Air France : la facture de la financiarisation

jeudi 28 juin 2012.
 

La compagnie aérienne se prétend au bord du crash pour larguer des milliers d’emplois. D’après la CGT, il s’agit plutôt 
d’un gros trou 
d’air dont 
la privatisation et la financiarisation de l’entreprise sont responsables.

Alors que la direction d’Air France s’apprête à révéler aujourd’hui l’ampleur de la casse sociale générée par son plan Transform 2015, les pistes de restructuration préconisées par la direction ne devraient pas résoudre durablement les problèmes de la compagnie aérienne. Avec des pertes de 809 millions d’euros fin 2011 et une dette de 6,5 milliards d’euros, les dirigeants de la compagnie aérienne ont eu beau jeu de brandir ces chiffres alarmants pour faire passer la pilule du plan Transform auprès des salariés et de leurs organisations syndicales.

Gel des salaires, gel des embauches

«  Pourtant, de l’aveu même de la direction, la situation ne peut pas être qualifiée de catastrophique  : la survie de l’entreprise n’est pas en jeu  », insiste Christian Bourdet, élu Ugict (CGT des cadres, ingénieurs et techniciens) à la commission économique du CCE d’Air France. Alors que la direction veut imposer 20 % de gains de productivité, l’Ugict estime, en s’appuyant sur l’expertise du cabinet Secafi, qu’un gain de productivité inférieur à 3 % serait nécessaire pour un retour à l’équilibre, au prix actuel du baril de pétrole.

Lancé progressivement depuis janvier, le projet patronal s’est donné comme objectif de réaliser 2 milliards d’euros d’économies d’ici à fin 2014. Gel des salaires, gel des embauches, révision de l’ensemble des acquis sociaux des personnels, mais aussi restructuration profonde des activités Air France autour de trois pôles  : autant de mesures dont les conséquences se feront essentiellement sentir sur la masse salariale. Des journaux économiques avaient, le mois dernier, laissé filtrer le chiffre de 5 000 suppressions d’emplois, le comité central d’entreprise (CCE) extraordinaire d’aujourd’hui devrait officialiser le «  volume des sureffectifs  » et le «  traitement  » à leur imposer, selon la très poétique formule patronale consacrée. Les informations parues dans la presse laissent entendre que celles-ci s’effectueraient pour moitié par non-remplacements des départs naturels de l’entreprise et pour moitié par le biais d’un plan de départs volontaires.

Une politique de l’autruche

Pourtant, les frais de personnel n’ont augmenté que de 3 % entre 2010 et 2011, quand d’autres frais plus considérables – outre les 6,4 milliards d’euros de facture carburant pour 2011 – plombaient plus gravement le budget d’Air France. «  Les difficultés d’Air France remontent clairement à la fusion avec KLM en 2003 et à la privatisation de la compagnie en 2004  », explique Christian Bourdet. Graphique à l’appui, l’Ugict démontre que c’est bien Air France qui a supporté l’endettement de KLM, cette dernière affichant un niveau d’endettement de 195 % au moment de la fusion, quand celui d’Air France se situait à un taux de 71 %. Si ce n’est qu’aujourd’hui que les chiffres se révèlent aussi mauvais, c’est parce que la stratégie de recours systématique au crédit et à l’endettement a contribué à masquer l’ampleur du gouffre. Une politique de l’autruche qui a un coût puisque les charges financières de la dette pèsent, dès 2005-2006, 224 millions d’euros à Air France pour grimper jusqu’à 371 millions d’euros en 2010 comme en 2011. Face à ce dérapage incontrôlé, la direction d’Air France n’intervient que fin 2009… par le biais d’un plan de départs volontaires. Cent cinquante millions d’euros sont alors dépensés par la compagnie aérienne pour débarquer 1 800 salariés. Des coupes sombres motivées par la mauvaise humeur des actionnaires privés de dividendes depuis 2008, d’après Christian Bourdet, mais dont les résultats n’ont jamais été démontrés par la direction. «  Fondamentalement, c’est toute la logique financière dans laquelle est rentrée Air France qui nous amène à cette situation  », analyse l’élu Ugict. Parce qu’elle a besoin du soutien de ses actionnaires, la compagnie se retrouve contrainte de récupérer des liquidités pour être bien notée  : une stratégie dite de «  sale and lease back  » qui la pousse à vendre ses actifs (avions, immobilier…) à des établissements financiers, avant de les relouer au nouveau propriétaire, et qui s’avère coûteuse à long terme. Et d’après l’Ugict, la situation d’Air France n’aurait aucune raison de s’améliorer. «  Le groupe est en train d’émettre des obligations qu’il devra rembourser dans les années à venir  », prévient Christian Bourdet.

Pour un moratoire de la dette Pour l’Ugict-CGT, le plan Transform 2015 et ses milliers de suppressions d’emplois ne sont pas une fatalité. «  Les 20 % de gains de productivité ont pour unique but de dégager des marges importantes, pour qu’Air France devienne numéro un et puisse écraser les autres compagnies  », juge Christian Bourdet. À l’inverse de la logique financière de low-costisation prônée par le plan patronal, l’Ugict appelle à améliorer la qualité 
du service, sans en faire payer le prix aux salariés. Dans un premier temps, le syndicat appelle à un audit et à un moratoire de la dette, pour en étaler le remboursement. «  L’État doit jouer un vrai rôle  », affirme le syndicaliste, qui déplore que le nouveau ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, ne condamne que les «  licenciements contraints  », et laisse Air France supprimer des emplois par le biais d’un plan 
de départs volontaires. Parce qu’un État actionnaire à 16 % ne semble pas suffisamment actif, l’Ugict pose la nécessité de 
la renationalisation d’Air France.

Loan Nguyen


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