Espagne : Deux mois de grève chez les gueules noires

vendredi 27 juillet 2012.
 

Confrontés à des coupes sombres dans les aides publiques destinées à soutenir leur industrie, les mineurs de charbon espagnols sont en grève depuis deux mois. Malgré la violence de la répression, la popularité de leur lutte ne se dément pas.

Même de nuit, leur entrée dans Madrid a eu des airs de triomphe. Le 10 juillet, tard, les « gueules noires » espagnoles, en grève depuis deux mois, ont rallié la destination de leur Marche noire. Fort d’un soutien populaire qui ne se dément pas, malgré une propagande massive dont les échos se font entendre jusque dans les rares médias français qui abordent le sujet, les mineurs d’outre-Pyrénées sont en grève depuis deux mois. L’UGT et les CCOO (Commissions ouvrières, proches de Izquierda unida) se retrouvent unies. Les mineurs observent à 100 % le mot d’ordre unitaire de grève. C’est un mouvement exemplaire à la fois dans ses raisons : le refus de l’austérité imposée par Bruxelles, et dans sa forme. Il faut noter que l’arrivée de la marcha negra des mineurs a coïncidé avec l’adoption par les cortes, le parlement espagnol, d’un plan d’austérité de 100 milliards d’euros.

C’est dans ce cadre précis que se déroule la lutte des mineurs et ce cadre explique aussi la popularité de leur grève. En fonction des directives de l’Union européenne sur la libéralisation de tous les marchés, les états européens doivent cesser leurs aides à différents secteurs industriels, pour maintenir la « concurrence libre et non faussée ». En conséquence directe, les gouvernements espagnols Zappatero puis Rajoy aujourd’hui s’attellent à couper les vivres à l’industrie minière du charbon, très importante dans les Asturies, la région nord-est de l’Espagne, et le Léon. L’état espagnol diminue de 60 % le montant de ses aides à l’industrie du charbon. Après des coupes de 300 millions d’euros l’an passé, ce sont 111 millions qui sont encore retranchés aux aides publiques en 2012. La fermeture des mines de charbon, programmée pour 2018, pourrait donc intervenir plus tôt, condamnant les 8 000 mineurs encore en activité et les quelque 30 000 salariés dont l’activité dépend des charbonnages.

C’est donc toute la population asturienne qui s’implique dans la lutte. Mardi 19 juin, les femmes de mineurs se sont rendues au sénat espagnol pour faire entendre leurs voix. Elles ont été reçues... avec des coups. Le pouvoir a tenté de leur interdire la parole. Elles ont été évacuées par la force de la chambre haute du parlement de Madrid. Pourtant, comme elles le scandaient : « Nous sommes des mineurs, pas des terroristes ». Le bras de fer semble parti pour durer. Et c’est bien l’avenir de toute une région qui est en jeu.

Rajoy dans les pas de Thatcher

La brutalité et l’accélération du processus de casse de l’industrie charbonnière a entraîné une vive réaction des mineurs asturiens qui ont été depuis rejoints dans la lutte par leurs camarades de Castille et Léon mais aussi d’Aragon, autant de hauts lieux des luttes ouvrières hispaniques. L’affrontement de classe est violent, les mineurs rendant coup pour coup à la répression. Il ne se passe pas une semaine sans que l’on dénombre des blessés. Le pic de violence a été atteint mercredi 11 juillet à Madrid. Les affrontements, en marge de la grande manifestation, ont fait près de 80 blessés. Rajoy semble vouloir, à la manière de Thatcher avec ses propres mineurs en 1984, casser les reins du mouvement ouvrier pour affirmer son pouvoir dans un pays en proie à de vives tensions économiques et sociales.

Plus tôt, dans la nuit du lundi 9 au mardi 10 juillet, les Asturies ont été le lieu de scènes de guerre. Le village de La Pola de Lena, haut lieu de la lutte minière, a connu l’irruption de la Guardia Civil, de triste mémoire espagnole. Sur les réseaux sociaux, une vidéo circule, qui est sans appel : ce sont bien des tirs à balles réelles que l’on entend, auxquels vont répondre des barricades. Ces incidents interviennaient au moment même où les mineurs rassemblés dans la Marcha negra arrivent à Madrid. La manœuvre du gouvernement de droite dirigé par Rajoy est limpide : frapper les familles pendant que les mineurs sont loin, les détourner ces derniers de leurs objectifs.

C’est d’autant plus essentiel pour les dirigeants du Partido Popular, la droite dure héritière du franquisme, que, malgré une propagande éhontée, la popularité de la lutte des mineurs ne se dément pas. Du coup, il faut vraiment tuer cette lutte populaire et de classe. Toute ressemblance avec le conflit des mineurs britanniques contre Margaret Thatcher n’est pas fortuite. Encore moins due au hasard. A toutes fins utiles, puisque bon nombre d’entre-vous vont être en vacances, je vous suggère, si ce n’est déjà fait, de lire GB84 de David Piece sur le sujet. Vous verrez, sous couvert de (un peu de) fiction, que les conservateurs se sentent en guerre avec la classe ouvrière et qu’ils sont prêts, pour parvenir à leur fin, à utiliser des méthodes militaires.

Derrière le conflit des mineurs, un affrontement de classe

Le conflit des mineurs espagnols est marqué par une répression extrêmement brutale. Les affrontements à Madrid dans la journée du mercredi 11 juillet se sont soldés par près de 80 blessés et pas loin de 10 arrestations. Sur twitter, on pouvait lire cette accusation d’une petite fille de mineurs en direction de la police : « Ils nous ont attaqués ! ». Les forces de l’ordre, elles mêmes, confirment : « Suppressions de droits syndicaux, quotas d’arrestations illégales à respecter, protocoles et uniformes inspirés de l’armée… » : Le premier syndicat de policiers espagnols – le Syndicat unifié de la police – dénonce une tentative de militarisation de leurs missions et de leur corporation. Son secrétaire général exprime également son soutien au mouvement des indignés... C’est que, derrière le conflit des « gueules noires », se trame une épreuve de force entre le gouvernement conservateur et le mouvement social.

L’adoption d’un plan d’austérité d’un montant de 100 milliards d’euros par le parlement espagnol le 9 juillet va entraîner des coupes sombres dans les budgets sociaux, les services publics, les industries où l’état central détient encore des participations. C’est une accélération sans précédent de l’intégration de l’Espagne dans une Europe ultra-libérale dessinée par la Banque Centrale Européenne et son bras politique, la Commission Européenne. Ces mesures, très impopulaires, sont en capacité de soulever un pays où la contestation agissante est bien plus répandue que dans notre bel hexagone.

A l’été 2011, j’ai passé une quinzaine de jours dans le nord de ce pays. Outre que j’ai noté un nombre incroyable d’inscriptions politiques sur les murs, j’ai croisé à plusieurs reprises, en plein mois d’août, des rassemblements d’indignés. Les centrales syndicales majeures, UGT et Commissiones obreras (CcOo) y sont fortes et disposent d’une audience large. L’Espagne, c’est enfin le pays de l’anarcho-syndicalisme de masse. Même si la CNT n’est plus aussi puissante qu’elle l’était dans les années 30, avec plus d’un million de membres, elle garde encore son impact au sein de la classe ouvrière consciente. Dans ce contexte, pour la droite au pouvoir à Madrid, casser les reins des mineurs a une vocation politique claire. Si la réaction parvient à défaire cette corporation hautement symbolique, ce serait un message définitif envoyé à l’ensemble des forces de progrès hispaniques.

Les Asturies, centre de la grève des mineurs

La région des Asturies, au nord de l’Espagne, constitue le cœur du conflit qui oppose les mineurs au gouvernement central espagnol. C’est là que l’exploitation charbonnière est encore la plus dense. C’est aussi un haut lieu de lutte ouvrière, y compris la plus dure.

En 1934, deux ans avant l’élection du Frente Popular, une grève insurrectionnelle a marqué les Asturies. C’est à cette époque qu’apparaît le sigle UHP pour Unios Hermanos Proletarios (« Unissez-vous frères prolétaires »). Ce sigle, qui revient en vogue dans son berceau, constituait un appel à l’unité, qui sera suivi d’actes. Le mouvement ouvrier espagnol des années 30, profondément divisé entre UGT (centrale qui réunissait communistes et socialistes) et CNT (anarcho-syndicalistes), pour les syndicats ; PSOE (social-démocrate), PCE (communistes) et FAI (fédération anarchiste espagnole), se retrouvera au coude à coude, derrière les barricades, pour se défendre face aux agressions de la droite réactionnaire appuyée par l’armée et la police.

Cette insurrection est parfois appelée la « Commune espagnole » ou la « Révolution d’octobre » puisqu’elle culmine en octobre 1934 lorsque l’armée rouge des mineurs contrôle un territoire de quelques 1 000 km² autour d’Oviedo et au sud de cette ville. L’insurrection est matée dans le sang par les troupes d’Afrique commandées par Franco. La répression ordonnée par le gouvernement est terrible : 1 000 morts et 20 000 prisonniers.

Nathanael UHL

Vendredi 13 Juillet 2012


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message