Le cumul des mandats perdure au Parti socialiste

mardi 14 août 2012.
Source : Le Monde
 

Comme ceux de l’opposition, la grande majorité des députés et sénateurs socialistes cumulent leur mandat de parlementaire avec un mandat local, voire deux. Si quelques-uns d’entre eux ont abandonné une responsabilité locale, d’autres revendiquent le cumul comme un moyen d’être en prise avec le terrain. Pour la plupart, ils attendent sans bouger le vote d’une loi qui irait plus loin que la limitation en vigueur depuis 2000.

Avant la présidentielle, avant même la primaire d’octobre 2011, les militants du PS, consultés par référendum en octobre 2009, s’étaient prononcés en des termes qui ne souffraient aucune ambiguïté. Ils s’étaient déclarés favorables, « comme étape vers le mandat parlementaire unique », à « l’impossibilité de cumuler (...) un mandat de parlementaire avec une présidence d’exécutif local ou la participation à un exécutif ». Etaient ainsi visés les postes de maire et d’adjoint au maire, ainsi que les bureaux d’une communauté de communes, d’un conseil général ou d’un conseil régional.

GÉNÉRATION « SENSIBLE À CES QUESTIONS »

Il ne reste plus que six semaines aux 207 députés et 94 sénateurs socialistes cumulards pour se mettre en conformité avec ce principe. Car, « sans attendre le vote d’une loi », l’interdiction du cumul, votée par les militants du PS, doit devenir effective, pour les députés et les sénateurs de ce parti, « dans un délai maximum de trois mois après la tenue du scrutin ». Ce texte a été adopté par le conseil national du PS, en juin 2010, au grand dam de certains caciques. Dans les « 60 engagements » de François Hollande, le futur président de la République s’est borné à indiquer : « Je ferai voter une loi sur le non-cumul des mandats. » Mais les candidats investis pour les législatives ont signé un engagement écrit de se conformer à la règle du parti.

Parmi les 207 cumulards – sur les 297 députés du groupe socialiste de l’Assemblée nationale –, 146 ont un mandat local, 49 en ont deux, et 12 en ont trois, selon le décompte du Monde. Depuis les législatives de juin, ils sont 45 à avoir abandonné un, voire deux des autres mandats.

Les députés respectueux de la règle de non-cumul se recrutent du côté des nouveaux élus appartenant à la génération qui a le plus pâti du déficit de renouvellement des responsables politiques. « Notre génération est sûrement plus sensible à ces questions », estime Eduardo Rihan-Cypel (Seine-et-Marne), 36 ans. Il a déjà quitté son mandat de conseiller régional pour ne garder que celui de conseiller municipal, ce qui restera autorisé, puisqu’il ne s’agit pas d’une fonction exécutive.

SOUPLESSE DANS L’APPLICATION

Laurent Grandguillaume (Côte-d’Or) s’est déjà appliqué en partie la règle, en se démettant de son mandat de conseiller général. S’apprêtant à faire de même pour ses postes d’adjoint au maire et de vice-président du Grand Dijon, M. Grandguillaume estime que « le PS devra rappeler leur engagement à ceux qui ne s’appliqueront pas la règle qui a été donnée collectivement ».

« C’est une question de renouvellement politique, cela permet la respiration démocratique, pour ouvrir la vie politique aux jeunes, aux femmes », ajoute Pouria Amirshahi (Français de l’étranger), qui accepte toutefois une certaine souplesse dans l’application. « Si on dit : ’c’est tout de suite et maintenant’, cela va crisper les choses, estime-t-il. Il faut de la pédagogie, mais il ne faut pas transiger sur les termes du débat. »

La plupart des démissions sont le fait d’élus qui se sont conformés à la loi en vigueur, laquelle autorise un parlementaire à exercer un seul mandat municipal (dans une commune de plus de 3 500 habitants), régional ou départemental. Peut s’y ajouter une seule fonction exécutive de maire, président de conseil général ou de conseil régional, sachant que les communes de moins de 3 500 habitants et les intercommunalités n’entrent pas dans le champ de cette limitation. Cette loi, peu contraignante, permet à 12 députés d’exercer en outre trois autres fonctions : président ou vice-président d’un conseil général ou régional, maire et président d’une intercommunalité.

« COUPURE ENTRE LES ÉLUS DE TERRAIN ET LES ÉLUS NATIONAUX »

Les adversaires du non-cumul avant le vote d’une loi mettent en garde contre un « désarmement unilatéral », qui exposerait leur remplaçant à une défaite, aux prochaines élections locales, face à un adversaire plus chevronné et plus connu.

Député depuis 1978 et président du conseil général des Landes depuis 1982, Henri Emmanuelli prévient, lui, du risque de « coupure entre les élus de terrain et les élus nationaux », où il voit « une erreur dont on reviendra dans dix ans ». Il loue le modèle allemand du Bundesrat – le conseil fédéral des seize Länder – et l’importance du lien avec le local. « Il ne faut pas couper les décideurs des payeurs », affirme l’ancien ministre du budget, réélu député au premier tour en 2007 et en 2012.

Lui-même député et président du conseil général de Corrèze, M. Hollande avait été contraint de clarifier sa position, lors de la campagne de la primaire socialiste, poussé par ses concurrentes, Ségolène Royal et Martine Aubry. Jean-Marc Ayrault a précisé, dans son discours de politique générale, le 3 juillet, qu’« il sera mis fin (...) au cumul entre un mandat parlementaire et l’exercice des fonctions exécutives locales ». Le premier ministre a précisé que cette disposition sera « applicable en 2014 », année des élections municipales.

« Ce serait mieux que tout le monde tienne ses engagements, mais il ne faut pas que les passages de relais se fassent n’importe comment », souligne M. Rihan-Cypel. La prudence est de rigueur chez les socialistes.

Hélène Bekmézian et Jonathan Parienté


Le cumul des mandats, une exception française

Cette pratique concerne environ 80 % des députés et sénateurs. « La pratique du cumul, quelle que soit sa forme, situe la France dans une classe à part puisqu’il est, en proportion, plus de deux fois plus élevé qu’en Suède, le pays où la pratique est la plus fréquente en dehors de France », note Laurent Bach dans une étude réalisée pour le Centre pour la recherche économique et ses applications et intitulée : Faut-il abolir le cumul des mandats ? « Partout ailleurs qu’en France, il est impossible de diriger une région tout en siégeant au Parlement », ajoute-t-il.

Allemagne

Comme le note un rapport sénatorial publié en février 2012, plusieurs assemblées régionales interdisent expressément le cumul entre les mandats de député et de membre de l’assemblée du Land. Le cumul entre ces deux mandats n’est pas formellement interdit, mais il n’est pas compatible avec le principe selon lequel la sphère de compétences de l’Etat fédéral est indépendante de celle des Länder. Selon l’étude de M. Bach, 24 % des parlementaires allemands cumulent avec un mandat local, et seuls 4 % avec un mandat de maire.

Espagne

La Constitution prohibe tout cumul entre le mandat de député et celui de membre d’une assemblée de communauté autonome ; les sénateurs ne sont pas concernés. Il n’est pas autorisé non plus d’être membre d’une communauté autonome. Rien n’interdit de cumuler avec un mandat de maire ou de conseiller provincial, mais ces cas sont assez rares : seuls 20 % des députés ont un mandat local, et seuls 7 % sont maires. Dans les quelques cas de cumul de deux mandats, l’élu ne perçoit qu’une seule indemnité.

Italie

La Constitution interdit de cumuler un mandat au conseil régional et un autre au Parlement ou dans un autre conseil régional. Un parlementaire ne peut être maire d’une ville de plus de 20 000 habitants ou président d’une assemblée provinciale. Le cumul des mandats est très peu pratiqué ; seuls 7 % des parlementaires ont au moins un mandat local, et seuls 4 % sont maires.

Royaume-Uni

Outre-Manche, le cumul entre les mandats de parlementaire et de maire est interdit, tout comme le cumul entre parlementaire et président d’exécutif local. De fait, seuls 3 % des élus de la Chambre des communes ont un mandat d’élu local.


BEKMEZIAN Hélène, PARIENTE Jonathan * LE MONDE


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