoir la carte scolaire pour facilité la mixité et à relancer l’éducation prioritaire. Notre idée est de construire une école pour tous les jeunes et surtout ceux qui en sont les plus éloignés. Les 150 000 enfants qui sortent sans qualification et tous ceux qui ont du mal à entrer dans les savoirs scolaires viennent, bien souvent, des milieux les plus défavorisés, les plus fragiles. En France, la corrélation entre inégalités scolaires et sociales reste très forte. Mais changer cet état de fait ne se fera pas qu’avec une réforme de l’école. Il faut aussi une politique publique autour qui améliore la situation des populations. L’emploi, le logement, l’accès à la culture sont aussi indispensables pour assurer la réussite de tous les élèves.

Michel Hervieu. On a des points communs avec les enseignants  : on veut la réussite de nos enfants et eux veulent la réussite de leurs élèves  ! Pour moi, la première priorité reste la maternelle. Aujourd’hui, en Seine-Saint-Denis, nous avons compté 3 000 familles qui souhaitent scolariser leurs enfants de moins de trois ans. S’il y avait le nombre de postes nécessaires, on libérerait donc 3 000 places de crèches dont on a tant besoin... Au-delà, l’école maternelle n’est pas une garderie où l’on change des couches. C’est un lieu de sociabilisation important, notamment dans un département où les familles sont particulièrement défavorisées et parfois éloignées du monde scolaire. D’autres points sont à revoir. Il faut effectivement mieux adapter l’école aux rythmes des enfants, dont beaucoup parmi les plus fragiles ont vu leur journée se surcharger avec la suppression du samedi matin et l’ajout de l’aide personnalisée. Deux autres grands chantiers sont l’orientation, qui est aujourd’hui plus subie que choisie, et la mise en place d’un statut de parent délégué. Mais par-dessus tout, il faut donner des moyens à l’école. Pour réussir « techniquement » la rentrée, tous les enseignants ont été mis sur le pont. Résultat  : il n’y a déjà plus de remplaçants disponibles, ce qui devrait se faire sentir d’ici quelques semaines. La FCPE va siffler la fin de la récréation. Il faut que la scolarité soit complète. À l’heure actuelle, les enfants perdent en moyenne un an à cause des non-remplacements  ! Idem pour la médecine scolaire, elle est en déshérence à tel point que la FCPE de Seine-Saint-Denis, qui a constaté des cas de tuberculose à l’école, s’est permis d’écrire à l’ONU. Pourquoi  ? Parce que c’est l’instance internationale habilitée à intervenir lorsqu’un État est défaillant...

Brigitte Gonthier-Maurin. En tant que parlementaire du Front de gauche, j’ai été particulièrement mobilisée pour chasser la droite du pouvoir. Elle a supprimé 80 000 postes mais elle n’a pas fait que ça. Elle a refondé l’école sur son propre objectif de société en recentrant la mission de service public, qui est de faire atteindre à chacun le plus haut niveau de connaissances, sur la seule visée d’employabilité. Maintenant que la droite a été chassée, je me sens tout aussi impliquée pour que la gauche réussisse son projet de construire une société où l’humain reprenne pied. La refondation de l’école est au cœur de ce défi. Cela ne peut pas se faire entre spécialistes. Il faut qu’un vaste débat public s’engage. Et que nous, les progressistes, mais aussi la droite, affrontons une question fondamentale  : est-ce que, oui ou non, on pense que tous les enfants sont capables de réussir  ? Et si on le pense, quel service public permettra à chacun de développer sa propre personnalité  ? Le rôle de l’école est de permettre à chaque individu en devenir de comprendre le monde, d’appréhender ses enjeux et faire valoir sa citoyenneté. Au cœur de cette refondation, il y a évidemment les personnels de l’école et le rôle singulièrement important des enseignants. Il faut faire en sorte qu’il y en ait suffisamment avec une formation de qualité. Je ne porte pas de jugement sur ce qu’ils sont aujourd’hui. Ils font un boulot formidable au quotidien pour tenter de dépasser les réformes épouvantables qu’on leur a imposées. Mais il y a besoin d’une formation initiale et continue qui nous permette de relever ces enjeux de réussite de tous. François Hollande a annoncé la création de 60 000 postes en cinq ans dans l’éducation nationale. Moi, j’ai un doute sur sa capacité à le faire. Je pense que si on laisse se mettre en route les mécanismes d’un nouveau pacte budgétaire européen qui, précisément, va imposer l’austérité, on ne pourra pas relever ce défi de formation et de création massive de fonctionnaires. Il n’est pas question de nier ce qu’a fait le gouvernement de gauche, il y a eu des inflexions. Mais on a des débats à approfondir. Le sujet des emplois d’avenir, par exemple, me pose question. Pour les enfants déqualifiés, sortis du système scolaire, cela peut représenter une remise à l’étrier car il y en a qui sont tellement déstructurés qu’ils ne pourront pas reprendre pied d’emblée dans l’emploi et doivent passer par une phase d’utilité sociale. Mais pour les professeurs, n’est-ce pas une manière de passer par pertes et profits l’exigence d’un prérecrutement dont il faudrait réfléchir dès à présent les bases  ?

(Une intervention dans la salle) Je voulais revenir sur l’idée de « faire réussir tout le monde ». Chacun s’en revendique, à droite comme à gauche, mais cela n’a pas le même sens. La loi Fillon parle de « réussite de chacun » en fonction de ses « talents » Ainsi on voit revenir le vieux débat sur l’idéologie des « dons » et le fait que les enfants ne sont pas tous capables de réussir. Cela a abouti à la loi de 2005 et une école à plusieurs vitesses  : le socle commun pour certains élèves et notamment les plus défavorisés et une culture riche pour les élèves des milieux plus favorisés. Il y a donc nécessité de réaffirmer que tous les élèves sont capables d’accéder à une culture de haut niveau mais aussi de définir les moyens pour y parvenir. Quels contenus  ? Quels moyens de les transmettre  ? Quelle formation pour les enseignants  ? Quel travail en équipe  ? Etc.

Justement, Bernadette Groison, comment aider les enseignants pour qu’ils puissent atteindre cet objectif du « tous capables »  ?

Bernadette Groison. Il faut déjà être convaincu que les élèves sont tous capables. Compte tenu de ce que l’on a vécu ces dernières années, malheureusement, des jeunes eux-mêmes ont intégré qu’ils seront en difficulté à l’école, des parents eux-mêmes s’en sont éloignés, peut-être même que certains collègues, par manque de formation ou d’accompagnement, ont du mal à y croire. Il faut donc réhabiliter cette idée. Ensuite, il faut s’entendre sur ce que l’on nomme la « réussite ». Pour nous, c’est l’émancipation personnelle et citoyenne, et la qualification au bout du compte, sur la base d’une orientation choisie – et donc pas précoce – où l’on accompagne les jeunes et les familles dans ces parcours. Pour parvenir à cette réussite de tous, il faudra, à l’évidence, revoir les pratiques professionnelles en réhabilitant notamment les dynamiques collectives dans l’école. Ces dernières années, on a monté les personnels les uns contre les autres, on a mis en place des logiques de concurrence. Mais l’école, c’est l’affaire de tous. C’est aussi des assistants sociaux, des infirmières, des Copsy, des personnels administratifs... Il faut permettre à ces personnels de travailler ensemble, dégager du temps pour qu’ils se rencontrent, mais aussi aient des formations communes et des projets communs. Il faut recréer cette dynamique collective et parler mieux et plus avec les familles. Ce n’est pas si évident. Le travail concerne des élèves éloignés du monde scolaire et, souvent, des familles qui le sont tout autant, face auxquelles on ne sait pas toujours trouver les bons mots pour les valoriser. Il faut, enfin, mettre le paquet sur toutes les politiques qui permettent d’accompagner les jeunes. L’école, seule, ne peut pas tout faire, et les questions d’emploi, de logement, de culture contribuent aussi à améliorer les relations aux savoirs et à réancrer l’école dans une société plus égalitaire.

Brigitte Gonthier-Maurin. Si tout le monde pense que tous les élèves sont capables, il faut se donner alors les moyens de cette ambition. Ce n’est pas forcément penser un service public de l’éducation qui réponde à l’identique et de façon immuable pour toutes et tous au même moment. Il y a des individus en devenir qui ont besoin de temps, parce qu’ils ont à surmonter des écarts sociaux de départ, parce qu’ils n’ont pas accès à la culture, parce qu’ils ne parlent pas la langue, etc. Le service public doit relever cet enjeu. Et puis, je voudrais dire qu’un enfant, ce n’est pas une boîte à remplir, c’est quelqu’un qu’il faut soigneusement cultiver, amener à s’ouvrir au monde et à devenir un citoyen. Le livret de compétences, qui évalue les enfants dès la maternelle, est pour moi une catastrophe. Enfin, je partage l’idée que l’école doit s’ouvrir de l’intérieur, mettre en place des collectifs de travail. L’enseignant qui est seul, confronté à une difficulté dans sa classe, pense que c’est lui le responsable. Il a donc besoin d’échanger, de trouver du soutien de la part de sa hiérarchie. L’école doit aussi s’ouvrir sur l’extérieur avec notamment la création d’un statut pour les parents dont beaucoup n’osent pas entrer dans l’école. Pour finir, je voudrais juste lancer un appel  : il faut vous en mêler  ! On ne réussira pas à construire cette école, à répondre au besoin d’élever les qualifications pour faire face aux défis auxquels sont confrontés le genre humain et la planète, sans un vrai élan citoyen.

Propos recueillis par Laurent Mouloud, L’Humanité


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message