Changer la nature du rapport des citoyens à la politique

lundi 23 juillet 2012.
 

Pour la première fois à gauche du PS, les résultats sont moins bons aux législatives qu’à la présidentielle. Ces législatives sont apparues comme la confirmation de la présidentielle sans aucun autre enjeu. Ce n’est pas dû à tel ou tel fait mineur, mais à la dynamique propre au fonctionnement normal des institutions.

Faisons un détour par ce que disent des abstentionnistes  : « Ça ne sert à rien, de toute façon, on ne nous écoute pas. » La dénonciation des promesses non tenues ne fait pas le tour du problème. L’appel à permettre à une vraie gauche de faire pression sur le PS est inopérant  : le PC a essayé durant soixante ans, même quand il faisait 21% des voix et le PS, 16%.

N’y a-t-il pas chez les gens, en particulier chez les générations qui n’ont pas connu les périodes où l’État était contraint d’enregistrer des victoires sociales, le sentiment que, face aux marchés, la vie institutionnelle ne leur répond pas  ? On dira que les mêmes ne voient pas d’autres voies que celle de la délégation de pouvoir. Mais n’y a-t-il jamais rien de contradictoire dans un phénomène  ? Le système flatte les comportements régressifs et ne permet pas aux forces transformatrices d’être crédibles. Se réfugier dans l’ombre d’un grand personnage va de pair avec le sentiment de sa petitesse et un certain renoncement. Peut-on se considérer capable de participer aux décisions si on se soumet aux logiques présidentielles  ? Peut-on considérer que répondre aux besoins est le levier du développement de la société et de l’économie si l’on se considère soi-même comme un sujet mineur  ?

On ne peut dissocier les acquis de la Libération d’une haute opinion de soi liée à la Résistance. Une conception délégataire de la politique contredit toute conscience de sa capacité personnelle à participer. On votera de moins en moins pour une gauche radicale si cela n’exprime pas un processus d’appropriation de la politique et de pouvoirs. Pouvoirs sur les leviers de l’économie et sur le fonctionnement de l’État. Ce n’est que sur de tels axes que se fait la distinction entre adaptation au capitalisme et rupture. Au risque de subir le « vote utile ».

Toute perspective est rendue floue par un écart entre les aspirations des 53% qui jugent inamendable le capitalisme et une radicalité insuffisante. Notre discours répond-il à ce qui existe en profondeur mais ne peut s’expliciter sans organisation collective  ? Les grands rassemblements du Front de gauche ont porté l’envahissement de l’espace public, l’action partagée comme expression d’une volonté d’appropriation de la politique. « Insurrection civique », « révolution citoyenne », « Prenez le pouvoir » ont besoin d’être concrétisés par des arguments, des propositions de transformations structurelles et des actes qui dessinent une cohérence. Au risque d’être incantatoire. L’ouverture d’un processus n’est pas du « presque ça ». C’est faire toucher du doigt au quotidien une visée qui nous sort de l’horizon du capitalisme, même s’il faut du temps pour aller vers elle.

Faut-il attendre maintenant des mesures du gouvernement et les critiquer  ? L’objectif n’est-il pas plutôt de favoriser l’émergence d’un mouvement populaire de type nouveau  ? De là découle une question  : peut-il y avoir un projet politique commun à une majorité de citoyens si ceux qui participent à la vie syndicale ou associative n’y participent pas en tant que tels  ? Peut-il y avoir deux classes de citoyenneté  ? Cela implique un changement de nature des luttes  : elles ont besoin d’inclure des transformations de structures, à l’image des Fralib.

La dissociation du social et du politique conduit le social à se limiter à un rôle de réclamation, donc d’adaptation, le nécessaire étant au-delà d’un horizon jamais contesté. Ainsi, tout ce qui est de l’ordre de la structure de la société et de son fonctionnement est hors champ des luttes. Et le politique, pour être concret, répète le social et y ajoute la prise de pouvoir.

Mais cette prise de pouvoir est perçue comme lui étant réservée à lui seul. Le mouvement populaire est amputé de deux côtés  : le social s’autolimite et le politique, pour compenser d’apparaître au-dessus des citoyens et pour être « près des gens » et ne pas être inaudible, n’ose pas interroger, lui non plus, les structures de la société. Le capitalisme peut subir des revers mais pas de défaite fondamentale. Ce qui nous distingue du PS n’est alors pas facile à discerner.

Cela pose la question de l’indépendance syndicale. Les spécificités des démarches entre politiques, syndicats, associations ne doivent pas empêcher une construction nécessairement commune. Elles ne concernent que les approches. D’autant que l’indépendance des partis est tout autant à préserver.

Mais alors, nous ne pouvons dissocier cette question d’un renouvellement de la nature du rapport des citoyens à la politique et à l’État  : entre citoyenneté et État, où est le centre de gravité de la pensée et de l’action transformatrices  ?

(1) Auteur d’Oser la vraie rupture. Gauche année zéro, 
aux éditions de l’Archipel, 2011, 206 pages, 18,20 euros.

Pierre Zarka


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