Tous les élèves peuvent-ils réussir à l’école ?

jeudi 20 septembre 2012.
 

Rappel des faits

Contre l’école-entreprise promue sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, comment instaurer durablement une école de l’égalité permettant la formation de tous les citoyens  ? « Cet enfant  ? Il n’est pas fait pour l’école  !  » La réflexion est aussi vieille que l’école elle-même et voudrait nous faire croire que l’accès aux savoirs complexes n’est réservé qu’à quelques-uns. Pourtant, on ne s’interroge que trop rarement sur les raisons profondes qui font que des élèves « y arrivent » et d’autres moins, ou pas du tout. Chaque année, entre 10 et 15 % des enfants entrent en sixième avec un niveau faible en mathématiques et en français. Est-ce inévitable  ? Que peut faire le système scolaire pour y remédier  ? Ces questions interrogent le fonctionnement de l’institution, mais aussi l’image même qu’elle se fait de «  l’élève type  ». Elles devraient être au cœur de la concertation lancée cet été par le ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon. Et restent l’un des défis majeurs à relever pour une école réellement démocratique.

Entre 80 000 et 120 000 jeunes décrochent chaque année du système scolaire sans aucun diplôme. Environ 10 à 15 % des élèves entrent au collège avec des acquis faibles ou insuffisants en français ou en maths… Comment expliquer cette constance dans l’échec scolaire et, surtout, comment y remédier  ?

Jacques Bernardin. L’institution scolaire a longtemps considéré cela comme normal, dans une vision hiérarchisée des compétences des élèves. Si l’idéal de démocratisation est une préoccupation désormais partagée, les pratiques peinent à assouvir cette ambition, perpétuant une vision élitiste de l’éducation. Les recherches récentes révèlent deux sources de difficultés scolaires  : d’une part, l’indifférence aux différences, considérant évident pour tous ce qui ne l’est que pour certains et contribuant, faute de clarification, à des malentendus sur l’interprétation des situations  ; d’autre part, l’adaptation des activités selon les difficultés et le niveau présupposé des élèves, creusant les différences en cherchant à les réduire. D’où l’importance du regard porté sur leurs capacités, de l’analyse préalable de la nature des difficultés, de pratiques en mesure de les dépasser.

Jean-Rémi Girard. Une bonne part de l’échec scolaire est liée à la question des fondamentaux. Les horaires d’enseignement du français diminuent régulièrement, par exemple. S’est ajouté à cela une dérive de la formation des professeurs  : l’idéologie véhiculée par des spécialistes dans de nombreux IUFM a fait du dégât. Beaucoup de parents bien informés savent de quoi je parle, eux qui ont dû apprendre eux-mêmes à lire à leurs enfants. Il convient donc qu’un gouvernement ait enfin le courage de se recentrer sur les fondamentaux, sur la maîtrise de la langue et du calcul. De manière générale, la transmission raisonnée et construite des savoirs doit revenir au cœur de l’école. C’est ainsi qu’on forme des adultes capables de se débrouiller dans le monde, de reprendre des études si besoin est et d’exercer leur esprit critique et leur citoyenneté.

Philippe Watrelot. Notre slogan est depuis longtemps  : «  Changer l’école pour changer la société, changer la société pour changer l’école.  » Il est indéniable que les principales causes de cet échec sont à chercher dans les inégalités sociales. Mais il serait tout aussi illusoire de penser qu’il suffit d’attendre un changement social pour résoudre tous les problèmes. Car il y a malheureusement une logique inégalitaire propre à l’école. Celle-ci construit et renforce les inégalités. L’échec scolaire est une «  maladie nosocomiale  » de l’école. Il est le produit de l’organisation de l’école, ainsi que de la pédagogie qui y est majoritairement pratiquée. Il faut, selon nous, mettre au cœur de l’organisation du système éducatif, de la formation des enseignants et de leurs missions, la nécessité de lutter contre les difficultés scolaires. Il faudrait plus de continuité et de cohérence entre les niveaux et entre les différentes disciplines scolaires pour donner plus de sens aux apprentissages. Il faut aussi donner plus de marge de manœuvre aux équipes dans les établissements.

Selon vous, l’idéal méritocratique est-il compatible avec la démocratisation des savoirs et la réussite de tous  ?

Philippe Watrelot. Il y a effectivement une tension entre ces deux valeurs. L’école républicaine s’est construite avant tout sur une volonté d’élargir la base de recrutement des élites, mais sans se soucier vraiment des vaincus du système. Or, aujourd’hui, on constate que la méritocratie elle-même ne fonctionne plus, l’ascenseur social est bloqué… Selon l’enquête Pisa, la France est le pays où l’origine sociale joue le plus dans l’obtention d’un diplôme. L’enjeu est donc aujourd’hui de passer de cette école républicaine largement mythifiée à une école réellement démocratique, qui ne laisse personne au bord de la route.

Jean-Rémi Girard. L’idéal méritocratique ne peut fonctionner qu’avec des savoirs démocratisés. La méritocratie, c’est pousser chacun au plus haut de ses capacités, et ce, sans que l’origine sociale n’intervienne. Aujourd’hui, on prive des enfants dotés de grandes capacités de pouvoir les exploiter car ils se retrouvent dans des établissements ghettos, dans lesquels on expérimente souvent tout et n’importe quoi. On appauvrit ainsi notre pays car on ne recrute son élite que dans une catégorie sociale de plus en plus restreinte. Il est tout de même hallucinant de se dire que les personnes issues d’un milieu populaire ont à présent moins de chance de faire une grande école que dans les années 1950. La réussite de tous, ce n’est donc pas niveler tout le monde par le bas (les parents les mieux informés s’arrangent toujours pour échapper au processus), mais enseigner partout des savoirs construits et exigeants. Si on le fait bien dès le plus jeune âge, on fait progresser tous les élèves.

Jacques Bernardin. L’idéal méritocratique, qui a été en son temps une conquête par rapport à la perpétuation des privilèges dus à la naissance, conduit à sélectionner ceux qui sont considérés comme les plus méritants pour les places sociales enviables. C’est une avancée qui porte ses limites  : elle s’inscrit dans un horizon qui déplace mais perpétue les inégalités. A contrario, viser la promotion de tous, l’élévation continue du niveau culturel de la population répond au principe de justice. Les pays qui ont fait ce choix parviennent à de bien meilleurs résultats, conjuguent efficacité et équité sans que cela soit préjudiciable à des formations de haut niveau, la diversification n’opérant qu’à partir du lycée.

Dans ce cadre, pensez-vous que le socle commun soit un gage de démocratisation ou entérine-t-il une école à deux vitesses  ?

Jacques Bernardin. Au-delà de l’appellation, c’est l’idée du «  commun  » qui est à considérer de près. Le Groupe français d’éducation nouvelle (Gfen) a prévenu des risques qu’il y aurait à le concevoir dans une vision faible des élèves et des contenus. On retomberait vite dans une logique de viatique, de minimum culturel pour des élèves considérés capables de peu, ce qui continuerait de creuser les inégalités et achèverait de disqualifier le service public d’éducation. Ce n’est pas de moins mais de plus d’ambition dont les élèves ont besoin, d’une autre approche des contenus à même d’en restituer la valeur originelle. Qu’il s’agisse d’outils imaginés pour résoudre des problèmes ou d’œuvres permettant une autre lecture du réel, ce sont autant de moyens pour transformer le rapport au monde, de sources de développement témoignant de l’inventivité humaine pour s’émanciper des fatalités.

Philippe Watrelot. Avec d’autres organisations et syndicats, nous sommes à l’origine d’un collectif intitulé  : Le socle commun, promesse démocratique. Pour nous, même s’il est imparfait dans ses modalités, le socle commun va dans le bon sens, en fixant comme objectif de faire réussir tous les élèves. La démarche du travail par compétence (et pas seulement de l’évaluation) est d’aller vers une pédagogie plus explicite qui permette à chaque élève, et pas seulement aux «  héritiers  », de savoir ce que l’on attend d’eux. C’est aussi le moyen de donner plus de sens et de cohérence aux apprentissages en proposant aux élèves des travaux interdisciplinaires et aux enseignants, un travail d’équipe. On vérifie aussi vraiment que les savoirs sont acquis en les mobilisant en situation et on favorise ainsi la remédiation. Il est caricatural de penser que cela dévalue les savoirs, bien au contraire. Le socle n’est pas un plafond mais un plancher. C’est une exigence forte car c’est le moyen de définir ce qui permet d’apprendre et de progresser.

Jean-Rémi Girard. Le socle commun est avant tout une notion technocratique et administrative qui a bien du mal à se traduire de quelque manière que ce soit dans le réel. Sa délimitation est floue et sa mise en œuvre incompréhensible pour les différents acteurs  : les professeurs remplissent des usines à cases sans bien en voir l’intérêt  ; la plupart des parents n’y comprennent rien.

Comment concevez-vous la transformation de l’école et de la pratique enseignante  ?

Jean-Rémi Girard. On a voulu beaucoup changer l’école et rénover les pratiques enseignantes, et souvent les remèdes proposés ont été pires que le mal. Nous préconisons une formation disciplinaire de qualité et de nombreux stages d’observation, car si enseigner est un métier qui s’apprend, il s’apprend avant tout sur le terrain. Les professeurs doivent retrouver leur liberté pédagogique et pouvoir s’appuyer sur des études fiables, et non sur des expérimentations dont on extrapole les résultats à la va-vite. Il faut également arrêter de vouloir sans arrêt se comparer à ce qui se fait partout ailleurs dans le monde  : le modèle français d’éducation est un modèle qui a fonctionné et qui peut fonctionner encore, si on le considère dans sa globalité. Vouloir transférer quelques éléments pris au hasard en Finlande, en Allemagne ou en Grande-Bretagne est la meilleure façon de le dégrader davantage. Enfin, le statut de l’enseignant doit être revalorisé, et pas uniquement avec des mots. Il n’est pas admissible qu’un métier demandant autant d’études et d’investissement soit aussi mal considéré dans l’ensemble de la société.

Philippe Watrelot. Si l’école doit évoluer, cela ne veut pas dire pour autant qu’elle est restée immobile. Les pratiques enseignantes ont déjà changé et nous voulons surtout que l’innovation soit plus et mieux reconnue. Il ne faut pas non plus que le discours sur la nécessaire transformation de l’école soit perçu comme un discours culpabilisateur. On peut faire son travail du mieux qu’on peut dans un système qui a des dysfonctionnements. Nous voulons contribuer à construire une école plus juste et plus efficace. Cela passe par des enseignants mieux formés, travaillant en équipes dans des établissements plus autonomes pour répondre au mieux aux besoins des élèves. Des enseignants qui soient des experts du «  faire apprendre  ». Et au service de la réussite de tous.

Jacques Bernardin. Nous attendons qu’un cap ambitieux soit fixé, associant relance déterminée de la démocratisation et visée d’émancipation. Cette orientation doit être soutenue par des mesures structurelles  : choix d’un tronc commun jusqu’au terme du collège  ; principe de mixité sociale et scolaire. La redéfinition des programmes est indispensable pour que l’ensemble des acteurs puissent clairement s’y situer et y inscrire leur action. Mais on ne peut faire l’économie d’une évolution des pratiques. Restituer la portée émancipatrice des savoirs oblige préalablement à en questionner l’origine et les étapes constitutives dans l’histoire humaine  ; rechercher la logique derrière l’erreur permet d’en modifier le statut dans la dynamique d’apprentissage. Exciter la curiosité des élèves, soutenir la démarche intellectuelle de chacun dans le creuset d’une élaboration collective, troubler les certitudes pour forcer à aller plus loin  : cela ne s’improvise pas, mais cela s’apprend. C’est à la formation qu’il revient d’outiller sur ces points, de stimuler l’inventivité professionnelle, le partage et la coopération. Face aux enjeux, le métier ne peut plus être pensé de façon solitaire mais solidaire, dans le cadre d’un travail d’équipe créatif et stimulant, au bénéfice des élèves.

Entretiens réalisés par Anna Musso, L’Humanité


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