Rapport sénatorial unanime contre l’évasion fiscale

lundi 6 août 2012.
 

La Commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales a auditionné d’avril à juillet 130 personnes, dont 90 au Sénat, et 40 lors de déplacements en Suisse, en Belgique, à Londres et à Jersey.

Parmi les personnes entendues : les services de Bercy, la Société générale et BNP Paribas, les groupes LVMH, Total, Saint-Gobain…, des ONG, des syndicalistes, des journalistes d’investigation, des avocats fiscalistes, mais également Laurence Parisot, la patronne du Medef, et les tennismen Yannick Noah et Guy Forget.

1) Précisions sur cette commission sénatoriale

Billets d’Afrique : Plusieurs représentants de la plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires ont été auditionnés dans le cadre de la Commission d’enquête sur l’évasion fiscale du Sénat. Quelle est cette commission, comment a-t’elle été crée, comment fonctionne-t’elle ? Qui y a été convoqué ?

Mathilde Dupré : La Commission a été mise en place à la demande de sénateurs communistes. Elle a démarré ses travaux début 2012 pour une durée d’environ 5 mois. Ses prérogatives lui permettent de convoquer des gens et de les obliger à répondre à un certain nombre de questions sous serment.

Elle est présidée par un sénateur UMP, M. Dominati, et le rapporteur est un communiste, M . Bocquet. Ses objectifs sont d’évaluer le problème de l’évasion fiscale en France, de comprendre quels mécanismes permettent le pillage des recettes publiques pour la France et éventuellement de faire un certain nombre de recommandations pour les années à venir.

Dès le démarrage, on voit un différence entre les élus de la majorité qui défendent le bilan du gouvernement sur ces questions depuis le début de la crise financière, qui disent qu’il faut simplement mieux appliquer les lois, et les élus communistes, qui eux font un bilan bien plus sévère et critique et qui pensent qu’il existe un certain nombre de pistes alternatives qui ont été assez peu regardées jusque là.

BdAf :Quels type d’acteurs sont auditionnés par cette commission ? Et quels débouchés peut-il y avoir en justice éventuellement ?

Il est rare d’avoir autant d’auditions sur ce sujet. Tous les services spécialisés du ministère des Finances ont été auditionnés, ainsi que des personnes de l’OCDE, le délégué à la lutte contre les paradis fiscaux, M. D’Aubert (UMP), des représentants de la société civile, des chercheurs, des journalistes, ainsi que des patrons, notamment Baudoin Prot de la BNP Paribas et M. Oudéa de la Société Générale. Donc toutes les différentes perspectives sur le sujet sont représentées.

Les questions posées sont très précises donc pour la première fois, on devrait avoir dans un rapport les chiffres précis sur les résultats de l’action du gouvernement depuis 2009. De la part des représentants des banques, on a commencé à avoir des réponses à certaines questions qui fâchent. Notamment, pourquoi une telle concentration de filiales des banques au Luxembourg, à Jersey, aux Îles Caïmans, etc.

Pour lire la suite de cet interview de Martine Dupré, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire :

http://survie.org/francafrique/para...

2) Europe : Evasion fiscale de 1000 milliards d’euros, soit environ cinq fois le budget total de l’UE cachés grâce à l’extrême sophistication des moyens mis en œuvre

Durant les travaux de la commission, le rapporteur, Eric Bocquet, sénateur communiste du Nord, a tenu un blog. Il présente mardi 24 juillet les conclusions de son rapport. Interview.

Qu’est-ce qui vous a le plus frappé au cours des auditions de la Commission ?

- Ce qui m’a le plus frappé, ce sont les sommes que représente l’évasion fiscale. Selon les estimations, ce sont entre 40 et 50 milliards qui manqueraient au budget de l’Etat du fait des phénomènes d’évasion et d’optimisation. Sur un budget total de 275 milliards d’euros, ce ne sont pas des sommes négligeables.

A l’échelle de l’Union européenne, une ONG britannique, Tax Research, estime la perte fiscale de l’ensemble des pays européens à 1000 milliards d’euros, soit environ cinq fois le budget total de l’UE. C’est dire l’ampleur du phénomène. J’ai également été choqué de découvrir, à Jersey, en Grande-Bretagne et en Suisse, la très grande proximité entre le pouvoir financier et le pouvoir politique local. C’est un mélange des genres qui interpelle. Mais j’ai aussi découvert l’extrême sophistication des moyens mis en œuvre.

Lesquels par exemple ?

- On connaît tous l’image d’Epinal de la valise de billets que l’on transporte en Suisse. Cela existe encore, mais il y a beaucoup d’autres procédés d’une bien plus grande complexité. Moi qui ne suis pas issu de la finance, je vais passer pour un candide… Mais j’ai découvert par exemple le fonctionnement des trusts à Jersey, qui permettent à une personne de faire gérer à une entité juridique, via un prête-nom, ses biens, ses tableaux, ses lingots d’or, ses domaines, ses chevaux… Et d’échapper ainsi à tout contrôle – car il n’y a aucune transparence sur l’identité de celui qui met en place le trust -, mais aussi à toute fiscalité.

C’est un procédé d’opacification totale. Il y a bien sûr aussi les comptes non déclarés en Suisse, où règne le secret bancaire, et beaucoup d’autres montages très complexes proposés par les banques pour optimiser l’impôt. J’ai découvert toute l’ingénierie mise en œuvre derrière tout cela.

L’audition de Yannick Noah et de Guy Forget a été très médiatisée. Qu’en retenez-vous ?

- Guy Forget est toujours installé à Montreux, en Suisse, et Yannick Noah a vécu un moment en Suisse avant de rentrer en France. Sans cautionner ces pratiques, ce n’est que la partie visible de l’iceberg, dans la masse que représente au total l’évasion fiscale. Je pense que pour les sportifs de haut niveau, il faudrait imaginer une fiscalité particulière, avec une très forte imposition au cours des années de pic de leur carrière, où leurs gains sont les plus élevés, puis un régime qui puisse les aider dans leur reconversion et leur fin de carrière.

Mais le cas des sportifs n’est vraiment pas celui qui m’a le plus indigné. J’ai été beaucoup plus choqué par l’attitude d’un patron de banque qui n’a pas dit la vérité sur la présence de sa banque dans des paradis fiscaux, alors que nous avons reçu des éléments qui prouvent le contraire…

Quelles sont les principales préconisations de votre rapport ?

- Nous avons fait 59 propositions, parmi lesquelles la création d’un Haut-Commissariat à la protection des intérêts financiers publics. Cet organe, qui permettrait de coordonner les différents services luttant contre l’évasion fiscale, et surtout d’inscrire ces actions dans la durée, pourrait être directement rattaché au Premier ministre.

Il bénéficierait de l’expertise de très haut niveau nécessaire pour faire face à la sophistication des procédés. Une autre idée serait de se doter d’un outil statistique reconnu pour mesurer l’ampleur de ces phénomènes, car pour l’instant nous ne travaillons que sur des estimations et des extrapolations.

Un tel outil comptable fait cruellement défaut en France, alors que les Etats-Unis l’ont mis en place dès les années 60. Nous pourrions également envisager d’imposer aux grands groupes multinationaux la présentation d’une comptabilité pays par pays, voire projet par projet, pour avoir une photographie fidèle de l’activité de l’entreprise. Et qu’on ne puisse plus prétendre perdre de l’argent en France, alors qu’on en gagne beaucoup ailleurs.

Et que proposez-vous au niveau européen ?

- Une réflexion est engagée au niveau européen pour mettre en place une assiette commune d’imposition sur les sociétés (ACCIS). Car dès lors qu’il y a disparité, il y a concurrence, et dans un espace qui autorise la libre circulation des capitaux, on a là tous les ressorts de l’évasion fiscale potentielle. Il faut agir là-dessus.

Il faut aussi régler le problème posé par deux pays, le Luxembourg et l’Autriche, qui s’opposent à la transmission automatique d’informations entre les administrations fiscales des pays de l’UE. Cela bloque tout, car en matière de fiscalité, aucune décision ne peut être prise sans unanimité. On pourrait enfin imaginer de créer un fichier européen des comptes bancaires, comme il en existe déjà un en France. C’est un outil de transparence. Il y aura des résistances, mais si on veut vraiment s’attaquer au sujet, il va falloir convaincre, et sinon faire pression.

Certaines mesures ont-elles été écartées ?

- L’idée de lier la nationalité et la fiscalité, c’est-à-dire qu’un ressortissant français, quel que soit son lieu de résidence, paie ses impôts en France, a surgi pendant la campagne présidentielle. Les Etats-Unis l’ont fait. Notre rapport demande qu’une réflexion soit engagée sur cette question, qui demande à être creusée.

Avez-vous prévu un volet sanctions ?

- Nous proposons d’augmenter le délai de prescription des faits de fraude fiscale, qui passerait de 10 à 15 ans.

Quelles suites espérez-vous après la présentation de ce rapport ?

- Je rappelle qu’il a été voté à l’unanimité par une commission composée de 21 sénateurs de tous bords. Même si nous avons des sensibilités politiques différentes [la commission était présidée par le sénateur UMP de Paris Philippe Dominati, NDLR], il n’y a eu aucun achoppement particulier, ni sur le constat, si sur les propositions.

Mais il ne faut pas que ce sujet reste une affaire de spécialistes financiers. Pour que les politiques bougent, il faut que les citoyens s’en emparent. Si on s’arrête à ce rapport, on n’aura rien réglé. Dès la rentrée, nous prendrons contact avec les ministères concernés pour que certaines de nos mesures soient mises en place très rapidement. Sinon, elle pourront déboucher sur des propositions de loi. Ce rapport est une boîte à outils que nous souhaitons faire vivre dans la durée.

Entretien réalisé par Par Lisa Vaturi

Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/econ...

3) L’évasion fiscale, organisée de manière quasi industrielle, prive l’État de substantielles recettes ( Judith Bernard. metteur en scène)

Hier soir, j’ai regardé la dernière émission d’Arrêt sur images sur Internet. J’y suis très fidèle  : c’est de là que je tiens l’essentiel de ce que je comprends de «  l’actualité  » et des médias, puisque, à chaque fois, j’y apprends et les faits – dans une complexité plus longuement explorée que n’importe où ailleurs – et la manière dont les médias les ont (ou pas) traités  ; c’est l’école que je me suis choisie pour apprendre le réel d’aujourd’hui  ; et c’est aussi, oui, un site pour lequel je travaille dès que mon activisme théâtral, professoral, citoyen, existentiel m’en laisse le loisir (très peu, ces derniers temps).

La dernière émission de Daniel Schneidermann était consacrée à cette révélation dont je n’ai trouvé aucun écho ailleurs  : un scoop en forme de chiffre exorbitant, 600 milliards d’euros. C’est la somme que représente l’évasion fiscale française. On doit cette révélation à Antoine Peillon, un journaliste qui a publié les résultats de son enquête sous la forme d’un livre sorti il y a un mois dans l’indifférence générale. Invité sur le plateau de l’émission, il décrit les mécanismes de cette évasion organisée de manière quasi industrielle, qui prive chaque année l’État de substantielles recettes, et il répond avec rigueur aux interrogations effarées qu’on lui soumet. Que font la police, les instances de surveillance et de contrôle  ? Elles font leur travail, dit-il, font remonter les chiffres, les numéros de comptes, les noms des personnes concernées  ; tout ça atterrit au sommet de la pyramide judiciaire, et là tout s’arrête  : le parquet de Paris ne poursuit pas.

Pourquoi  ? Peut-être que des personnalités politiques en haut lieu ne souhaitent pas que cela aille plus loin. Les mêmes qui, «  responsables  », font campagne sur la dette publique,
la manière de la résorber, en demandant aux citoyens «  responsables  » de se serrer la ceinture en consentant à toujours plus d’austérité  ?

Note personnelle  : vérifier la définition de la «  responsabilité  » dans le dictionnaire.

Judith Bernard,

4) Évasion fiscale : Éric Bocquet dénonce "l’horreur économique"

Le sénateur communiste Eric Bocquet, rapporteur d’une commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux, a suggéré mardi au gouvernement la création d’un Haut-commissariat pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale évaluée annuellement en France à plus de 50 milliards d’euros.

Les sénateurs avouent avoir eu le plus grand mal à chiffrer l’évasion fiscale. Si le sénateur PS Yannick Vaugrenard, membre de la commission a évoqué la fourchette de 50 à 60 milliards d’euros, Eric Bocquet a, devant la presse, parlé d’"un risque fiscal compris entre 30 et 36 milliards d’euros", précisant que "cette évaluation ne compren(ait) pas une série de risques". "Si bien, ajoute-t-il, que la limite supérieure n’est pas définissable : est-ce 50 milliards, 80 milliards ?"

"Il y a donc une impérieuse nécessité à faire cesser cette fraude fiscale", ont souligné les sénateurs au cours d’une conférence de presse rendant compte de cinq mois de travaux de leur commission dont le rapport a été adopté à l’unanimité. "C’est un axe politique majeur sur lequel le gouvernement va devoir travailler à la rentrée", ont estimé les membres de la commission qui proposent une cinquantaine de propositions pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale. Pour le sénateur communiste du Nord, Eric Bocquet, un "Haut-commissariat à la protection des intérêts financiers publics" doit être "la pierre angulaire" d’une politique efficace contre l’évasion fiscale. Placée sous l’autorité directe du Premier ministre, cette autorité devrait bien sûr être dotée d’un "outil statistique" solide, dispositif qui fait "cruellement défaut actuellement", a insisté le sénateur.

Eric Bocquet a dénoncé en particulier "la misère des évaluations" ainsi que l’existence d’une "véritable ingénierie de la fiscalité" qui rencontre "une culture de la faille secrétée par un système économique de la performance financière". Le sénateur communiste a fait part de son "effarement" devant "l’horreur économique" recelée par la fraude fiscale, de son "malaise" aussi : "quel sentiment voulez-vous que l’on éprouve à constater que des jeunes gens intelligents consacrent toute leur activité à inventer des moyens de jouer avec les lois ?"

Eric Bocquet a accusé une "Europe trop absente" des voies de lutte engagées contre la fraude fiscale par l’OCDE et le GAFI (Groupe d’action financière) , car elle est "paralysée par les concurrences fiscales qu’elle abrite en son sein" et que c’est sur son territoire que résident "les paradis fiscaux les plus puissants du monde". "La politique franco-française de lutte contre l’évasion fiscale porte la marque de ces enlisements", a-t-il aussi remarqué. Aussi, les sénateurs veulent-ils, parmi leurs propositions, "intégrer la fraude et l’évasion fiscales au débat parlementaire" et procéder à une "évaluation régulière" des différents dispositifs qui seront mis en place.

Ils proposent aussi tout une série de mesures pour "valoriser la citoyenneté fiscale" comme le renforcement des prérogatives des institutions représentatives du personnel en matière de prévention de la fraude fiscale ou pour amplifier la "force de frappe" de l’administration notamment en créant un corps interministériel d’"informaticiens-enquêteurs".

La Commission d’enquête, mise en place 
sur demande du groupe CRC (communiste) en janvier dernier, a auditionné d’avril à juillet 130 personnes, dont 90 au Sénat, et 40 lors de déplacements en Suisse, en Belgique, à Londres et à Jersey. Parmi les personnes entendues : les services de Bercy, la Société générale et BNP Paribas, les groupes LVMH, Total, Saint-Gobain…, des ONG, des syndicalistes, des journalistes d’investigation, des avocats fiscalistes, mais également Laurence Parisot et les tennismen Yannick Noah et Guy Forget.


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