Lettre à Jean-Luc M.

samedi 7 juillet 2012.
 

Jean-Luc,

J’espère que ça ne te dérange pas que je t’appelle Jean-Luc, je trouve que ça fait plus proche, donc je pourrais me permettre de t’écrire des choses qui ne te plairont pas forcément à la suite de cette phrase interminable qui me servira de pré-introduction.

Jean-Luc, je t’écris cette lettre, que j’espère toi ou quelqu’un de proche lira. Ça c’est l’introduction. C’est court, mais suffisant.

Tout d’abord, je voulais te dire que je suis fier de toi. Et fier de notre peuple. Celui des prolos, des crèves-la-dalle, des ouvriers, des chômeurs sans autres choix, des jeunes, des femmes et de toutes ces minorités qui ensemble font une majorité. Fier de voir que nous sommes toujours là. Toujours présents et savons encore ce que nous sommes, ce que nous voulons, pourquoi nous nous battons. Notre force ! Même si ce n’est pour l’instant que pour des petites victoires. Je suis fier de toi parce que tu as réussi un truc formidable. Oh ! Les médias nous ont dit que ce n’est pas grand-chose, 11%, la blague ! Et puis éliminé au premier tour à Hénin, la ville où j’ai vécu 18 ans, avec seulement 21% des voix ! Cette plaisanterie !

Tu as fait des déçus sans le vouloir dans tes rangs. Beaucoup te voyaient au second tour aux deux élections passées. Certains même, te voyaient gagner quelque part. Comme si à peine les graines semées, on souhaitait la récolte. En tout cas, pour avoir redonné espoir au peuple, à ceux qui pensaient que la politique et ces hommes installés depuis trop longtemps ne pouvaient plus rien changer, plus rien bouger, tu as prouvé le contraire. C’est chouette.

Passons sur la présidentielle, déjà trop analysée et déjà oubliée. L’« information » doit aller vite. Retenons donc deux points importants. Les législatives et ton rapport avec la presse .

Et là, quelle campagne, mes aïeux, mineurs, n’en reviendraient pas ! Deux semaines émoustillantes dont on se souviendra longtemps... On préféra oublier le débat pourri sur ces affaires de tracts puants et aussi les résultats de celle que l’on appelle joyeusement « Marine » dans les rues de mon enfance. Et puis ce foutoir de médias. Ils voulaient une campagne « moderne »… Du Morandini, faite de coups médiatiques, de « buzz », d’insultes.

« La rivière est sortie de son lit » comme tu le dis, Jean-Luc dans tes meetings. Oui. C’est vrai, moi aussi j’y ai vu un espoir. Moi aussi j’ai vu les foules que tu as déplacées pour t’écouter. Ça me rappelle ces vidéos que j’ai vues sur le site de l’INA. Maurice Thorez remplit la grande place de Hénin-Liétard alors, des dizaines de milliers de « gueules noires », j’ai vu les vidéos des manifestations des années 80 quand les patrons des houillères ont programmé la fermeture des mines, ces scènes où les rues de Lens sont noires de mineurs, complètement bouchées de dizaines de milliers de manifestants. Aujourd’hui, je prends du plaisir à voir les drapeaux rouges, les portraits du Che dans les meetings et dans les rues. Un exploit ? Avoir réussi à faire réfléchir l’électorat sur le vote FN. Les débats ne se situent plus au niveau du café du commerce mais prennent place dans les rues.

Mais, là où tu te trompes, l’ami, (ça ne te dérange pas que je t’appelle « l’ami » ?) c’est dans ton combat, pourtant tout a fait légitime contre le parti tout-puissant de la presse. Tu les as amusés à hurler contre la finance. Tu leur as plu par ton talent oratoire, tes phrases qui font super bien la une des journaux, ton pouvoir de séduction, tu leur as donné les images qu’ils voulaient. Ils en redemandaient. Une fascination étrange.

“Vous êtes éliminé, Jean-Luc Mélenchon ! Vous êtes au tapis !”

Et puis il y a eu les escarmouches avec tout un tas de journalistes, déjà beaucoup analysées par d’autres. Taper « Mélenchon journalistes » sur Google et c’est des centaines de pages, de sites qui ne fonctionnent que par le « buzz », la rhétorique suspecte et l’orthographe bancale qui s’affichent.

Te voilà donc, petit d’homme, se rendant dans la 11ème du Pas de Calais pour te battre encore, apprendre aux électeurs que le FN c’est pas Byzance, que « Marine », c’est pas parce qu’elle fait des bisous qu’elle les respectent, leur faire comprendre qu’ils valent plus que le Canigou idéologique des discours du FN. Et là, fanfares, trompettes ! Unes de tous les bons journaux lus seulement à Paris : « Match des extrêmes », « Front contre Front », « choc des titans » ! Encore ? Oui, sauf qu’après ce fut le silence le plus total. Tout le monde y est reparti, à Paris.

Soir du premier tour. Zapping TV : Pour le Pen : “triomphe”, “souriante“, pour toi : la “douche froide“, la “claque”, “pulvérisé”… Et le meilleur : « M. Mélenchon s’est surestimé une fois de trop. À trop s’être laissé griser, il finit par faire… grise mine » Admire la finesse du jeu de mot ! On se marre ! Apothéose chez BFM : “VOUS ÊTES AU TAPIS !”. Alors oui, en effet, y a de quoi énerver. Te provoquer parfois un « nervous breackdown »...

Tu viens d’être battu, tu es fatigué de ces dix ou douze mois de campagnes ininterrompues, tu es mal filmé par leurs caméras, de haut, la place est sombre, tes cernes sont flagrantes. Et ils jouissent de te voir, animal abattu. Sonnez l’hallali !

Alors, oui Jean-Luc, même si tu leur mets les jetons, même si tu inquiètes les dominants, les journalistes doivent rendre des comptes. A leur chef, leur boss. Et ces chefs sont justement ces dominants. De l’utilité d’avoir des journaux pour messieurs Dassault, Niel, Bergé, Rothschild… Oui, tu as fait comprendre au peuple que la politique ce n’était pas seulement le « jeu » des pros, mais aussi son boulot.

Oui, tu leur fais peur. Pourquoi ? Parce que quand tu fais un discours devant 120 000 personnes à la Bastille tu crois ce que tu dis. Et ça, c’est dangereux, pour eux.

Ta défaite est grande mais ta défaite est belle ! Il y en aura d’autres certainement, et puis ensuite viendront les victoires évidemment. Tout ne peux pas être immédiat et « nous n’aurons que ce que nous prendrons », oui, mais pas tout de suite. Ils ont trop d’avance pour l’instant…

Amicalement, Antoine Froissart.


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