Au NPA, la crise pour tout horizon (par Christian Picquet, Gauche Unitaire)

jeudi 9 août 2012.
 

Pouvais-je achever le long moment de cette année électorale sans dire un mot de l’un des événements qui marqueront indubitablement le changement du paysage politique à gauche ? Je veux parler de l’effondrement, électoral et politique, du Nouveau Parti anticapitaliste. Un effondrement à la faveur duquel un nouveau courant de ce dernier, la Gauche anticapitaliste, à la tête de laquelle se trouvent plusieurs des concepteurs du NPA, aura rejoint le Front de gauche. Le plaisir de voir s’opérer ce ralliement ne saurait cependant suffire à chasser la tristesse que l’on éprouve nécessairement devant un tel gâchis, la désagrégation d’une famille ayant si longtemps marqué la vie publique et le combat progressiste. Plus précisément, devant la dilapidation d’un capital politique et militant à l’accumulation duquel, avec bien d’autres, j’aurai personnellement apporté ma pierre durant une large partie de ma vie. Je ne pouvais, en particulier ne pas réagir aux propos, hallucinants autant qu’hallucinés, de mon ex-camarade Alain Krivine, rapportés par le Journal du dimanche du 15 juillet, pronostiquant « la fin de Mélenchon »… Incroyable !

Enfermés dans l’aveuglement qui les aura vus ramener leur formation à un petit groupe sans grande influence, privés au demeurant de la dotation annuelle de l’État du fait de leurs contre-performances des dernières législatives, les dirigeants actuels du NPA se refusent à tout retour critique sur leur projet initial. Or, le désastre présent était inscrit dans l’acte de naissance du parti prétendant incarner, isolément, l’anticapitalisme en France et, pire, représenter un modèle de référence pour les organisations de même obédience en Europe, voire au-delà puisque la déconfiture française avait été précédée de celle du Brésil, où une tentative d’une identique nature avait vu le jour. Le résultat est là, sous la forme du champ de ruines subsistant de ce que près de 10 000 hommes et femmes avaient cru être un espoir de renouveau. Tandis que la IV° Internationale affiche une perte de substance telle qu’elle n’en avait jamais connue aux heures les plus difficiles de son existence, y compris lorsqu’elle ne regroupait qu’une poignée de cadres, méprisés et pourchassés, à l’échelle du globe.

Les figures marquantes de ce que l’on ne peut plus vraiment appeler un « nouveau parti » peuvent bien invoquer, au choix, « la faute à pas-de-chance », la faiblesse du mouvement social, la défensive où se trouve acculée la classe travailleuse, l’audace disproportionnée d’une tentative de bouleverser le jeu politique alors que la conjoncture n’était pas vraiment révolutionnaire, le « talent d’orateur » de Jean-Luc Mélenchon, ou encore l’habileté diabolique d’un Parti communiste qui aurait su se refaire une santé en jouant la carte du Front de gauche, j’en passe et des meilleurs… J’ai lu ce genre de sornettes sous des plumes manifestement soucieuses de justifier leur bilan calamiteux… Cela ne donnera le change qu’à celles et ceux qui voudront bien se laisser abuser.

ABSURDITÉ D’UN PROJET FONDATEUR

L’échec, dorénavant consommé, du NPA tient à plusieurs facteurs imbriqués. D’abord, bien sûr, au refus obstiné de toute alliance avec les courants cherchant à construire une véritable alternative de gauche, ceux qui s’étaient notamment retrouvés en 2005 dans la bataille du « non » de gauche au traité constitutionnel européen, avant de faire front durablement à partir des élections européennes de 2009. Mais le sectarisme ne peut, à lui seul, expliquer une désintégration aussi spectaculaire.

Au cœur de cette dernière, gît l’illusion selon laquelle le nouveau parti des anticapitalistes devait voir le jour en faisant exclusivement appel aux forces neuves de la radicalisation politique et sociale. C’est-à-dire en contournant les phénomènes de décantation et de clarification traversant une gauche que l’on avait sans nuances décrétée à bout de souffle et, plus encore, que l’on considérait acquise, pour l’essentiel de ses composantes, aux logiques d’accompagnement du libéral-capitalisme. « Si ce ne sont pas les héros anonymes du quotidien qui décident d’agir en sortant de l’ombre, qui le fera à leur place ? », s’interrogeaient ainsi Daniel Bensaïd et Olivier Besancenot dans ce qui constitua la « Bible » du NPA à ses origines, Prendre parti pour un socialisme du XXI° siècle (éditions des Mille et une nuits).

Je me souviens, à cet égard, qu’ayant avec mes camarades du courant Unir de l’ex-LCR, crié « casse-cou » aux tenants de ce bricolage aventureux, je m’entendis répondre, par l’un d’eux, devenu depuis l’une des principales figures de la Gauche anticapitaliste, que le « centre de gravité » du futur parti, serait « extérieur au mouvement ouvrier organisé ». C’était, si je ne m’abuse, en 2007, au lendemain d’une présidentielle que la gauche venait une nouvelle fois de perdre, où les courants porteurs d’une volonté de changer la gauche s’étaient présentés dans un état d’éparpillement lamentable, mais où Olivier Besancenot était parvenu à franchir de justesse la barre des… 4%. C’était manifestement suffisant pour nourrir une auto-intoxication collective, un bon score à l’échelle de l’extrême gauche se trouvant sans précautions assimilé à un soutien de masse à la ligne « révolutionnaire » que le candidat de la Ligue était censé porter.

Le futur refus de l’unité avec le Front de gauche n’était donc pas un simple pêché de jeunesse, la traduction d’un triomphalisme provoqué par les performances honnêtes des présidentielles de 2002 et 2007 (même si un réalisme de bon aloi eût dû amener à considérer que celles-ci n’entamaient nullement l’hégémonie du Parti socialiste sur la gauche), un emportement de circonstances guidé par les indices de popularité du postier de Neuilly. Il était le fruit d’une conception qui, théorisant l’existence de « deux gauches » fermées l’une à l’autre, prétendait faire l’économie de toute visée majoritaire à l’intérieur de la gauche. Dit autrement, d’une approche qui refusait obstinément de porter la bataille au cœur de la gauche, afin d’en soustraire la plus grande partie aux dérives mortifères du social-libéralisme.

Ce qui revenait à faire fi de cet enseignement, confirmé jusqu’à nos jours, selon lequel les recompositions et réorganisations de la gauche, si elles doivent toujours chercher à s’appuyer sur la force propulsive que peuvent leur donner les jeunes générations, tournent systématiquement court si elles ne reflètent pas les débats et l’expérience dont sont porteurs des secteurs clés de ce « mouvement ouvrier organisé » qu’il était de si bon ton de railler, de la part de celles et ceux qui portaient le projet originel du NPA. Bien sûr, mes éminents camarades de l’époque n’avaient pas tort quand ils identifiaient les errements continus d’une social-démocratie européenne ayant relayé l’essentiel des exigences d’un nouveau capitalisme mondialisé et financiarisé, lorsqu’ils critiquaient l’impuissance des courants antilibéraux à rouvrir jusqu’alors le chemin d’une alternative de rupture, ou quand ils dénonçaient l’apparition de tendances à l’adaptation au sein du syndicalisme. De là à en conclure que la « vieille gauche », dite aussi « gauche institutionnelle » dans la novlangue « npéiste », n’était plus qu’un astre mort, ou qu’il n’existait plus rien de vivant dans le Parti socialiste, il y avait un pas que la plus élémentaire prudence aurait dû les empêcher de franchir. Surtout que des voix, celles de Mélenchon, de Dolez, de Hamon, de Filoche, portaient par exemple un diagnostic assez voisin sur l’évolution de leur propre formation.

L’HISTOIRE IGNORÉE, LES ACQUIS DILAPIDÉS

De ce gauchisme fondateur - gauchisme sénile, puisque ne pouvant se justifier, au contraire de celui des organisations nées dans le prolongement de l’explosion soixante-huitarde, sur une expérience aussi enthousiasmante qu’une grève générale de dix millions de travailleurs conjuguée à un soulèvement de la jeunesse -, aura dérivé la conception singulière du parti né en janvier 2009.

Un parti censé s’émanciper de l’héritage du passé, à commencer par celui porté par feue la LCR, tout en se fixant l’objectif de représenter à lui seul l’anticapitalisme. Ce qui eut tôt fait de se confondre avec le regroupement des « révolutionnaires » dans ce même parti, sans par ailleurs que le moindre effort ait été consenti pour définir le dessein auquel pouvait bien renvoyer le terme.

Un parti postulant néanmoins, au mépris de toute réalité, à la représentation exclusive des intérêts des exploités et opprimés. Ici encore, Bensaïd et Besancenot avaient donné le ton : « Une minorité dicte aujourd’hui sa loi à la société. En France, elle a un syndicat pour défendre ses intérêts sociaux, le Medef, et un parti politique pour porter son programme, l’UMP. Avec le NPA, il existe désormais une formation qui porte un programme et des propositions politiques défendant jusqu’au bout les intérêts de la majorité. Un parti résolu à faire passer les droits de tous avant les privilèges de quelques-uns. »

Un parti qui, sur ces bases absurdes, considéra que le rassemblement de sensibilités hétéroclites, allant jusqu’aux débris de micro-groupes trotskysants et aux rescapés de l’aventure d’Action directe, suffisait à lui donner une assise de nature à bouleverser la donne politique hexagonale.

Un parti qui, tout entier occupé à célébrer ce qu’il pensait être une nouvelle méthode de construction, mit un point d’honneur à faire table rase du passé. Celui de la LCR en l’occurrence, organisation qui avait su rester vivante par sa capacité à être en prise sur le réel tout en synthétisant les principales leçons du passé, par son aptitude à apprécier les phénomènes à l’œuvre autour d’elle tout en recherchant le dialogue avec les forces qui s’en dégageaient, par son engagement résolu dans le combat pour l’unité chaque fois qu’il s’agissait de modifier le rapport des forces en faveur du monde du travail tout en sachant préserver son indépendance d’expression et d’action.

Un parti qui, se voulant ainsi libéré des acquis de l’expérience historique, tint par exemple pour quantité négligeable le respect de l’indépendance des organisations du mouvement social, à commencer par les syndicats, n’hésitant pas à prendre la posture du donneur de leçons, à confondre les rôles quitte à s’attirer les foudres de la CGT ou de Solidaires, voire pour une partie significative de ses membres à s’interroger sur l’opportunité de créer un « syndicat anticapitaliste » prenant la roue de la formation politique du même nom (et ce, au moment où l’union syndicale était une question déterminante pour les grandes batailles sociales qui débutaient contre le sarkozysme).

Un parti qui, tout à son souci de forcer les rythmes et d’asseoir une position qu’il croyait prééminente, bafoua ce qu’il restait de la tradition démocratique de la LCR : nous fûmes, avec les futurs fondateurs de Gauche unitaire, les premiers à subir ces purges dont s’avérèrent ensuite, à leur tour, victimes ceux qui les avaient précédemment acceptées ou organisées.

Tout était, au fond, dès le départ, réuni pour le désastre final. Pour que le NPA n’affiche que mépris pour ce premier reclassement que symbolisa le départ de Jean-Luc Mélenchon ou Marc Dolez du Parti socialiste, et que prolongea la création du Front de gauche par la convergence qui se réalisa entre le Parti communiste, le Parti de gauche et Gauche unitaire. Pour qu’il se soustrait systématiquement à toute suggestion d’alliance électorale, au moyen souvent de contre-propositions manœuvrières et sans consistance, tout juste destinées à donner le change (comme cette idée de « candidature du mouvement social » à la présidentielle de 2012, avancée par Besancenot pour contrer celle de Jean-Luc Mélenchon). Pour qu’il se dérobe sciemment à l’aspiration à l’unité sociale et politique à gauche, laquelle ne cessa pourtant de grandir face aux entreprises destructrices de la droite sarkozyenne. Pour qu’il ne cesse d’annoncer la trahison des autres composantes de la gauche, et tout particulièrement du Front de gauche, même lorsqu’il lui fallait reconnaître des points d’accord avec lui. Pour qu’à une démarche conquérante, il préfère les facilités de l’incantation révolutionnariste ou du propagandisme.

NÉCESSAIRE BILAN DE L’EXTRÊME GAUCHE

Quelque part, dans un pays où la tradition révolutionnaire fut l’une des plus marquantes du continent, l’effondrement du NPA signe la fin d’un cycle. Non la fin d’une structure, le parti de Besancenot et Poutou n’étant sans doute pas appelé à disparaître à brève échéance. Mais, incontestablement, l’achèvement d’une histoire, celle d’une extrême gauche telle que la grande grève de 1968, couplée à la radicalisation de la jeunesse à la même époque, l’avaient portée en lui permettant de devenir l’école politique de centaines de milliers de jeunes hommes et de jeunes femmes. Une extrême gauche que la LCR marqua fortement de son empreinte.

Son apport n’aura pas été négligeable, bien sûr. Elle fut ainsi à l’origine du renouveau des mobilisations et de la structuration de « nouveaux mouvements sociaux », grâce à son aptitude à saisir l’apport que pouvait être, au combat émancipateur, le mouvement de la jeunesse scolarisée, celui des femmes, celui des travailleurs immigrés, celui des homosexuels revendiquant le droit à l’indifférence, sans parler de celui des soldats exigeant de pouvoir s’organiser dans leurs casernes, etc. Elle occupa une place des plus déterminantes dans le renouvellement des formes et moyens du combat de classe, osant en particulier poser le problème nodal de la démocratie, dans la conduite des luttes sociales autant que dans le fonctionnement du syndicalisme. Dans sa variante « trotskyste », elle permit que fût rouvert, dans l’ensemble de la gauche, le débat sur la Révolution russe et son étouffement par le stalinisme, jouant un rôle actif pour que le mouvement ouvrier s’emparât de cet enjeu primordial que représentait alors les luttes pour les libertés politiques ou syndicales à l’Est de l’Europe. Elle joua un rôle moteur dans la compréhension du fait colonial, dans le soutien aux luttes de libération, dans le refus de la Françafrique. Elle occupa une place de première importance dans les riches confrontations, intellectuelles ou idéologiques, qui traversèrent le camp progressiste tout au long de la décennie soixante-dix.

En revanche, elle échoua, historiquement parlant, dans la mission politique qu’elle s’était assignée. Son erreur d’analyse initiale fut l’appréciation selon laquelle Mai 68 en France et l’aiguisement des luttes de classes à l’échelle de la planète constituaient des « répétitions » des révolutions à venir, sur le « modèle russe », comme 1905 avait annoncé l’écroulement de l’empire tsariste douze ans plus tard. Cela l’empêcha de s’extraire du schéma stratégique qui avait vu la victoire de l’insurrection d’Octobre 17. En l’attente de la rencontre des « masses » avec le programme révolutionnaire qu’elle pensait porter, elle ignora la réalité du mouvement populaire, la volonté par exemple de celui-ci de trouver dans le Programme commun de la gauche le débouché politique qui lui avait fait défaut en 1968. Elle ne sut, plus particulièrement, appréhender les aspirations à l’unité qui portaient à ce moment le salariat vers ses partis traditionnels. Elle n’apporta qu’une réponse tardive et insuffisamment audacieuse à l’attachement à la démocratie qui amenait l’immense majorité de la population à préférer le suffrage universel à ce qu’elle percevait du système des soviets.

De sorte qu’elle ne trouva à aucun moment le moyen de s’immerger en profondeur dans les processus à l’œuvre, afin d’y défendre sa propre conception de la majorité politique à conquérir comme du gouvernement à même de rompre avec le système et de conduire un vrai changement de la vie du plus grand nombre. Aujourd’hui encore, sans aménité mais avec un grand regret devant tant de temps perdu, je me remémore les sarcasmes et procès en opportunisme qui accompagnèrent la sortie de mon ouvrage, La République dans la tourmente, en 2003, aux éditions Syllepse. Je ne faisais pourtant qu’y analyser ce que tout le monde a, depuis, pu constater : au-delà de ses formes instituées, l’idée républicaine en France, telle que léguée par la Révolution française, a été à l’origine du mouvement ouvrier, et son héritage égalitaire a toujours servi de rempart face aux assauts de classes possédantes déterminées à délivrer le capital de toute entrave à sa domination.

N’ayant donc pas su, ou pas voulu de crainte de perdre son identité, poser la question du pouvoir en d’autres termes que l’attente d’une secousse révolutionnaire qui tardait de plus en plus à se manifester, l’extrême gauche se montra incapable de répondre efficacement à la dynamique de l’Union de la gauche, aux divisions qui finirent par affecter cette dernière et, in fine, à la trahison des espérances nées de l’élection de François Mitterrand en 1981. Petit à petit, elle finit par réduire son champ de vision à la construction « du » parti révolutionnaire, chaque formation suivant au demeurant son propre chemin pour y parvenir. Non, d’ailleurs, du parti théoriquement destiné à diriger la révolution, tel que théorisé en son temps par Lénine, mais de la structure appelée à attendre le changement des conditions objectives. L’objectif stratégique s’en rapetissa d’autant, de la conquête du pouvoir politique - ce qui représente, en principe, le but de toute force politique -, on finit par ne plus s’intéresser vraiment qu’à ce qui n’en est en principe que l’instrument : l’organisation.

Lorsque la contre-révolution libérale s’installa durablement sur la planète au détour des années 1980, lorsqu’avec la chute du Mur de Berlin tous les projets ayant structuré le combat pour une autre société entrèrent dans une crise profonde, lorsque l’idéal communiste fut dans la plupart des consciences assimilé à sa perversion totalitaire, lorsque l’essentiel de la social-démocratie en vint à s’adapter aux nouvelles exigences du capitalisme, la LCR mit à l’ordre du jour l’objectif d’un « parti large » visant à regrouper l’ensemble des forces et individus n’ayant pas renoncé à l’objectif de la transformation sociale. Cela dit, pour juste qu’ait été l’intention, force est de constater que cette visée n’était encore qu’un substitut au mouvement qui eût dû mener à la réflexion stratégique sans laquelle aucune alternative crédible ne peut voir le jour. Aussi, les intéressantes avancées incluses dans le manifeste À la gauche du possible, en 1991, n’eurent pas de suite. Pire, les élaborations programmatiques ultérieures, sur les questions relatives à la démocratie ou aux institutions notamment, se révélèrent toutes en retrait des intuitions positives du début de la décennie quatre-vingt-dix…

Ce qui n’est pas sans expliquer la suite. Lorsque les premières secousses affectèrent le nouvel ordre libéral et ouvrirent de nouvelles potentialités à la contestation du système, cette faille constitutive de l’extrême gauche, et de la LCR qui nous intéresse ici, conduisit paradoxalement à des replis en série. L’alliance avec Lutte ouvrière, mise en place à l’occasion des élections européennes de 1999 puis reconduite pour les régionales et les européennes de 2004, eut pour véritable fondement conceptuel une farouche volonté de « rompre » avec le reste de la gauche considéré comme un bloc. Je fus, à cette époque, littéralement atterré d’entendre des amis, pour lesquels j’avais la plus grande estime, m’expliquer doctement qu’il fallait faire à gauche ce que le Front national avait réussi à droite…

Que cette folle logique n’ait mené qu’à l’isolement et à de premiers désastres électoraux (en 2004, déjà), que la campagne unitaire du « non » de gauche ait en 2005 tracé la possibilité d’une autre voie n’y changea rigoureusement rien. Un triomphalisme totalement décalé de la réalité avait majoritairement emporté les esprits, la direction de la LCR pouvait s’employer à torpiller les tentatives de faire surgir une candidature rassembleuse à la présidentielle de 2007, l’aveuglement se trouvait ensuite conforté par le petit succès de Besancenot à ce même scrutin, les « révolutionnaires » étaient désormais considérés comme la seule alternative à gauche. La proclamation du Nouveau Parti anticapitaliste allait au bout de cette trajectoire en forme d’impasse mortelle. Elle consistait, au fond, à vouloir réussir l’impossible : devenir un parti « large » tout en se voulant « révolutionnaire » et en mettant un point d’honneur à saborder tous les ponts encore ouverts avec les autres composantes de la gauche.

UN DÉBAT D’IMPORTANCE… POUR AUJOURD’HUI

On me pardonnera la nature inévitablement schématique de cette analyse. Je ne pouvais prétendre, en une seule note, me livrer à un retour approfondi sur une si longue période de notre histoire politique. Néanmoins, le moment présent appelle un bilan soigneux du cycle dont est issu ce qu’il reste de la « gauche de la gauche ».

Pour la deuxième fois de l’histoire de la V° République, c’est par le scrutin présidentiel que la gauche est revenue aux affaires. C’est l’une des figures dominantes de la droite conservatrice européenne que le peuple a abattue. Le Front de gauche, parce qu’il alliait souci du rassemblement et détermination à porter le débat au cœur de la gauche, est parvenu à franchir la barre des 10% le 22 avril et, plus encore, à devenir la deuxième force de la gauche. L’électorat populaire n’en a pas moins offert, au Parti socialiste, la majorité absolue au Palais-Bourbon. Et ce, dans un contexte où les nuages s’amoncellent à l’horizon, avec une crise capitaliste susceptible de plonger l’humanité dans une nouvelle barbarie, avec un « parti du capital » qui n’a en rien renoncé à imposer ses vues aux nouveaux dirigeants français, et avec une droite qui se retrouve pour la première fois depuis la Libération sous l’influence de son extrême.

Faut-il dès lors persister à camper aux marges de la gauche, ou savoir renouer le dialogue avec ces millions d’hommes et de femmes qui ont à la fois chassé Nicolas Sarkozy et considéré qu’il convenait de donner à François Hollande les moyens de gouverner ? Se situer dans « l’opposition de gauche » au nouveau pouvoir au risque de devenir inaudible ou, au contraire, faire la démonstration de son utilité à la gauche en défendant les propositions d’urgence à même d’empêcher que la plus dévastatrice des désillusions succède aux attentes nées de la victoire du printemps ? Être dans la dénonciation ou l’annonce des trahisons futures du reste de la gauche, ou s’efforcer de faire de nouveau bouger les lignes en créant les conditions de rassemblements majoritaires propres à faire triompher le changement attendu par le plus grand nombre ? Se dérober encore et toujours au défi de la majorité politique à réunir, ou plutôt mettre au centre de la confrontation publique les conditions et les moyens d’aboutir demain à un gouvernement de gauche agissant résolument au service de ses mandants et de « l’humain d’abord » ? En d’autres termes, ânonner un catéchisme qui ne fait que minoriser chaque jour un peu plus ceux qui le professent, ou porter en direction de toute la gauche, du mouvement social, du peuple, une offre politique de nature à affronter vraiment les gigantesques enjeux de l’heure ?

Tel est le débat… Celui qu’il ne faut d’aucune manière renoncer à mener avec le NPA... Celui au service duquel j’espère ardemment que nos camarades de la Gauche anticapitaliste, les derniers à s’être écartés d’une dérive accablante, voudront bien nous rejoindre…


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message