1er décembre 1944 Massacre de Tirailleurs sénégalais à Thiaroye

mercredi 6 décembre 2023.
 

C) Tirailleurs sénégalais. La patrie bien peu reconnaissante

La France ne s’est pas montrée jusqu’ici à la hauteur du sacrifice de ces milliers de soldats africains.

Mardi 20 décembre, François Hollande recevait en visite officielle le président sénégalais, Macky Sall. Sans doute à la recherche d’un geste de courtoisie diplomatique, un conseiller lui aura alors déniché une pétition en ligne ayant déjà reçu plus de 60 000 signatures pour exiger la naturalisation de ces anciens combattants pour la France que l’on appelle « tirailleurs sénégalais ». Lancée par une élue socialiste de Bondy, Aïssata Seck, elle-même descendante de tirailleur, la pétition compte les signatures de parlementaires, d’artistes, d’intellectuels… La belle aubaine  : François Hollande profitera de la visite de son homologue de Dakar pour annoncer dans sa grande magnanimité avoir « demandé au ministre de l’Intérieur de s’assurer que les dossiers de naturalisation des tirailleurs sénégalais qui en font la demande soient examinés avec rapidité et bienveillance ».

Pourtant, les tirailleurs sénégalais n’étaient pas tous… sénégalais. « Ils avaient ce nom générique de tirailleurs sénégalais car le Sénégal était à l’époque la capitale de l’Empire colonial français en Afrique », nous rappelle Karfa Diallo, fondateur et directeur de l’association Mémoires et Partages, militant bien connu des Bordelais pour être celui qui a poussé sa ville à reconnaître son passé négrier, et fils de tirailleur. Ils pouvaient en fait venir aussi bien du Bénin, de Haute-Volta (aujourd’hui Burkina Faso), de Côte d’Ivoire, du Mali ou même de Madagascar. Le Sénégal n’était pour beaucoup que le lieu de leur recrutement et de leur expédition vers les guerres mondiales. Au front, ce sont les premières lignes, les régiments suicides

Cet enrôlement pouvait avoir plusieurs modalités. Karfa Diallo nous les rappelle  : « La France ayant définitivement aboli l’esclavage en 1848, celui-ci perdurait tout de même en Afrique. Les Français ont mis en place des “villages de liberté”. Des villages dans lesquels on promettait aux esclaves qui s’enfuyaient des domaines où ils étaient maintenus en esclavage et se réfugiaient dans ces “villages liberté” qu’ils seraient affranchis. Mais, en échange, beaucoup d’entre eux sont enrôlés et envoyés à la guerre. » D’autres doivent leur enrôlement à Blaise Diagne, premier député africain à l’Assemblée nationale, député du Sénégal durant la Première Guerre mondiale, qui considérait que les indigènes payaient ainsi « l’impôt du sang » en échange des « bienfaits » que la puissance coloniale leur accordait. Diagne deviendra plus tard sous-secrétaire d’État aux Colonies dans les gouvernements de Pierre Laval. L’histoire des tirailleurs sénégalais s’étend ainsi de la guerre de 1870 contre la Prusse aux guerres coloniales d’Indochine, d’Algérie et de Madagascar, en passant par la Première Guerre mondiale durant laquelle leur emploi est systématisé et la Seconde où leur nombre explose. Au front, ce sont les premières lignes, les régiments suicides. « N’ayant pas la même couleur de peau, n’ayant pas les mêmes présomptions d’intelligence ou même d’humanité, n’ayant pas les mêmes formations, l’armée les envoyait là où il fallait prendre le plus de risque possible », résume Karfa Diallo.

Mais, hors des champs de bataille, les tirailleurs sénégalais ne sont pas mieux traités par la puissance coloniale. Deux histoires le démontrent. Celle, d’abord, de la plus grande catastrophe maritime française. En 1920, un navire, l’Afrique, quitte Bordeaux pour le Sénégal avec à son bord 600 passagers, parmi lesquels autour de 200 tirailleurs sénégalais qui reviennent de la guerre. Ils ont réussi à échapper à la mort dans l’enfer des tranchées et rentrent chez eux. Sauf qu’au large des Sables-d’Olonne, le bateau fait naufrage  ; 178 tirailleurs y perdent la vie. Il y aura des controverses juridiques pour l’indemnisation des familles. Mais finalement seuls les passagers blancs seront indemnisés. Les tirailleurs passent par pertes et profits. Aujourd’hui, Karfa Diallo milite pour que ces « corps qui gisent encore au fond de l’océan sans aucune forme de reconnaissance soient enfin reconnus morts pour la France ».

L’autre événement survient à Thiaroye, un camp dans la périphérie de Dakar. C’est là qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale des tirailleurs, anciens prisonniers de guerre, avaient été ramenés, principalement pour « blanchir » l’image des troupes françaises en métropole. Les soldats africains réclament le paiement de leur solde promise depuis des mois. Le commandement refuse. Une mutinerie éclate le 1er décembre 1944. L’armée française commet un massacre. Le premier bilan officiel fait état de 35 morts, bilan porté à 70 un peu plus tard. C’est pourtant le premier chiffre que reconnaît encore aujourd’hui François Hollande. De cette histoire, Ousmane Sembène tirera son film Camp de Thiaroye, en 1988.

Une fois démobilisés, peu de tirailleurs restaient dans l’Hexagone. Tant mieux pour l’État qui voit là la possibilité de s’exonérer de payer à ses anciens soldats la juste indemnisation à laquelle ils ont pourtant droit. « L’État français ne s’est jamais manifesté pour leur permettre de faire valoir ces droits, dénonce Karfa Diallo. Pour en bénéficier, il fallait en faire la demande. Et pour en faire la demande, il fallait être en métropole. » Seuls ceux qui pouvaient se permettre de venir en France et qui savaient s’y retrouver dans le dédale administratif ont finalement pu percevoir leur dû. Karfa Diallo a reçu l’engagement pris par François Hollande avec « circonspection et prudence ». « Cinq mois avant son départ, il y a cette promesse, dans un flou total, sans périmètre défini, sans qu’aucun texte ne soit voté », constate-t-il dubitatif. Mais sa détermination n’est pas remise en cause. « Avant que François Hollande ne quitte le pouvoir, nous allons recenser toutes les personnes concernées. Elles ne sont plus qu’un petit millier. Et avec des avocats, nous allons déposer leurs dossiers. » Voila pour le dossier indemnisation. Mais il restera un autre travail à accomplir  : donner aux tirailleurs leur juste place dans l’histoire de la France.

Adrien Rouchaleou, L’Humanité


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