Bouclier américain anti-missile installé en France : Une « nécessité pragmatique » pour François Hollande

dimanche 3 juin 2012.
 

Une « nécessité pragmatique ». Tel est le terme sophistiqué choisi lors du sommet de l’OTAN de Chicago des 20 et 21 mai par François Hollande pour justifier une reculade dont on n’a pas fini de mesurer l’impact. Il a donné son accord pour le lancement de la première phase d’un « bouclier anti-missile ». Ce projet consiste pour les USA et leurs alliés de se doter d’un système de surveillance et d’interception de missiles qui seraient tirés contre des intérêts ou des territoires de ces pays. En fait, ce bouclier est un vieux projet national des Etats-Unis. Ils se sont évertués depuis des années à le greffer sur l’OTAN. Dans sa partie européenne, ce projet vise théoriquement à protéger l’Europe de tirs de missiles depuis le Moyen-Orient et en particulier l’Iran. En fait l’intention vise large. C’est bien pourquoi la Russie y voit une étape supplémentaire de la surenchère militaire des Etats-Unis à ses frontières. L’installation en Pologne et en Roumanie de missiles du fameux bouclier n’est pas vraiment un gage de paix donné à la Russie. Et de même à propos de leur prédisposition sur des navires nord-américains en Méditerranée et surtout en Mer Noire. Des lieux qui peuvent aussi bien servir à parer une attaque hypothétique de l’Iran qu’à menacer très concrètement la Russie et ses alliés.

François Hollande avait exprimé il y a à peine un mois, le 10 avril 2012, sur I>télé, son opposition au lancement d’un tel projet par l’OTAN : « Je suis réticent à l’égard de cette évolution. La première raison, c’est que nous n’avons aucune possibilité de participer industriellement à cette affaire et deuxièmement ça met en cause l’idée même de la dissuasion. » Deux bonnes raisons que je partage. Depuis, il justifie son revirement par le fait que ses réserves ont été levées par la déclaration finale du sommet de Chicago. Or cette déclaration n’a strictement rien changé au projet en question. Et cela tout simplement parce qu’il existait déjà avant ! Les principes ont été fixés en 2010 lors du sommet de Lisbonne de l’OTAN. A l’époque, Nicolas Sarkozy avait accepté que soit inscrit dans le concept stratégique de l’OTAN, un document de référence, la création d’une « capacité de défense anti-missile ». Le sommet de Chicago auquel vient de participer François Hollande a donc seulement lancé la première phase opérationnelle. En réalité, il s’agit de faire entrer en phase opérationnelle la prise en charge par tous les alliés d’un programme américain de défense anti-missile qui existe déjà lui aussi. Celui-ci a été décidé au Congrès américain par le vote de la loi sur le National Missile Defense Act de 1999. Il est d’ores et déjà géré par une énorme agence états-unienne, la « Missile Defence Agency ». Cette défense anti-missile repose sur plusieurs boucliers qui, en se recoupant, sont censés défendre le territoire des Etats-Unis et celui de leurs alliés. Avant même la décision du sommet de l’OTAN, les Etats-Unis avaient déjà commencé à déployer la partie européenne de ce bouclier, notamment en envoyant en méditerranée des croiseurs spécialement équipés de missiles d’interception.

La greffe de l’OTAN sur ce dispositif répond à deux objectifs des Etats-Unis. Le premier est politique. Il conforte la légitimité internationale d’un projet vivement contesté par la Chine et la Russie et potentiellement contradictoire avec les traités internationaux de désarmement. Le second est financier et industriel, car avec l’accord de la réunion de Washington les européens vont devoir contribuer à un projet dont le coût faramineux ne peut plus être supporté par les seuls Etats-Unis. C’est une sorte de relance de l’industrie américaine comme l’est tout grand projet d’armement dans ce pays !

Loin des objectifs qui sont affichés face à la menace théorique de l’Iran, ce projet est donc avant tout une démonstration politique et industrielle des Etats-Unis. C’est d’ailleurs exactement ce qu’en disait le rapport parlementaire de 2001 de Paul Quilés, adopté à l’époque par la commission de la défense. Humour de situation : François Hollande faisait partie à cette époque de ladite commission ! Ce rapport affirmait ainsi : « La défense antimissile est, avant toute chose, un projet idéologique, largement déterminé par des considérations politiques, technologiques et industrielles. Il répond au souci des Etats-Unis, non de rompre avec la logique de la guerre froide, mais d’en préserver un apport qu’ils considèrent comme fondamental : le maintien de leur supériorité technologique et de leur prééminence stratégique. » J’approuve absolument cette façon d’analyser le projet. Le rapport évoquait ensuite « les conséquences industrielles de premier plan qui découlent de ce rôle majeur de la défense antimissile dans la préservation de la supériorité technologique américaine. Quatre entreprises de première importance sont en l’occurrence concernées : Lockheed Martin, Boeing, Raytheon et TRW. Elles bénéficient de 60 % des crédits alloués par le Pentagone pour ce programme. [...] les industriels n’ont pas ménagé leurs efforts pour favoriser la défense anti-missile et un système d’influence impliquant les congressistes, les industriels et les militaires existe sur ce programme dont le coût a été évalué entre 50 et 60 milliards de dollars. » Autrement dit, sous l’appellation euphémisante de « lobby », il s’agit d’un groupe de corrupteurs disposant d’un budget faramineux. On suivra donc avec beaucoup d’intérêt les prises de position, les tribunes et autres « conférences » qui vont assurer la promotion de cette belle, noble et pure idée ! On peut craindre le pire. Surtout dans un gouvernement qui compte huit membres qui sont passés par la « french american fondation ». Ce machin est une sorte de club « le Siècle » pour « young leaders » que le rêve américain et autres fadaises prétextes fascinent. Bref le gouvernement le plus atlantiste et le plus sous influence depuis bien longtemps.

Passons maintenant en revue les quatre questions qui motivaient les « réserves » qu’exprimait auparavant François Hollande. Puisqu’il prétend en être libéré à Chicago, voyons ce qu’il en est. D’abord « la maîtrise des coûts ». On vient de le voir : c’est précisément parce que les coûts d’un tel projet sont incontrôlables et incontrôlés aux USA que ces derniers y font participer les Européens. L’ensemble des rapports parlementaires sur le sujet soulignent d’ailleurs que la participation de la France à un tel « bouclier » évincera budgétairement d’autres projets de défense. Aucune raison d’être rassuré donc. Ensuite François Hollande serait dorénavant tranquillisé sur la part de « l’intéressement des industriels français à la réalisation des équipements nécessaires ». Là encore on se demande comment il a pu arriver à une conclusion positive. Car l’histoire du projet lui-même montre qu’il est conçu pour soutenir l’industrie d’armement nord-américaine. D’ailleurs les équipements d’ores et déjà déployés sur lesquels se greffe l’OTAN sont états-uniens. Les radars et les missiles intercepteurs positionnés en Méditerranée sont fabriqués par la firme Raytheon. Et les systèmes d’armes qui équipent les croiseurs et guident les missiles sont fabriqués par la firme Lockheed Martin. Il s’agit donc d’une technologie 100 % états-unienne, fruit de 40 ans d’efforts de recherche et de développement du Pentagone. A supposer qu’ils en grappillent des miettes, les groupes européens seront cantonnés dans ce projet à des missions de sous-traitance. Et celles-ci seront, de toute façon, financées par les Etats européens au détriment d’autres priorités de leurs propres budgets de défense.

Voyons à présent le plus important. Il s’agit de la remise en cause par ce bouclier de la capacité de dissuasion nucléaire autonome de la France. Cela concerne le cœur du raisonnement qui soutient la dissuasion. L’adversaire n’entreprend rien car il sait que la réplique sera dévastatrice. Il n’y a pas de petite bataille préalable ni de tentative d’aucune sorte qui soit réputée supportable ou acceptable ou possible. Tout ce qui atténue l’idée du choc unique et désastreux affaiblit le concept de dissuasion. Ici, du moment où l’on considère que la France a besoin d’être protégée concrètement d’attaques de missiles, on accrédite l’idée qu’il existe un pallier intermédiaire de guerre. On sous-entend donc aussi que sa force de dissuasion ne la protège plus intrinsèquement et qu’elle est donc vulnérable. Il y a donc une contradiction stratégique majeure entre une dissuasion nucléaire indépendante et la participation à un bouclier anti-missile états-unien. Une contradiction politique qui vient d’être rappelée par Pascal Boniface. D’ailleurs, sur le sujet, on peut lire des choses très claires dans le livre blanc de la défense nationale française. On ne peut pas dire que la doctrine soit imprécise, même si le vocabulaire est aussi codé que n’importe quel vocabulaire spécialisé. Voici ce qui est écrit concernant les menaces balistiques : « La France adoptera une stratégie de prévention active visant à limiter la prolifération balistique, tout particulièrement dans les zones les plus dangereuses. Elle s’appuiera sur sa capacité de dissuader toute intention d’un État de porter atteinte à ses intérêts vitaux par des moyens de ce type. » Et à l’inverse, la participation à un éventuel bouclier de l’OTAN n’y est évoquée que pour envisager des études à son propos. Un enterrement diplomatique. Car au-delà des études, et une fois opérationnel, ce bouclier constitue par définition une prolifération balistique considérable. Il remettrait donc sérieusement en cause la doctrine de défense française dans ses objectifs de dissuasion et de participation au désarmement multilatéral. Signalons qu’il percuterait aussi le droit international du désarmement en portant une nouvelle atteinte au traité sur le désarmement balistique. Cela tombe bien pour les USA qui essaient de l’enterrer depuis 2001 au grand dam de la Russie.

Enfin, la dernière réserve de Hollande concernait « le contrôle politique de l’utilisation du bouclier ». Or sur le plan opérationnel, rien ne permet de penser que quoi que ce soit ait changé. La raison en est technique. C’est simple à comprendre. Un rapport parlementaire cosigné par des sénateurs UMP et PS en juillet dernier le pointait : « Les délais de riposte à une attaque balistique seront extrêmement brefs et n’autoriseront pas de procédure de consultation et de coordination préalable ». Les règles d’engagement seront donc codifiées à l’avance et activées automatiquement sans contrôle politique préalable. Une codification qui est pour l’instant entièrement aux mains des USA alors qu’elle est extrêmement délicate. Car l’utilisation du bouclier pose des difficultés techniques lourdes. Comment gérer les détonations et les retombées lors de l’interception d’un ou plusieurs missiles. Ce n’est pas une question secondaire pour ceux qui se trouvent dans le secteur où le missile est intercepté. Car imaginez qu’il comporte une charge nucléaire ou chimique ? Sans oublier le problème que posent aux riverains des bases d’implantation du bouclier puisqu’ils deviennent eux-mêmes des cibles. Qu’il s’agisse de zones terrestres (en l’occurrence la Turquie, la Roumanie et la Pologne) ou marines (en l’occurrence l’est de la Méditerranée et la Mer Noire dont une partie sont des zones naturelles protégées).

Aucune des quatre réserves évoquées par François Hollande n’a donc été réellement levée. François Hollande a tout cédé aux américains, un point c’est tout. Et j’en suis désolé. Car je pensais que la fonction créant l’organe, il verrait vite quel sottise impériale est ce bouclier. A supposer qu’il fonctionne réellement un jour. Le bouclier anti-missile est comme l’OTAN elle-même : ce sont des projets des Etats-Unis, conçus par les Etats-Unis et pour les Etats-Unis. Du moment où la France ne remet pas en cause son appartenance à l’OTAN et sa participation à son commandement militaire intégré, elle n’a pas d’autre solution que de se soumettre à ce que l’OTAN, et donc les USA, décident. La dangerosité et l’inutilité pour notre pays du bouclier anti-missile sont donc une raison supplémentaire de défendre la sortie de la France de l’OTAN comme le propose le Front de Gauche. A ma connaissance, seul le journal « Libération » a traité ce sujet.


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