Mélenchon : ce fut "cent jours pour presque rien"

jeudi 30 août 2012.
 

Silencieux depuis les législatives, l’ex-candidat du Front de Gauche fait sa rentrée dans le Journal Du Dimanche. Il dresse un violent réquisitoire contre les 100 jours de François Hollande.

Voilà plusieurs mois que vous ne vous êtes pas exprimé dans les médias. Pourquoi un si long silence ?

François Mitterrand m’a dit : "La couche de terreau n’est pas si épaisse. Ne grattez pas trop fort." J’avais gratté très fort ! Je suis donc parti au Venezuela me reconstituer. C’est fait !

Vous avez parlé de plaies qui ont du mal à cicatriser. Hénin-Beaumont et les législatives rentrent dans cette catégorie ?

Le succès à la présidentielle ne fait pas de moi un totem auquel on viendrait faire rituellement des dévotions. Je devais monter en première ligne ! J’ai échoué de peu, mais j’ai fait la démonstration d’une méthode. Je ne me suis pas contenté de jérémiades moralisantes. Je me suis opposé au contenu raciste et antisocial du programme du Front national. J’ai gagné 1.000 voix en trois semaines ! Mais au plan national, c’est l’inverse : la moitié de nos voix à la présidentielle ne se sont pas retrouvées aux législatives. Pourquoi ? Nous n’avions pas non plus envisagé la hargne des socialistes et leur incroyable mobilisation contre nous. Alors que nos quatre millions d’électeurs l’ont fait élire, Hollande a essayé de nous faire disparaître de l’Assemblée. Avec un groupe charnière à l’Assemblée et une victoire d’Alexis Tsipras en Grèce, nous aurions fait basculer le sort de l’Europe. L’histoire s’est jouée à une poignée de voix.

Quel est votre regard sur les cent jours de François Hollande ?

Il convoque une session parlementaire extraordinaire. Bravo, car il y a des urgences. Pourtant, ce fut une session du temps perdu. Cent jours pour presque rien. Hollande a désamorcé le contenu insurrectionnel du vote de la présidentielle. Il l’a dilué dans les sables des plages du Var. Comme si l’élection s’était résumée à une question de personnes : un normal à la place d’un agité et tout serait dit. Eh bien, non. Et on ne parviendra pas à nous faire confondre normal et social-libéral ! Après dix ans, la gauche revient au pouvoir et tout ce qu’il y aurait d’urgent à faire, ce serait un collectif budgétaire et une loi sur le harcèlement sexuel ? Nos députés ont voté le collectif : c’est un coup de serpillière sur les plus grosses taches laissées par Sarkozy. Mais ce n’est pas assez pour faire le ménage. S’il y avait urgence sur le harcèlement sexuel, est-ce qu’il n’y a pas aussi urgence sur les licenciements, par exemple ? Pourquoi ne pas avoir passé la loi sur les licenciements boursiers ? Nous l’avons déjà écrite et les socialistes l’ont déjà votée au Sénat en première lecture. Et la loi bancaire ? Il fallait marquer un rapport de force avec la finance. C’est pour cela que nous avons battu Sarkozy ! Il faut faire le boulot maintenant ! L’atermoiement continu laisse les mains libres à la finance ! Assez temporisé !

À vous entendre, les socialistes n’étaient pas prêts à gouverner...

Quand je regarde le creux des cent jours et la multiplication des commissions, j’en conclus que nous étions mieux préparés que les socialistes à exercer le pouvoir. Nous avions des propositions de loi dans nos cartons. En toute circonstance, nous sommes disponibles pour former un gouvernement sur notre programme. La prochaine élection politique nationale aura lieu en 2014 avec les européennes. Les Français vont fixer les rapports de force politiques non seulement entre droite et gauche mais à l’intérieur de la gauche. Avec la présidentielle, nous avons ouvert un large chemin ! Un vaste espace existe ! Nous sommes un recours possible. Notre tour viendra. D’ici là : action !

Vous lui reprochez aussi de vouloir faire voter à l’Assemblée le traité européen budgétaire alors que vous êtes contre et que vous souhaitiez un référendum ?

Après une comédie de négociation qui fut une capitulation, il faudrait accepter le traité "Merkozy" ? Perdre les dernières marges de manoeuvre du pays ? L’austérité pour toujours ? C’est un contresens économique. Hollande est un social-libéral comme ceux qui ont déjà conduit aux désastres grec, espagnol et portugais. Ce n’est pas parce que François Hollande veut être normal que la situation va le devenir. Quelqu’un lui a dit que le capitalisme était en crise ? Et que l’écosystème entre dans les turbulences ? L’Europe est dans le rouge et marche au désastre. Réveillez-vous !

Que pensez-vous de l’action d’Arnaud Montebourg : agitation utile ou agitation stérile ?

Le fait qu’il s’agite est utile. Cela empêche de banaliser la force tranquille du mal que représentent les énormes plans de licenciements en cours. Mais pourquoi, à la session de juillet, n’a-t-il pas fait voter la loi interdisant les licenciements boursiers et accordant un droit de préemption des travailleurs sur les entreprises abandonnées par leurs propriétaires. Il n’a utilisé aucun de ces leviers. Or les cent premiers jours sont cruciaux pour marquer une identité et un rapport de force. Il ne l’a pas fait. C’est une faute.

Un autre sujet fait polémique, c’est celui du démantèlement des camps de Roms...

Quelle est la différence entre un baraquement cassé sur ordre d’un ministre de droite et un baraquement cassé sur ordre d’un ministre de gauche ? C’est le degré zéro de l’imagination ! La répression ou le statu quo : est-ce la seule alternative ? Ce n’est pas acceptable. Là aussi, il y a des mesures urgentes à prendre : ouvrir l’accès au marché du travail, par exemple. Valls fait du Valls. Mais c’est Hollande le patron, non ?

Quel est votre rôle aujourd’hui au Front de gauche ?

Aujourd’hui ? Nous allons voir. Le Front de gauche fonctionne au consensus. Je ne cherche pas à m’imposer. Maintenant, il ne faut pas que cela se transforme en un système autobloquant. Je suis à la disposition du Front de gauche. Mais pas en qualité de potiche. La personnalisation de la Ve République fait que c’est vers moi que se tournent les regards. Qu’est-ce qu’on en fait collectivement ? Je suis tel que je suis et je n’ai pas l’intention de changer. Ma parole est libre. J’ai prouvé que je savais faire des synthèses conquérantes, non ?

Le Front de gauche est une construction fragile...

Oui. Il est si récent ! Il a si vite grandi ! Si nous pensons gérer un patrimoine électoral acquis d’avance, et si nous rabougrissons nos ambitions, nous retournerons au néant ! Mais j’ai confiance ! Nous avons pris goût au succès. Nous allons prendre des initiatives pour un référendum, sur les licenciements boursiers ! Nous allons ouvrir des centaines d’ateliers législatifs pour impliquer le plus grand monde possible pour faire vivre une radicalité concrète !

Vous êtes resté longtemps au Venezuela cet été. Hugo Chávez est-il un modèle pour vous ?

Pas un modèle. Il est une source d’inspiration, je l’assume totalement. Il a rendu à la lutte socialiste deux services immenses. Il a gagné 12 élections sur 13 et fait ainsi la démonstration qu’un processus de révolution démocratique passe par des élections. En ce sens, il a ouvert le chemin du socialisme du XXIe siècle, qui est démocratique pluraliste et sans parti unique. Deuxième service : il a perdu un référendum et a respecté le verdict. Quand les autres perdent, comme ce fut le cas en France en 2005 avec le référendum sur la Constitution européenne, ils ne le respectent pas. Chávez a surtout réduit de moitié la pauvreté en treize ans et fait la démonstration de ce qu’est une action gouvernementale avec une implication populaire massive. Cela ne m’empêche pas d’avoir des désaccords avec lui, notamment sur certains aspects de la politique internationale. Je n’ai pas du tout la même évaluation que lui du gouvernement religieux de l’Iran, que je considère comme très dangereux. Pour moi, la nouvelle Amérique latine progressiste, dans sa diversité, est l’avant-poste de notre propre révolution citoyenne. Il faut la défendre en bloc.

Bruno Jeudy et Arthur Nazaret - Le Journal du Dimanche samedi 18 août 2012


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