Fraude dans le vignoble : un millésime relevé au vitriol

samedi 2 juin 2012.
 

Douze viticulteurs, un œnologue et un droguiste poursuivis pour avoir utilisé, conseillé et vendu ce produit interdit qui avait redonné de l’acidité à un millésime médiocre

Depuis quelques mois, le tribunal correctionnel de Bordeaux n’en finit pas de dresser l’inventaire des pratiques douteuses des francs-tireurs du vignoble girondin. Après avoir examiné l’ajout d’antibiotiques dans le barsac, de lait dans le sauternes et de sucre dans le sainte-croix-du-mont, les magistrats se pencheront demain sur l’usage d’acide sulfurique concentré, en 2003, par plusieurs viticulteurs de l’appellation Côtes de Blaye.

À l’issue d’une instruction interminable, douze d’entre eux ont été finalement poursuivis pour fraude et détention de produits destinés à corrompre des boissons destinées à la vente. Demain, ils ne seront pas les seuls à s’asseoir sur le banc des prévenus. Bien que protestant de leur bonne foi, le droguiste de Blaye - qui leur a procuré l’additif - et l’un des œnologues de la région - auprès de qui ils disent avoir pris régulièrement conseil - devront eux aussi s’expliquer. Le premier pour avoir écoulé des produits dont il n’ignorait pas l’usage illicite qui en serait fait, le second pour complicité de falsification.

Millésime défaillant

Plus communément appelé vitriol, l’acide sulfurique est une substance aussi dangereuse qu’utile. Elle intervient aussi bien dans la fabrication des engrais et le raffinage du pétrole que dans le traitement des eaux et des minerais, le décapage des métaux et le fonctionnement des batteries. Au XIXe siècle, ce liquide visqueux et corrosif servait à la conservation de la viande. Aujourd’hui encore, certains aigrefins l’utilisent pour régénérer des morceaux avariés. C’est interdit, tout comme est banni son usage en viticulture.

En 2003, la sécheresse et les orages qui s’étaient abattus sur le Blayais avaient quelque peu déséquilibré le millésime. Trop d’alcool, pas assez d’acidité. Plutôt que d’injecter de l’acide tartrique, l’un des acides présents dans le raisin et dont l’emploi est autorisé sous certaines conditions, les vignerons avaient choisi l’acide sulfurique concentré, un « remontant » beaucoup plus puissant, seul capable selon eux de sauver leur récolte de la distillation.

Les agents de la répression des fraudes ont retrouvé sa trace en vérifiant en 2004 les registres du commerçant de Blaye auprès de qui ils s’étaient fournis. En un an, ce dernier avait écoulé près de 580 litres, dont 200 à des viticulteurs. La mention « acide sulfurique » n’apparaissait jamais sur les factures. Il était simplement question de « désincrustant » ou de « déboucheur professionnel ». Des mentions que le commerçant disait avoir portées à la demande de ses clients. Selon ses dires, le produit devait servir au nettoyage des cuves, même s’il se doutait qu’un tout autre usage était possible.

Un œnologue sur le gril

La plupart des viticulteurs entendus par les enquêteurs ont reconnu avoir eu recours à la substance prohibée. À raison de 1 à 2 centilitres par hectolitre. Des quantités, minimes certes, qui n’ont jamais mis en danger la santé du consommateur mais dont l’usage laisse songeur.

Pour certains d’entre eux, c’était ça ou déposer le bilan de l’exploitation. Cette année-là, la chaleur et la grêle ayant retardé la maturité, les vins manquaient de fruit et d’équilibre. Presque tous mettent en cause un œnologue, affirmant qu’ils ont agi sur ses recommandations et suivi ses prescriptions relatives au dosage.

La lecture des bulletins d’analyse découverts chez certains vignerons démontre que le conseil a bien été donné d’utiliser de l’acide sulfurique. L’œnologue se défend pourtant d’avoir préconisé cette solution. D’autant que les investigations conduites par le juge d’instruction n’ont pas permis d’identifier l’auteur des mentions manuscrites qui figurent sur les pièces saisies. Un dialogue de sourds a de fortes chances de prospérer demain lors du procès, même si chacun sait que le recours à l’acide sulfurique par une infime minorité de viticulteurs reste un secret de Polichinelle.


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