Adresse à Monsieur Valls

vendredi 13 juillet 2012.
 

Monsieur le Ministre de l’intérieur,

« Etre de gauche, C’est faire cesser immédiatement la surexploitation de travailleuses et travailleurs sans droits en les régularisant ! »

M. Valls aurait-il gardé le cabinet de M. Guéant ? Nous avions déjà eu la triste surprise de découvrir que les questions d’asile, d’entrée et de séjour, d’intégration et d’accès à la nationalité française restaient rattachées au Ministère de l’intérieur (et nous l’avions dénoncé avec plus de cinquante organisations syndicales et associatives par le biais de la lettre de l’UCIJ), nous apprenons maintenant qu’il n’y aura pas de profonds changements de cap…

Le ministre de l’intérieur, M. Valls, vient d’annoncer dans un entretien au Monde, qu’il ne régularisera pas plus de personnes sans papiers que sous le gouvernement Fillon… Maintenant, c’est comme auparavant ? Et pourquoi ? Parce que selon lui, « la situation économique et sociale ne [le] permet pas ». Il faut rappeler sans relâche que les immigrés rapportent plus qu’ils ne coûtent et que l’argument de la crise ne tient pas. Quand les immigrés « coûtent » 47,9 milliards d’euros par an en dépenses de protection sociale, ils « rapportent » 60,3 milliards d’euros par an par leurs contributions à l’impôt et aux cotisations sociales. Les immigrés contribuent à la vie économique, travaillent, cotisent et consomment et participent donc à la création d’emplois.

Le ministre de l’intérieur annonce par ailleurs qu’une circulaire est prévue afin de préciser les critères des régularisations et mettre fin à l’arbitraire (la durée de présence en France, la situation par rapport au travail, les attaches familiales, la scolarisation des enfants). Rappelons que dans leur écrasante majorité les personnes sans papiers sont avant tout, des travailleuses et des travailleurs. Exiger une durée de présence sur le territoire français avant toute régularisation revient de facto à imposer une durée de clandestinité pendant laquelle la surexploitation de travailleurs sans droits, déclarés ou pas, perdure, avec ses conséquences inacceptables pour les premiers concernés mais qui contribuent également à un rapport de force défavorable pour l’ensemble des salariés des secteurs non délocalisables. La question du critère « travail » reste liée pour le ministre « au sujet plus large des besoins en terme de migrations économique de la France ». La logique utilitariste de l’immigration choisie reste donc prédominante… Malgré les futurs « critères » encore non précisés, y aura t-il des quotas maintenus par secteurs professionnels et les listes de métiers dits en tension ? Surtout qu’à l’arrivée, on nous prévient que ces « critères » conduiront au même nombre de régularisations que sous Fillon…

Soyons rassurés, il n’y aura pas d’objectifs chiffrés en matière de reconduites à la frontière donnés aux Préfecture, mais celles ci se poursuivront et seront traitées « dignement ». Quelle « dignité » peut-il donc bien y avoir dans une expulsion ? Il serait temps par ailleurs de prendre au sérieux le coût des reconduites à la frontière. En dehors du coût humain inestimable, une reconduite est évaluée 13 220 euros par reconduite, et encore ce chiffre ne retient pas les dépenses engendrées par les interpellations, les procédures judiciaires, etc. Le Ministre de l’intérieur a annoncé la fin du placement en rétention pour les familles avec enfants. Si le Parti de Gauche se félicite de cette décision, il déplore cependant la décision du ministre de poursuivre des reconduites à la frontière de familles d’enfants scolarisés. La République va donc continuer à être défigurée.

Certes, les organisations de défense des droits des migrants obtiennent le droit que toute personne frappée d’une mesure d’éloignement soit enfin en mesure de faire valoir ses droits à chaque étape de la procédure. Mais la révision profonde du CESEDA (Code d’Entrée et de Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile) est loin d’être acquise,ni celle du code du travail. Et le gouvernement n’a toujours pas l’intention de dépénaliser le séjour irrégulier, comme le revendique le Front de Gauche. Le ministre nous annonce la création d’un titre de séjour d’une durée de trois ans en vue de stabiliser celles et ceux qui vivent et travaillent de manière régulière sur le sol national. Mais la gauche avait créé pour ce faire la carte de 10 ans, pourquoi la fragiliser par un énième titre d’une durée moindre ? Pour le Front de Gauche il faut au contraire la généraliser et mettre un terme à la segmentation des situations administratives et des titres qui ne vise qu’à la précarisation des migrant-e-s.

Le seul axe de rupture avec la politique de Sarkozy réside dans l’accès à la naturalisation. Elle est enfin considérée pour ce qu’elle est, « une chance pour la France ».Une circulaire est prévue pour cet été. Pour le Front de Gauche, l’accès à la nationalité française doit être immédiate pour tout étranger qui en fait la demande et réside depuis 5 ans sur le territoire. Pour finir, en ce qui concerne la réduction « à six mois » de l’examen des demandeurs d’asile, aujourd’hui de 18 mois, engagement du candidat F. Hollande, elle sera soumise aux arbitrages du fait du coût budgétaire que nécessite un traitement plus rapide des demandes. Vu le cap d’austérité suivi par le gouvernement Ayrault, il y a de quoi rester inquiet sur les suites. Ne réduisons pas les délais par une multiplication des refus comme l’avait fait le gouvernement précédent. Et accordons enfin le droit de travailler à tout demandeur d’asile. L’orientation globale du ministre est donc de lier la question des régularisations au contexte économique. Ce qui revient à dire « qu’on ne peut accepter toute la misère du monde » comme le déclarait M. Rocard en 1989, dans un contexte où la gauche était au pouvoir et où l’extrême droite connaissait une forte progression. Souvenez-vous, à cette époque, le droit de vote des résidents étrangers était repoussé aux calendes grecques et la politique des reconduites à la frontière assumée par la gauche….

Or, le nombre de sans papiers à régulariser, rapporté à la population active est somme toute assez dérisoire. Evalué entre 200 000 et 400 000, cela ne représente que 0,3 à0,6% de la population française. Aussi, le véritable « appel d’air » est bien plus celui du maintien d’un marché du travail permettant par les chaînes de sous-traitance notamment, de maintenir des filières de travail non déclarés ou même déclarés mais hors respect du code dutravail. En ne régularisant pas tous les travailleur-euse-s, le gouvernement s’apprête donc à maintenir cette mise en concurrence entre les travailleurs. Et dans les consciences, il alimente l’idée que « l’immigration est un problème ». Ce n’est pas une bonne chose pour la lutte contre le racisme C’est un encouragement à associer « chômage et immigration », « crise et immigration ». C’est un encouragement à la logique « le dernier ferme la porte », prégnant dans la diffusion du racisme jusque dans les milieux populaires notamment issus de l’immigration. Entendez ces leaders du FN et de la droite populaire se féliciter « d’être enfin entendus »….

Pour toutes ces raisons, au vue de sa politique, nous n’avons aucune leçon à recevoir du Ministre quand il déclare « Etre de gauche, ce n’est pas régulariser tous les sans papiers ». Etre de gauche, Monsieur le Ministre de l’intérieur, pour nous c’est refuser l’impasse des politiques d’austérité et appliquer résolument, y compris en matière d’accueil des migrants, de respect du droit d’asile, l’humain d’abord et l’égalité des droits jusqu’au bout !

Danielle Simonnet, Secrétaire nationale aux Migrations du Parti de Gauche.


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