Tout militaire golpiste doit payer cher... un jour (exemple du Brésil)

vendredi 14 septembre 2012.
 

1) Dilma Rousseff (ex-guerrillera, aujourd’hui présidente du pays) : “le Brésil mérite de connaître la vérité”

Dilma Rousseff, présidente du Brésil, a officiellement investi le 16 mai 2012 une Commission de la vérité destinée à enquêter sur les crimes commis sous le régime militaire entre 1964 et 1985.

Lors du discours officiel d’installation de cette commission, la présidente, ex-guérillera emprisonnée et torturée sous la dictature, a précisé que « le mot vérité est surtout le contraire de l’oubli » [1]. Elle a poursuivi : « en instaurant la Commission de vérité, ce qui nous motive n’est pas la vengeance, ni la haine ou le désir de réécrire l’histoire d’une façon différente de ce qui s’est passé, mais la nécessité impérieuse de la connaître pleinement, sans dissimulation, camouflage ni prohibition [2]. » Cette Commission de la vérité ne remet effectivement pas en question la loi d’amnistie de 1979 qui protège les tortionnaires

Après le Chili et l’Argentine, c’est donc au tour du Brésil de vouloir faire la lumière sur le sombre passé de la période des dictatures militaires – officiellement le Brésil compterait 400 morts ou disparus contre 30 000 en Argentine...

Depuis la fin de la guerre d’Algérie, la France n’a pas fait ce travail de vérité : plusieurs amnisties successives ont notamment empêché que la vérité ne soit officiellement reconnue sur les violences illégitimes alors mises en oeuvre. En revanche, la France a été nettement moins scrupuleuse pour exporter son savoir-faire dans le domaine de la “guerre antisubversive” : le général Paul Aussaresses a été formateur dans un centre d’instruction militaire à Manaus de 1973 à 1975, où il a développé un enseignement sur la Bataille d’Alger.

2) Le général Aussaresses ... Quand l’armée française formait la gestapo sud-américaine

Nommé attaché militaire au Brésil en octobre 1973, le général Paul Aussaresses a donné des cours sur la bataille d’Alger (1957), au Centro de Instrução de Guerra Na Selva (CIGS, Centre d’instruction de la guerre dans la jungle). Ce centre de formation d’officiers de l’armée de terre brésilienne situé à Manaus, au coeur de l’Amazonie, avait été créé en 1964 par le maréchal Castelo Branco, chef de la junte militaire qui avait renversé, le 31 mars 1964, le président Joào Goulart.

Selon Marie-Monique Robin qui a interviewé le général Aussaresses, ce dernier a formé des officiers brésiliens, mais également chiliens, argentins, et vénézuéliens :

– Vous donniez des cours ? – Bien sûr... – Sur quoi ? – Toujours sur la même chose : la bataille d’Alger... [3]

Dans son livre intitulé Je n’ai pas tout dit. Ultimes révélations au service de la France, Aussaresses se livre à Jean-Charles Deniau :

– L’enseignement de la torture, c’était uniquement théorique, donc ? Ou est-ce qu’il y avait des exercices ? – Il y avait des exercices. – Sur des cobayes… Il y avait des stagiaires qui jouaient le rôle de torturés et d’autres celui de tortionnaires ? – Voilà. – Chacun jouait son rôle ? – Oui. – Mais ils ne le faisaient pas vraiment ? – Non. – Mais parfois ils le faisaient vraiment ? – Parfois ils le faisaient vraiment… [4]

3) Pour que l’oubli ne l’emporte pas (par Nicolas Bourcier, Le Monde

Elle caresse ses dossiers du geste lent et délicat de ceux qui ont appris à savourer la beauté de certains crépuscules. Sous ses doigts, les noms des victimes de la répression défilent en accéléré. Autant de vies en forme de ligne brisée que la dictature militaire brésilienne a réduit à néant entre 1964 et 1985.

Ils sont un peu plus de 400, morts et disparus, tous là, ou presque, alignés avec leurs petits portraits en noir et blanc sur les murs de cette institution modeste située au coeur de Rio de Janeiro, dans l’un des replis populaires du quartier de Botafogo. Tortura Nunca Mais ("La torture, plus jamais") est le nom de ce mouvement créé dans les mois qui ont suivi la fin du régime militaire et qui, méticuleusement et en profondeur, presque en silence, a modifié la mémoire collective des Brésiliens.

"Tous les cas publics sont rassemblés ici, fruit d’un long travail de collecte auprès des instituts médicaux, des registres de cimetière et de la police fédérale, explique Luiza Miriam, ajustant les lunettes rondes qui lui mangent le visage. Oui, plus de 400 morts et aussi plusieurs milliers de personnes torturées, les estimations variant entre 5 000 et 10 000 individus."

A 72 ans, la militante est un membre actif de la coordination de l’organisation. Elle-même dit avoir perdu de nombreux amis, dont certains corps n’ont jamais été retrouvés. Six proches de sa famille ont connu la prison et les sévices de leurs geôliers. "Imaginez, poursuit Luiza Miriam, nous recevons encore aujourd’hui, parfois plus de quarante ans après les faits, des témoignages et des dénonciations de persécutions et de tortures perpétrées par les militaires. C’est dire si notre action est nécessaire."

Et dérangeante. Les locaux de Tortura Nunca Mais ont été visités dans la nuit du 19 juillet. Aucun ordinateur ne semble avoir été touché, les portraits aux murs sont restés intacts. Seule une petite caisse contenant un peu d’argent liquide et certains dossiers ont été dérobés. Précisément, la pile concernant les traitements médicaux et les fiches de renseignements psychologiques des victimes des tortures. Un acte étrange qui survient une semaine après un coup de fil, anonyme, d’un homme qui, d’une voix calme, avait lâché : "Je vous appelle pour vous dire que nous allons revenir et que tout cela va prendre fin."

Geste d’un déséquilibré ? Initiative isolée ? Opération rondement menée par une petite armée des ombres, nostalgique de l’ancien régime ? La police dit enquêter. Pour Luiza Miriam, l’objectif était de mettre à mal l’organisation et de jeter le trouble sur ses activités. "Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que nous avions fait des photocopies", sourit-elle. Et ajoute : "Le vol n’entraînera qu’un ralentissement des procédures de remboursement et d’indemnisation mises en place avec les autorités. Elles aboutiront."

JPEG - 20.8 ko Dilma Rousseff, 22 ans, devant un tribunal militaire en 1970 (Adir Mera/Archives de l’État de Sao Paulo)

Une façon de dire que le travail de mémoire avance, inexorablement. Et que les temps changent, malgré certaines lenteurs et afféteries. Avec d’autres, Tortura Nunca Mais a permis de rendre possible la création de la Commission vérité, décidée fin octobre 2011 par les députés. Chargée de faire la lumière sur ces années noires et d’identifier les tortionnaires, les sept membres de la commission ont été nommés en mai par la chef de l’Etat, Dilma Rousseff, elle-même ancienne guérillera, emprisonnée et torturée.

A peine quelques jours plus tard, grâce à la récente mise en application de la loi sur l’accès à l’information publique, le pays a pu découvrir le récit inédit qu’avait fait l’actuelle présidente devant le Conseil des droits de l’homme de l’Etat de Minas Gerais en 2001. Elle y détaillait les sévices qu’elle avait subis durant sa détention. Le rapport faisait état de séances d’électrochocs, de coups qui lui avaient déplacé la mâchoire et provoqué une hémorragie de l’utérus.

Le nom de l’ancien militaire accusé d’avoir torturé Dilma Rousseff a été rendu public par des associations de défense des droits de l’homme. Lieutenant-colonel à la retraite, Mauricio Lopes Lima, 76 ans, a ainsi vu débarquer devant sa résidence de la ville insulaire de Guaruja, près de Sao Paulo, plusieurs dizaines de jeunes manifestants. A la peinture rouge, ils ont écrit sur le trottoir : "Un tortionnaire de la dictature vit ici." Une scène impensable quelques années auparavant.

L’université fédérale du Minas Gerais vient, elle, de rendre publique, début août, une carte du Brésil avec, pour la première fois, les 82 centres de torture réquisitionnés par les militaires et les services de police pendant la dictature. Treize lieux ont été recensés rien qu’à Rio, un des noyaux durs de cette topographie de l’horreur.

Fait encore plus marquant, un militaire, Carlos Alberto Brilhante Ustra, a été reconnu coupable, fin juin, par un juge de Sao Paulo de meurtre et de torture d’un journaliste en 1971. L’homme qui dirigeait alors le plus redouté des centres de répression du pays, le DOI-CODI, monté par les militaires pour démanteler l’opposition, a été condamné à verser une indemnisation à la famille de la victime. Une première pour le Brésil, où, en vertu d’une loi d’amnistie mise en place par les militaires en 1979 et toujours en application, les compensations financières sont prises en charge par les Etats et le gouvernement fédéral. Le 14 août, une cour d’appel a confirmé la décision.

"Il reste beaucoup à faire, et ce n’est pas ce petit vol qui nous arrêtera !", lâche Luiza Miriam en refermant le tiroir de ses dossiers. Elle ferme les yeux. Difficile d’oublier le passé. Il saute à la figure à tout moment. Nicolas Bourcie


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