Quand David Pujadas reçoit chez lui François Hollande

lundi 11 juin 2012.
 

Je souhaite, ci-après, me pencher sur un aspect particulier de l’interview de François Hollande, réalisée le mardi 29 mai, à 20 h, sur France 2, par David Pujadas. Après un tour d’horizon de l’actualité intérieure et extérieure, voici la partie de cette interview qui m’a retenu :

David Pujadas : "Et comme promis, nous recevons le président de la République, François Hollande. Bonsoir, M. le président. Merci de nous réserver ces premiers mots. On entend parfois qu’être président, cela s’apprend. Alors, cela fait deux semaines que vous avez été investi. Est-ce que vous vous sentez pleinement président ?"

François Hollande : "Je n’ai pas eu le temps de me poser cette question. J’ai pris immédiatement la responsabilité du pays. Et je m’y étais préparé. Et j’ai donc, très vite, rencontré Mme Merkel, c’était mardi, le jour de mon investiture, puis ensuite je suis parti aux Etats-Unis, voir le président américain, nous avions à préparer le G8, c’était le vendredi. Et j’étais au sommet de Chicago, sommet de l’OTAN, nous étions le lundi, et vendredi dernier, j’étais en Afghanistan pour parler aux troupes françaises, pour leur dire que, d’ici la fin de l’année, il n’y aurait plus de soldats qui combattraient en Afghanistan. Donc, vous voyez, je n’ai pas tardé à prendre mes décisions, et non plus à prendre pleinement les responsabilités de mon pays".

David Pujadas : "Alors, on va évoquer ces événements. D’un mot, simplement : "Est-ce que vous vivez ces premiers moments du quinquennat comme de la plénitude, comme un bonheur ou comme du stress ?"

François Hollande : "Du bonheur, il y en a eu au moment de l’élection. Il dure assez peu de temps, quand arrivent les sujets, vous les avez évoqués, tout au long de votre journal, les plans sociaux, l’Europe, qui est toujours en difficulté, les affaires du monde, la Syrie, donc, ces défis-là, je les ai devant moi. Et je n’ai pas eu non plus de stress, au sens où une espèce de pression serait tombée sur moi ; ça fait quand même des mois que je m’étais présenté devant les Français, que je m’étais préparé à être leur président. Je le suis et je suis en action. Il n’y a pas eu de transition, je ne suis pas un président en transition, je suis un président en action.

David Pujadas : "Alors, on va revenir sur quelques-unes des images de cette première quinzaine. Et d’abord vos premiers pas, vous l’évoquiez, dans ces sommets internationaux, ils se sont un peu enchaînés. On va vous voir, là, ici, avec Barack Obama. Alors vous connaissiez pas cet univers, vous disiez même, vous aviez dit régulièrement que ces sommets, notamment le G8, ne servaient à rien. On va découvrir ces quelques images. Est-ce que vous avez changé d’avis ?"

François Hollande : "D’abord, vous me posez la question de la rencontre elle-même avec des personnalités éminentes, que je ne connaissais pas jusqu’à présent. Mais je suis le président d’un grand pays, la France. Nous sommes un grand pays. Nous sommes respectés. Nous sommes attendus".

David Pujadas : "Mais on peut être intimidé ?"

François Hollande : "Non, il ne peut pas y avoir d’intimidation pour un pays comme la France, pour celui qui représente la France...".

[Après, viennent des questions sur les points de l’actualité, qui n’entrent pas dans le cadre de ces remarques.]

- Dans cette partie, David Pujadas traite François Hollande comme ses confrères journalistes traitent un apprenti-pâtissier, un chômeur ou un terrassier (je ne choisis pas ces exemples au hasard...) qui vient de gagner 100 millions d’euros au Loto. Décryptons donc les remarques et questions de Pujadas :

1. "On entend parfois qu’être président, cela s’apprend." Que cela s’apprend où ? Dans un ministère ? Et, sous-entendu, dans un des ministères du sommet, Premier ministre, ministre de l’Intérieur, de l’Economie, des Affaires étrangères ou de la Défense ? Pujadas aurait-il osé poser cette question à Fillon, à Juppé, à Fabius, voire au Strauss-Kahn d’avant la Chute ? Comment mieux dire à l’intéressé que, n’ayant jamais occupé un poste ministériel, il n’est qu’un amateur, à qui on ne saurait faire confiance ?

2. "Est-ce que vous vous sentez pleinement président ?" On discerne, dans cette question, le même ton condescendant des journalistes qui interviewent un ouvrier ayant gagné le gros lot.

Décryptage : "Alors, est-ce que vous vous sentez pleinement millionnaire ?", version polie de : "Alors, pour vous, le pointage à Pôle Emploi, c’est vraiment fini ?". On celui de l’adulte s’adressant à l’enfant : "Alors, tu es content de ton gros camion rouge ?"

3. "Alors, on va évoquer ces événements. D’un mot, simplement : "Est-ce que vous vivez ces premiers moments du quinquennat comme de la plénitude, comme un bonheur ou comme du stress ?"

Décryptage : "Alors, ça vous fait quoi de compter par billets de 500 euros plutôt que par pièces de 50 centimes ? ou : "Alors, ça ne vous affole pas, tout cet argent chez vous ? Et vous savez que, cet argent, vous pouvez le mettre à la banque ? Que ce n’est pas la peine de le conserver dans la boîte à sucre ?". On croirait entendre la fable "Le savetier et le financier"...

4. "Alors vous connaissiez pas cet univers, vous disiez même, vous aviez dit régulièrement que ces sommets, notamment le G8, ne servaient à rien".

Décryptage : "Alors, vous ne saviez pas qu’on mange le poisson avec un couteau à poisson ? N’est-ce pas vous qui aviez dit, régulièrement, que vous ne faisiez pas la différence entre les œufs de lump et le caviar Petrossian ?".

5. "Mais on peut être intimidé ?".

Décryptage : "Comment ça ! On vous présente la reine d’Angleterre et vous n’en bredouillez pas de confusion !!?"

Cette attitude envers François Hollande n’est pas inédite. Il y a quelques jours encore, lorsqu’il s’était déplacé à Washington, une journaliste de France 2 lui avait demandé [je cite en substance] s’il n’était pas "impressionné" (sous-entendu par Barack Obama, par les chefs d’Etat du G8, etc.). Ce à quoi François Hollande avait répondu que "lorsqu’on est président de la République française, on ne doit être impressionné par rien".

Qu’en conclure ?

- La première conclusion est que les journalistes ne font aucun cas de François Hollande. Ils le traitent comme un quidam qui aurait gagné le gros lot, c’est-à-dire qui ne devrait rien de son sort à ses mérites. Alors que François Hollande a réussi là où Jacques Delors a renoncé, là où Lionel Jospin et Ségolène Royal ont échoué, là où Dominique Strauss-Kahn a trébuché avant même d’être arrivé sur la ligne de départ. Les journalistes oublient que, pour en arriver là, François Hollande a dû éliminer, amadouer ou rallier nombre de (fortes) personnalités du P.S., qui se seraient bien vues à sa place. Or, la plupart de ces personnalités avaient exercé - ou exercent toujours - des fonctions bien plus élevées, bien plus prestigieuses que celles de président du Conseil général de la Corrèze. Et les luttes au sein de son propre parti ne sont pas moins impitoyables, ne requièrent pas moins d’énergie, de patience ou d’intelligence que celles qui mettent aux prises avec un adversaire de l’autre camp...

- La deuxième conclusion est que ces mêmes journalistes affichent un certain mépris du suffrage universel. Car cet homme, à qui ils s’adressent, dédaigneusement, comme à un enfant qui joue avec son cadeau de Noël, est celui à qui plus de 18 millions de ses compatriotes ont accordé leurs suffrages. Où se trouve, pour les journalistes, la légitimité, si elle ne réside pas dans le suffrage universel ? Chez le milliardaire ? Chez l’homme d’affaires ? Chez le pape ? Chez la reine d’Angleterre ? Chez tous ceux qui, par d’autres modalités que celles de la démocratie, se trouvent au sommet de la pyramide sociale ?

- La troisième conclusion est que (comme, à plusieurs reprises, le fait remarquer François Hollande lui-même), les journalistes n’ont pas une haute idée de leur pays. Pourquoi, par exemple, le président de la République française devrait-il être "intimidé" par ses partenaires du G8, alors que, par son PIB, la France a une richesse supérieure à quatre de ces pays du G8 (Royaume-Uni, Italie, Russie, Canada) ? Pourquoi le président de la République devrait-il être impressionné alors que la France est l’un des cinq pays membres du Conseil de sécurité des Nations Unies disposant d’un droit de veto ? Pourquoi le président de la République devrait-il être impressionné alors que la France a un des plus forts taux d’accroissement démographique de l’Europe, ce qui, sauf accident, devrait la placer, d’ici 2050 - voire avant - au premier rang en Europe par la population, Russie exceptée ?

[N.B. N’allez pas déduire, des conclusions qui précèdent, que je fais une crise de chauvinisme droitier. Je me demande plutôt si, à l’inverse, les journalistes ne considèrent pas qu’une France de gauche, gouvernée par un président de gauche – avec toutes les nuances à apporter, en l’occurrence, à ce terme de "gauche", mais, affrontant Sarkozy, qui ne serait de gauche ? – est quelque chose de moins noble, de moins fort, de moins relevé qu’une France atlantiste, capitaliste et ultralibérale, et gouvernée par un Giscard, un Barre, un Balladur, un Chirac ou un Sarkozy].

Philippe Arnaud


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